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mercredi 13 février 2019

« La maternelle est devenue une antichambre de l’école élémentaire »

   Françoise Carraud Chercheuse en sciences de l'éducation Publié le 11 février 2019

Dans une tribune au « Monde », Françoise Carraud, chercheuse en sciences de l’éducation, estime que l’institution scolaire « ne semble pas réellement attentive » aux évolutions de l’école maternelle ni au désarroi de ses enseignants.

Tribune. L’école maternelle est depuis longtemps plébiscitée. Pas besoin de vote ni d’obligation, il suffit de regarder les chiffres publiés par le ministère de l’éducation nationale : la quasi-totalité des enfants de 3 ans est scolarisée depuis les années 1990. Pourtant, tout comme sa grande sœur élémentaire, l’école maternelle est diverse. Elle est constituée d’une à dix classes, voire plus (trois en moyenne), située en ville ou à la campagne, en éducation prioritaire ou dans un quartier favorisé, installée dans un bâtiment neuf ou ancien, avec ou sans escaliers, une grande ou une petite cour, ombragée ou non, etc. Les différences sont nombreuses et sensibles, tant pour les enfants que pour les enseignants.


En effet, grandir et travailler dans des environnements aussi différents n’est pas toujours comparable, même si les programmes et l’organisation générale des écoles maternelles sont identiques partout en France. Ainsi l’unité et l’uniformité de la scolarisation des jeunes enfants, voulues au niveau national, se déclinent inégalement selon les territoires. Ces variations territoriales, trop souvent minimisées, sont cependant toutes inscrites dans des évolutions qui ont radicalement transformé l’école maternelle.

Seuls les spécialistes se sont intéressés au détail de ces changements qui, accumulés depuis une cinquantaine d’années, ont fait de l’école maternelle une antichambre de l’élémentaire, l’école primaire fondant à présent une scolarité longue puisque tous les écoliers deviennent des collégiens puis des lycéens. C’est ainsi que, par exemple, alors que l’éducation physique est inscrite dans les programmes de cette école, la place du corps et du mouvement s’y est sévèrement réduite, tout comme celle du jeu ou des activités artistiques. Dès 3 ans, les enfants doivent rester assis de longs moments, ne parler que quand c’est prévu, écouter et suivre des consignes strictes pour faire des exercices complexes, avec papier et crayon…

Désarroi exprimé par les professionnels
Comme leurs enseignants, ils sont soumis à des emplois du temps très précis qui découpent le temps en petites unités et encadrent des déplacements et des activités identiques pour tous. Difficile de résister à ces exigences qui relèvent des injonctions et des programmes nationaux et qui rejoignent les préoccupations des parents. En effet, tout le monde s’accorde et insiste sur le fait que l’école maternelle a un rôle essentiel pour la réussite de la scolarité, notamment pour les enfants issus de milieux sociaux défavorisés. Mais cela signifie-t-il qu’il faille, à l’école maternelle, mimer l’école élémentaire ?

« Comme si la bienveillance n’était pas au cœur du métier enseignant, spécialement en maternelle »

Ce pilotage par l’aval a, pour partie, limité le temps de l’enfance à une seule propédeutique à l’âge adulte. Sous prétexte d’aider tous les enfants à devenir des élèves, et de bons élèves, cette organisation de l’école maternelle a totalement transformé l’accueil et la vie quotidienne des jeunes enfants (et de leurs enseignants). Si bien qu’aujourd’hui nombre d’entre eux ont des difficultés à s’adapter, à se conformer et sont rétifs à l’école et à ses règles. Si bien qu’aujourd’hui la notion de bienveillance a été introduite dans les programmes ! Comme si la bienveillance n’était pas au cœur du métier enseignant, spécialement en maternelle.

Et c’est au nom du respect de l’enfant : du respect de son rythme personnel, de celui de son développement physique, affectif et psychique… bref de sa vie d’enfant, qu’aujourd’hui les références et les recours à d’autres formes pédagogiques (Montessori, mais pas seulement) se multiplient. Tant du côté des enseignants que du côté des parents.

Cependant, tandis que certains enseignants tentent de repenser et de réorganiser l’école maternelle – en aménageant différemment l’espace, le temps et les activités proposées aux enfants (souvent contre l’avis de leurs autorités) –, tandis que d’autres créent de nouvelles structures et des écoles maternelles privées, l’institution scolaire ne semble pas réellement attentive au désarroi qu’expriment les professionnels, les parents et les enfants eux-mêmes. Comme si le renvoi aux écoles maternelles privées, dont le nombre augmente de plus en plus, était le seul recours envisageable pour les familles, particulièrement pour celles possédant des ressources sociales, financières et matérielles suffisantes. Vous avez dit égalité ?


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