En même temps qu’il était pris sous l’aile de Bernard-Henri Lévy, l’auteur d’« Orléans » fréquentait, à Paris, les milieux négationnistes, explique l’écrivain Marc Weitzmann dans une tribune au « Monde ».
Publié le 2 septembre 2019
Tribune. « L’affaire Yann Moix » est née le 21 août dernier avec la parution de son nouveau livre, Orléans, comme un coup de vent d’une violence rare mais circonscrite : elle concernait la famille de l’auteur. Puis, en quatre jours, par le biais de faits nauséabonds, et sous l’effet de serre d’un milieu médiatique et littéraire surconfiné, cette bourrasque s’est muée en l’un de ces ouragans que seule la vie culturelle de ce pays est capable de produire avec cette intensité, qui laissent chaque fois tout le monde incrédule, pantois, écœuré.
On est ainsi passé de la dénonciation par Moix de son enfance martyre – aussitôt niée par son père, puis surtout par son frère – au fratricide public entre bon fils et mauvais fils, sans que l’on puisse décider lequel était lequel, puis on est passé, par le biais de révélations concernant le passé de Moix, du révisionnisme familial au révisionnisme tout court. En cette semaine de prérentrée, sans actualité majeure, les médias ont fait le reste, dénonçant le passé de Moix tout en assurant la promotion du livre par le biais de l’abjection qu’elle condamnait.
Perversité inédite
L’invraisemblable passage, samedi soir, « chez Ruquier » [animateur de l’émission « On n’est pas couché » sur France 2], d’un Yann Moix déchiré entre sincérité et désir d’effet rhétorique est venu parachever ce processus avec une perversité inédite.
Rien, pourtant, n’obligeait à ce qu’on en arrive là. Contrairement à Mehdi Meklat [en 2017, ce journaliste et écrivain avait dû s’expliquer sur d’anciens Tweet antisémites et homophobes], qui n’a cessé de s’innocenter en accusant le système, Moix a pour lui de n’avoir pas cherché longtemps à nier les faits ni sa responsabilité.
Lorsqu’il tente aussi librement que possible de retracer son parcours, l’histoire qui s’esquisse, passionnante pour qui s’intéresse au fond rance de ce pays, est celle d’un jeune homme de province, auteur de dessins obscènes sur Auschwitz, et dans le déni total de son antisémitisme – un jeune homme dont l’arrivisme et le goût taré pour la violence et l’abjection rencontrent, après son arrivée à Paris, un certain air du temps, celui des années 1990-2000, qu’il a évoqué le 1er septembre au micro sur France Culture, dans l’émission « Signes des temps ».
Moix s’attache aux pires, par masochisme, sans doute, par désir mimétique aussi
Il y a son admiration pour l’écrivain Marc-Edouard Nabe – déjà notoirement antisémite, contrairement à ce qu’il affirme –, et qui l’invite à une fête où Moix-Rastignac croise, éberlué, une bonne partie du Paris des lettres et des médias ; il y a Alain Soral, croisé chez Jean-Edern Hallier, retrouvé au prix de Flore ; il y a, surtout, le négationniste Paul-Eric Blanrue, rencontré lors d’une fête de la revue Bordel, créée par Frédéric Beigbeder. Un petit monde, exclusivement masculin, de trentenaires arrivistes, à demi cultivés, se voulant subversifs et chics. Moix s’attache aux pires, par masochisme, sans doute, par désir mimétique aussi. Blanrue, en particulier, semble avoir assis son emprise : il était l’ami à la truculence tyrannique, à l’obscénité cordialement menaçante.
De cet enfer ont surgi des alliés
On le sait : c’est de ce milieu de minables où le désir pour le transgressif le dispute à la délation que sont parvenues à la presse, ces dernières semaines, les informations sur les fanzines antisémites de l’auteur d’Orléans. On peut le plaindre, ou juger au contraire qu’il y a dans ces dénonciations une forme de justice poétique : par elles, en tout cas, et par ce qu’en ont fait les médias, Moix est aujourd’hui confronté à son propre enfer. Et l’attitude la moins malsaine, voire la plus respectable à son égard, consisterait sans doute à le laisser s’y battre seul, à considérer que la façon dont il s’en sortira – meilleur homme ? meilleur écrivain ? pas du tout ? — ne regarde que lui.
Sauf que ce n’est pas exactement ce qui se passe. Car du double fond de cet enfer ont surgi des alliés.
Certains, évoquant le péché de jeunesse, sont même allés jusqu’à le comparer au grand résistant Daniel Cordier ; et puis, bien sûr, il y a Bernard-Henri Lévy. BHL a pris sous son aile, dès le milieu des années 1990, un Moix-caméléon fréquentant, en parallèle, les milieux négationnistes. Aujourd’hui, lui qui trouva « navrante » la complaisance des médias pour Meklat, se veut le sauveur sévère mais juste de la brebis égarée, et va jusqu’à s’octroyer le droit de pardonner « au nom des morts et des vivants », rien que ça. Au nom de quoi, et, surtout, à quel prix ?
Certes, Moix s’est, dès 2007, lancé dans l’étude de l’hébreu, et de ce que l’on nomme la pensée juive. Il l’a fait par passion intellectuelle et littéraire, et aussi pour « se sauver », l’intérêt est sincère, on ne peut le lui nier. Mais la sincérité d’un être a toujours les limites de sa folie intérieure. Et à la question de savoir dans quelle mesure cette démarche salvatrice ne s’est pas doublée chez lui de la croyance folle selon laquelle il faut « toujours suivre les juifs, ce sont des guides, ils sont aux commandes partout » (Céline) – dans quelle mesure il n’est pas mû par la même double conscience qui le conduisait dans les années 2000 et au-delà vers Nabe et Blanrue –, cette question est indécidable, peut-être même par lui.
Tenaille infernale
Quoi qu’il en soit, le voilà pris sans qu’il s’en doute dans une tenaille infernale : reproduire avec son sauveur les relations de sujétion qu’il entretenait avec ses anciens amis.
Est-ce BHL qui lui a soufflé les excuses publiques invraisemblables chez Ruquier samedi, ou est-ce lui qui a pensé lui plaire en le faisant ?
On a vu, en tout cas, ce soir-là, un homme d’âge mur, auteur d’une œuvre conséquente, et parfois remarquable, venir demander « pardon à la communauté juive », à « tous ceux qui respirent comme des êtres humains », et « pardon à Bernard-Henri Lévy ». On l’a vu s’humilier à quémander à la télé son retour en grâce, apportant, pour preuve de sa bonne foi, sa « défense inconditionnelle de l’Etat d’Israël » et « ses combats pour la tolérance ».
Si l’on avait voulu convaincre le public du pouvoir « des juifs » sur les médias – et de leur collusion avec Israël –, on ne s’y serait pas pris autrement. Paradoxe supplémentaire, ces humiliations publiques sont vues, par une bonne partie de la presse et de l’extrême gauche, comme un privilège – le signe que Moix serait protégé. Par qui ? Par ceux qui contrôlent tout, bien sûr.
S’il veut se sauver comme écrivain, Moix doit se sortir de là.
Marc Weitzmann est journaliste et écrivain. Il a publié, en 2018, un essai intitulé Un temps pour haïr (Grasset). Il produit sur France Culture l’émission « Signes des temps », dans laquelle il a reçu dimanche l’écrivain Yann Moix.
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