L’interdiction de la mendicité est devenue une priorité à travers le pays. Six communes ont déjà adopté des arrêtés en ce sens. D’autres s’apprêtent à les imiter.
En plein cœur de l’été, l’information a été largement relayée à l’étranger. Depuis le 1er août, à Eskilstuna, commune de 100 000 habitants, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Stockholm, la mendicité est soumise à autorisation. Valable pour trois mois, le permis obligatoire, à retirer au commissariat ou sur Internet, coûte 250 couronnes (environ 25 euros). En cas d’infraction, l’amende peut aller jusqu’à 4 000 couronnes.
Le maire social-démocrate de la commune, Jimmy Jansson, ne s’en cache pas. L’objectif est de « bureaucratiser et compliquer » la mendicité. Si cela ne tenait qu’à lui, les forces de l’ordre appliqueraient l’arrêté « de façon à ce qu’un nouveau permis soit nécessaire chaque jour ». Selon les associations, entre trente et cinquante personnes, originaires de Roumanie et de Bulgarie, sont concernées.
Eskilstuna n’est pas la seule à tenter d’éradiquer la mendicité dans son centre-ville. Depuis décembre 2018, cinq des 270 communes suédoises ont adopté des arrêtés antimendicité. Plus d’une dizaine prévoient d’en faire autant à l’automne. Dans la banlieue aisée de Stockholm, deux communes ont annoncé qu’elles voulaient également prohiber la collecte de vêtements, d’objets recyclables et de bouteilles sous consigne, aux abords des déchetteries.
Campements incendiés
Au Parlement, les conservateurs, chrétiens-démocrates et l’extrême droite (Sverigedemokraterna, SD), réclament une interdiction nationale de la mendicité. En 2017, les militants sociaux-démocrates, réunis en congrès, avaient adopté une motion en ce sens. Les écolos, leurs alliés au gouvernement, s’y étaient opposés.
Pour comprendre ce qui se trame actuellement dans le royaume scandinave, réputé pour sa tolérance, il faut revenir six ans en arrière, en 2013. En quelques mois cette année-là, des milliers de Roumains et Bulgares, majoritairement roms, débarquent en Suède. Avant de mettre le cap sur le nord de l’Europe, beaucoup ont tenté leur chance en France ou en Italie. Mais les petits boulots s’y font rares et les arrêtés antimendicité foisonnent.
Pour les Suédois, c’est un choc. L’impression de voir débarquer chez eux la misère qu’ils n’observent habituellement que de loin, lors de leurs vacances à l’étranger. Car s’il y a bien des sans-abri en Suède, ils ne font que très rarement la manche et restent souvent invisibles aux yeux du reste de la population.
Les réactions varient. Des voisins se regroupent pour venir en aide à l’homme ou la femme qui mendie devant la boutique du quartier. Certains organisent des collectes, ouvrent la porte de leur maison, proposent un canapé pour accueillir ces migrants européens.
D’autres, au contraire, sont bien déterminés à les faire partir. Des campements illégaux en bordure des villes sont incendiés, les migrants menacés. Lors des élections législatives de septembre 2014, l’extrême droite fait de l’interdiction de la mendicité une promesse de campagne. Les autres partis s’y opposent, prônant une approche européenne. Des ministres se rendent à Sofia et Bucarest pour négocier des solutions locales.
Soutien de la population
Six ans plus tard, les migrants sont toujours là, 4 500 environ, selon les ONG, dans un pays de dix millions d’habitants. La Suède, elle, a changé. Aux législatives de septembre 2018, l’extrême droite a obtenu 17,5 % des voix, son meilleur score. Si le cordon sanitaire tient encore au Parlement à Stockholm, il a sauté dans plusieurs communes. Trois sont désormais dirigées par des maires d’extrême droite. Dans de nombreuses autres, la droite a pu conserver la majorité grâce au soutien du SD.
Toutes font de l’interdiction de la mendicité, présentée comme un facteur d’insécurité, une priorité. La décision de la cour suprême administrative, le 17 décembre 2018, de valider l’arrêt antimendicité adopté par Vellinge, une des municipalités les plus riches de Suède, au sud du pays, était le feu vert attendu par ces communes. Selon un sondage réalisé en 2018, elles ont le soutien de 60 % de la population.
Les ONG, pour leur part, sont extrêmement critiques, estimant que bannir les mendiants des centres-villes n’est en rien une solution à l’extrême misère dans laquelle vivent ces migrants. La plupart d’ailleurs restent en Suède, alors même que le produit moyen de leur collecte quotidienne a été divisé de moitié (de 150 à 70 couronnes) ces deux dernières années.
Les associations mettent en garde contre le risque d’une augmentation de la violence. A Eskilstuna, depuis le 1er août, le harcèlement et les menaces sont journalières. Les passants exigent de voir les permis de mendier et s’en prennent parfois physiquement aux migrants. Certains se sont mis à vendre des baies, pour contourner l’arrêté municipal.
Cette violence latente a déjà fait une première victime. En août 2018, Gheorghe Hortolemei-Lupu, dit Gica, un Roumain de 48 ans, a été mortellement agressé par deux adolescents à Huskvarna, bourgade du centre de la Suède. Tous deux jugés pour violence ayant entraîné la mort, l’aîné, âgé de 16 ans, a été condamné à cinq mois de détention, tandis que le plus jeune, âgé de 14 ans, a été acquitté. Si les médias ont largement relayé l’affaire, le fait divers n’a provoqué aucun débat national.
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