Maladie dégénérative, handicap, grand âge… Certaines situations peuvent altérer les fonctions mentales d’une personne et la rendre incapable de défendre ses propres intérêts. Si différentes mesures de protection judiciaire peuvent la mettre à l’abri, certains outils permettent aussi d’anticiper pour faire face à ces situations délicates.
De nombreuses familles sont confrontées à la vulnérabilité d’un de leurs proches. En France, 1,2 million de personnes souffrent de perte d’autonomie. Légère ou lourde, elle touche généralement les plus âgés (une personne sur cinq de plus de 85 ans, selon le ministère de la santé). Elle concerne aussi leurs proches puisque 4,3 millions de personnes aident régulièrement un de leurs aînés. Parmi elles, 2,8 millions les aident pour leur vie quotidienne à domicile. En outre, certains parents font face au handicap de leur enfant qui ne peut pas subvenir seul à ses besoins. Ils doivent anticiper pour le protéger, sans léser le reste de la fratrie.
Lorsqu’une personne a perdu tout ou une partie de ses facultés mentales ou qu’une raison médicale l’empêche d’exprimer sa volonté, elle est incapable de défendre ses intérêts. Pour éviter qu’elle se mette en danger financièrement, un membre de la famille peut solliciter une mesure de protection auprès du juge. Sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle, ces trois dispositifs permettent différents degrés de protection.
La tutelle plus contraignante
La sauvegarde de justice est temporaire (un an, renouvelable une fois) et prononcée le plus souvent dans l’attente de l’ouverture d’une tutelle ou d’une curatelle. La curatelle permet à une personne vulnérable d’agir seule pour les actes courants mais d’être assistée et contrôlée par son curateur pour les actes plus graves.
La tutelle est, elle, beaucoup plus contraignante puisque le tuteur, nommé par le juge, représente la personne dans tous les actes patrimoniaux de la vie civile. « C’est au juge de choisir entre ces différents régimes de protection. Mais aujourd’hui, on constate que la mesure de tutelle est très souvent prononcée », précise Charlotte Robbe, avocate au barreau de Paris.
Depuis 2016, l’habilitation familiale est venue s’ajouter à la liste de ces régimes. Elle permet à l’un ou plusieurs de ses proches (conjoint, partenaire pacsé, concubin, enfant, petit-enfant, parent, grand-parent, frère ou sœur) de représenter une personne dont les facultés sont altérées et de passer des actes en son nom. Plus simple à faire fonctionner, ce dispositif est aussi plus facile à accepter sur le plan psychologique. Mais il implique un climat de très grande confiance au sein de la famille puisque, à la différence de la tutelle ou de la curatelle, le juge n’intervient plus une fois qu’elle est prononcée, excepté en cas de difficulté soulevée, notamment, par l’un des membres de la famille.
Si elles ont le mérite d’exister, ces mesures sont bien souvent perçues comme une punition par les personnes vulnérables, mais aussi par leur famille, qui culpabilise d’avoir à saisir le juge. Elles font aussi l’objet de vives critiques tant au regard de leur conformité avec la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (entrée en vigueur en France en 2010) que dans leur mise en œuvre, certains dysfonctionnements du système des tutelles étant régulièrement dénoncés par les familles.
Des mesures qui permettent d’anticiper
Le projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022, actuellement en cours d’adoption, entend les améliorer. « Il s’agit avant tout de rustines destinées à corriger certaines défaillances », estime Charlotte Robbe. Les majeurs sous tutelle auront un droit de vote intangible, la possibilité de se marier ou de se pacser sans autorisation du juge, et de divorcer sans représentation. Il renforce aussi l’habilitation familiale ou le contrôle des comptes dans le cadre des tutelles.
« Si le patrimoine est important, le juge pourra notamment externaliser la vérification des comptes auprès de professionnels comme un expert-comptable ou un notaire », précise Nathalie Peterka, professeure de droit à l’université Paris-Est-Créteil (UPEC). Certaines mesures s’inspirent du rapport « Reconnaître, soutenir et protéger les personnes les plus vulnérables », remis en septembre 2018 à la garde des sceaux par Anne Caron-Déglise, avocate générale à la Cour de cassation, qui prône de son côté une réforme de plus grande ampleur pour ces régimes.
Car, même retouchées, les mesures de protection judiciaire doivent rester un ultime recours. Avant d’en arriver là, il est possible de s’organiser à l’avance pour faire face à une éventuelle incapacité d’un proche ou de sa propre personne. « Nous avons aujourd’hui tous les outils pour permettre d’anticiper une future dépendance », rappelle Charlotte Robbe. Cela notamment grâce au mandat de protection future.
Créé en 2009, ce contrat permet de prévoir sa propre protection et celle de son patrimoine en cas de vulnérabilité, sans avoir à solliciter le juge des tutelles. « Il s’adresse, par exemple, aux personnes qui souhaitent donner des indications claires à leurs proches pour leur fin de vie. Certains parents peuvent aussi y avoir recours pour organiser la vie future de leur enfant handicapé », précise Nathalie Couzigou-Suhas, notaire à Paris.
Privilégier la discussion en famille
La rédaction d’un tel contrat doit être accompagnée d’une stratégie patrimoniale sur-mesure. Par exemple, en présence d’un enfant handicapé, une aide matérielle et financière doit être envisagée, les aides sociales accordées étant souvent insuffisantes pour subvenir aux besoins fondamentaux. Il faut aussi bien veiller à opter pour les placements adaptés (assurance vie, rente survie, contrat épargne handicap…) car les revenus procurés par certains investissements peuvent être décomptés des aides dont l’enfant est bénéficiaire (allocation adulte handicapé…).
En présence de patrimoine, il est possible d’utiliser la quotité disponible (la part dont on dispose librement dans sa succession) pour favoriser un enfant vulnérable, ou d’avoir recours à une donation ou un legs accompagné d’une clause prévoyant qu’au décès du bénéficiaire les biens reviendront à une personne désignée comme, par exemple, un frère ou une sœur.
Enfin, privilégier la discussion en famille reste indispensable. « La perte d’autonomie est la principale crainte des Français pour leurs proches. Mais ce sujet reste tabou dans les familles », constate Nathalie Couzigou-Suhas. Anticiper permet pourtant de limiter les discordes lors de ces situations délicates. Même recommandation en présence d’un enfant handicapé qu’il faudra protéger davantage que les autres, en accord avec ses frères et sœurs.
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