- Pierre Bienvault,
- EnquêteÀ la fin du XIXe siècle, des malades mentaux furent sortis des asiles parisiens pour être envoyés dans des familles vivant en zone rurale. C’est cette histoire, toujours d’actualité, que raconte un livre sur la colonie familiale d’une petite commune du Cher.
- Et si on faisait sortir les « fous » des murs de l’hôpital pour les envoyer à la campagne ? En cette fin du XIXe siècle, voilà l’idée qui germe dans l’esprit de plusieurs psychiatres parisiens désarmés devant la surpopulation des asiles de la capitale. Une idée forte, particulièrement audacieuse pour l’époque. Et qui finira par déboucher sur un épisode peu connu de l’histoire de la psychiatrie française : la création de « colonies familiales pour aliénés » à Dun-sur-Auron dans le Cher et à Ainay-le-Château dans l’Allier. Deux communes où, depuis plus d’un siècle, sont accueillies dans des familles des personnes atteintes de maladies mentales, bénéficiant ainsi d’une alternative à l’hospitalisation.
Un mouvement de « désaliénation »C’est l’histoire d’une de ces « colonies », celle de Dun-sur-Auron, que raconte la journaliste Juliette Rigondet dans un livre passionnant, Un village pour aliénés tranquilles (1). Un ouvrage qui retrace ce qui aura été l’une des premières pierres du mouvement de « désaliénation » qui bouleversera la psychiatrie une soixantaine d’années plus tard. « Beaucoup de psychiatres un peu âgés ont entendu parler de ces colonies dont l’histoire reste en revanche très méconnue dans les nouvelles générations », constate Juliette Rigondet.Mais impossible de raconter cette histoire sans parler de la loi de 1838 qui imposait à chaque département de créer un établissement destiné à soigner les « aliénés ». Des hôpitaux psychiatriques qui, très vite, furent débordés par l’afflux de patients. En 1890, on recensait ainsi 60 000 personnes dans ces asiles contre 11 000 en 1838. Un « succès » lié en partie à la notion de « dangerosité » inscrite dans la loi et pouvant être associée aux « aliénés », aux « idiots », aux « déments », aux alcooliques ou toute personne susceptible de perturber la tranquillité publique. « La surpopulation des asiles, à la fin du XIXe siècle, venait essentiellement de la nature policière de la loi de 1838 », écrit Juliette Rigondet.« L’idée était aussi que ces patients puissent profiter du bon air de la campagne »Débordés, ces asiles étaient souvent dans l’incapacité de soigner correctement les malades. Et c’est d’ailleurs ce qui incita, avec d’autres, un jeune psychiatre parisien, Auguste Marie, à faire sortir des asiles un certain type de patients : les « chroniques » ou « incurables ». Pour désencombrer les hôpitaux et se donner une chance de mieux guérir les patients « curables » ou « aigus ». Convaincu par le docteur Marie, le conseil général de la Seine décida ainsi en 1890 d’envoyer des aliénés parisiens dans des familles, à la campagne. « L’idée était aussi que ces patients puissent quitter la ville et profiter du bon air de la campagne », indique le docteur Philippe Paulino, aujourd’hui responsable de l’accueil familial thérapeutique à l’hôpital d’Ainay-le-Château.« Des vieillards séquestrés jusqu’ici comme aliénés »La première commune à accepter le projet fut Dun-sur-Auron, alors bourgade rurale de 4 000 habitants, en crise économique après la fermeture des forges et des mines. Et c’est ainsi que le 15 décembre 1892 le docteur Marie débarqua à Dun avec 24 malades répartis dans une dizaine de familles volontaires. Dans les années suivantes, le nombre de patients ne cessa d’augmenter. En 1913, la colonie de Dun comptait environ un millier de malades. Et la dynamique fut sensiblement la même à Ainay-le-Château, qui ouvrit une colonie autonome en 1890.Le recrutement de ces malades était fait avec soin. Et sous le regard prudent des autorités. Dans une lettre de 1892, le ministère de l’intérieur précisait que le choix des malades ne devait se faire que parmi « des vieillards séquestrés jusqu’ici comme aliénés, dont l’état de démence incurable mais tranquille et l’affaiblissement sénile des facultés ne justifient pas de façon absolue le maintien en asile ». Ces malades devaient donc être plutôt âgés, « non délirants » et inoffensifs. Pour rassurer les familles d’accueil et la population, des femmes furent d’abord envoyées à Dun. Souvent « gâteuses et impotentes », comme le constatait en 1897 le docteur Marie.
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mardi 9 juillet 2019
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