En 1535, Clément Marot compose un poème sur le sein d’une demoiselle. Son «Beau Tétin» connait un succès éclatant. En 2009, Catherine Bernstein applique à son propre corps le style du blason anatomique. Elle se dissèque, nue devant la caméra.
Une femme raconte son corps. Le film dure 6 minutes et s’achève sur une déclaration d’amour. Cela commence par une piqure d’insecte dans son dos, «une zone définitivement morte. C’est la première partie de mon corps à disparaître.» Elle énumère ensuite, par fragments, ses fesses trop rondes d’adolescente, son ventre affaissé par la maternité, ses dents jaunes, le pli de son cou et ses poils drus, bref tout ce qui lui a «pourri la tête» si longtemps qu’elle se cachait pour faire l’amour. Jusqu’au jour où un homme est venu. Il l’a regardée entièrement, dit-elle. «Moi je me voyais en morceaux.»
Le corps : créature de Frankenstein ?
Le film fait partie de la section «Femme nue» qui rassemble des fictions et des documentaires en libre-accès sur le site de KuB (1) avec un point commun : questionner l’influence des images mainstream du corps. Ces images, pour citer Bernard Noël (2), font du corps un objet toujours neuf, toujours beau et «paupérisent le désir en le stylisant.» Comment se définit-on quand on ne colle pas avec les canons de beauté ? Comment faire pour surmonter la détestation de soi ? Dans le film Nue, la réalisatrice Catherine Bernstein apporte une réponse très personnelle : chaque jour, un homme lui «réapprend à être un tout», dit-elle. Bien sûr, cela prend du temps. Les jours gris, elle voit encore les coutures de son corps, qu’elle considère comme un étranger. «Mais les jours clairs, j’arrive à accepter le tout.»
Pour s’aimer soi-même, il faut bien être deux
Pour Catherine Bernstein, s’exposer nue c’est répondre à cet homme : merci de m’avoir recollée. D’abord le film ne montre que des gros plans, fragmentés. Plus on avance, plus la caméra recule. Plus le corps devient entier, exposant de façon palpable le combat intérieur qui déchire cette femme. Pas évident de s’aimer. Dans le dossier de presse, elle raconte : «J’aurai pu intituler ce film Diasparagnos, terme philosophique signifiant : le corps en morceaux. Ou encore Blason, genre littéraire très en vogue au XVIe siècle désignant une poésie qui décrit de manière détaillé, sur le mode de l’éloge ou de la satire, les caractères et qualités d’un être.» Catherine fait allusion aux blasons du corps féminin créés par le poète Clément Marot.
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