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jeudi 14 février 2019

A la Berlinale, Casey Affleck, François Ozon et leurs films sur les enfants perdus

Que faisons-nous de nos enfants ? C’est la question que posent plusieurs films présentés au Festival de Berlin, comme « Light of My Life » et « Grâce à Dieu ».
Par Thomas Sotinel Publié le 13 février 2019
Helena Zengel incarne Benni dans le film allemand de Nora Fingscheidt, « Systemsprenger ».
Helena Zengel incarne Benni dans le film allemand de Nora Fingscheidt, « Systemsprenger ». KINEO FILM
Que faisons-nous de nos enfants ? Des proies, des criminels, des terroristes, au mieux des patients à soigner. A mi-parcours de la 69e Berlinale, qui se terminera le 17 février, un festivalier assidu se prendra à douter de la capacité de l’espèce à se perpétuer. La récurrence de ce thème tient sans doute à la volonté de l’équipe de programmation du festival allemand de proposer une sélection cohérente. Mais au bout d’une semaine passée à voir ces enfants perdus hanter des films venus de Naples, de New York ou du futur, des contes fantastiques ou des chroniques policières, cette tendance a fini par s’imposer comme un symptôme.

Il s’est manifesté dès le film d’ouverture, The Kindness of Strangers, tourné par la Danoise Lone Scherfig en Amérique du Nord. On y voit une jeune mère (Zoe Kazan) fuir un mari violent et errer dans les rues de New York en hiver. Comme le titre – qui se traduit par « la bonté des inconnus » – le laisse présager, les enfants échapperont à l’hypothermie et à la misère grâce à de bons Samaritains incarnés par une cohorte de visages connus : Tahar Rahim, Bill Nighy, Andrea Riseborough, entraînés dans une longue valse-hésitation entre mélodrame et conte de fée.

Légende et épopée

L’auteure d’Italian for Beginners ou Une éducation a eu le mérite de donner le « la ». Dès le lendemain, le premier candidat allemand à l’Ours d’or, Systemsprenger (« briseur de système ») renouvelait l’image de l’enfant saisi par l’hiver. Benni (Helena Zengel) n’a pas 10 ans, elle peut être violente, pour elle-même, pour les autres, elle fuit dans la neige. Le premier long-métrage de Nora Fingscheidt tente (et réussit pendant la première moitié du film) de tenir deux registres à la fois, celui de la chronique sociale – les efforts des éducateurs, des médecins pour venir à bout du trouble de l’enfant – et celui de la légende : les destructions, les transgressions prennent une dimension épique qui permet de ne pas réduire ce personnage d’enfant malade à sa seule souffrance.
Pour les enfants de Piranhas, de Claudio Giovannesi, l’épopée est au coin de la rue : celle des chefs du crime organisé napolitain morts au travail ou croupissant en prison. Mais le destin de ces aînés a laissé un vide. L’adaptation du premier roman de Roberto Saviano raconte comment une poignée de jeunes adolescents, menés par Nicola, (Francesco Di Napoli) assoit sa domination sur le quartier. Le recours aux figures du film de gangsters, son application à des personnages qui ont encore l’âge d’aller au collège devraient glacer le sang, mais Claudio Giovannesi se laisse prendre au piège qui guette les portraitistes des rois du crime – fussent-ils des petits princes : trop fasciné par la réussite, il ne parvient pas à mettre en scène ce qui est perdu.

Paysage inquiétant

Casey Affleck, lui, ne filme que ce qui est perdu : tout ce qui faisait le monde. On ne verra qu’un enfant dans Light of My Life (présenté hors compétition), son second long-métrage en tant que réalisateur après le canular I’m Still Here.L’enfant en question est présenté d’abord comme un garçon, il accompagne son père dans une Amérique post-apocalyptique, dépeuplée de ses femmes et privée de son futur par une pandémie foudroyante. On comprendra vite qui est cet enfant, ce qui le menace. Casey Affleck, qui a été mis en cause par le mouvement #metoo pour son attitude pendant le tournage de I’m Still Here, s’est défendu à Berlin d’avoir fait acte de contrition avec Light of My Life. Il est vrai qu’il serait curieux de s’excuser auprès d’un genre tout en en imaginant l’extinction (Affleck a également écrit le scénario). Reste que le monde exclusivement masculin qu’il imagine et la réinvention de la figure paternelle qu’il impose à son héros (rôle qu’il s’est confié) se déploient avec une sobriété et une assurance qui font oublier les conventions du genre.
François Ozon a d’autant plus impressionné avec « Grâce à Dieu » qu’on ne l’attendait pas sur le terrain du film « inspiré d’une histoire vraie »
Dans le paysage inquiétant – par ses images et la très inégale qualité des films – de la compétition berlinoise, on a trouvé une espèce de réconfort avec l’une des plus terribles histoires qui ont été contées autour de la Potsdamer Platz cette année. Grâce à Dieu, de François Ozon, a d’autant plus impressionné que l’on n’attendait pas l’auteur de Dans la maison sur le terrain du film « inspiré d’une histoire vraie ». Là aussi, il s’agit d’enfants mis en danger et gravement blessés par l’institution qui prétendait les défendre – l’église catholique.
Le film d’Ozon, qui se confond en partie seulement avec ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Barbarin », n’évoque que très épisodiquement l’enfance de ses trois principaux personnages, des adultes qui doivent faire face aux crimes impunis dont ils ont été victimes dans leur jeunesse, incarnés par Melvil Poupaud, Denis Ménochet et Swann Arlaud. Ces quelques retours en arrière terrifiants, hantés par la figure de Bernard Preynat, le prêtre toujours en attente de jugement, sont à la fois une charge irréfutable et un témoignage de la puissance du cinéma. Appréciations qui conviennent au film dans son intégralité, et lui ont permis de renouveler la foi cinéphile des festivaliers, parfois mise à rude épreuve les jours précédents.
Thomas Sotinel (Berlin, envoyé spécial)

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