L’analyse de l’ADN circulant dans le sang de la femme enceinte permet de détecter de façon non invasive un nombre croissant d’anomalies. Le comité national d’éthique invite à la réflexion avant son extension à d’autres maladies que la trisomie.
Matinée ordinaire de consultation pour la docteure Géraldine Viot, généticienne dans l’unité de diagnostic prénatal de l’Hôpital américain de Paris. Face à elle, une jeune femme de 36 ans enceinte de trois mois, adressée par son gynécologue. Géraldine Viot l’interroge sur ses antécédents obstétricaux et familiaux, regarde son dossier médical.
« Votre échographie est parfaite, mais il y a un marqueur biochimique dont le taux est un peu élevé, résume-t-elle. En combinant les données de l’échographie, des marqueurs, et votre âge, l’algorithme a évalué le risque de trisomie 21 pour votre bébé à 1/474. Selon les critères de la Haute Autorité de santé (HAS), nous pouvons vous aider à affiner ce risque en vous proposant une quantification de l’ADN fœtal dans votre sang. »
Sur une feuille blanche, la généticienne dessine des chromosomes, tout en expliquant le principe de ce dépistage : de l’ADN du fœtus passant dans la circulation maternelle, son « pesage » permet de détecter un éventuel chromosome 21 surnuméraire. Cet ADN fœtal libre peut être quantifié dès la onzième semaine d’aménorrhée, et jusqu’à la vingt-septième.
« Si l’examen est négatif, on arrête de vous embêter, car le risque de trisomie 21 est alors divisé par cent, soit 1/47 000. S’il est positif, la probabilité qu’il s’agisse réellement d’une trisomie est de 99,9 %, et nous réaliserons une amniocentèse pour confirmer le diagnostic », poursuit la praticienne.
Pas encore de prise en charge par l’Assurance-maladie
Le résultat du test, qui recherche aussi les trisomies 13 et 18 – plus rares et beaucoup plus sévères que la trisomie 21, sera connu en dix jours. Son coût, 390 euros, n’est pas encore pris en charge par l’Assurance-maladie, « mais beaucoup de mutuelles participent déjà », assure Mme Viot, en incitant sa patiente à en faire la demande.
Arrive ensuite un couple, dont la femme est enceinte de cinq semaines. Elle aussi est
référée à l’Hôpital américain pour organiser un diagnostic prénatal, en l’occurrence un
diagnostic de sexe fœtal sur sang maternel. La jeune femme est en effet porteuse saine d’une mutation responsable du syndrome de Kennedy, ou amyotrophie bulbo-spinale liée à l’X, une affection neuromusculaire rare transmise par les femmes et affectant les hommes.
« Nous allons rechercher dans votre sang la présence d’Y, idéalement vers neuf-dix semaines d’aménorrhée. S’il n’y en a pas, cela voudra dire que vous attendez une petite fille, et il ne sera pas nécessaire de proposer d’autres investigations. Si c’est un garçon, nous vous proposerons une biopsie de trophoblaste [placenta], pour déterminer le statut de votre bébé », détaille Géraldine Viot.
Avec chaque patiente à qui elle propose cet examen de l’ADN fœtal dans le sang maternel (quatre ce matin de septembre), la généticienne prend le temps de détailler ses performances et ses limites, s’assure que la principale intéressée a compris le principe et les suites possibles.
« Non invasif »
Moins de sept ans après leur mise à disposition (d’abord aux Etats-Unis à l’automne 2011, puis dans de nombreux pays, dont la France), les recherches d’ADN fœtal sur sang maternel ont déjà transformé le diagnostic prénatal, en diminuant notablement le recours aux examens invasifs – amniocentèses et biopsies de trophoblaste.
Et ce n’est sans doute qu’un début. Dans son avis 129 concernant la loi de bioéthique, rendu public mardi 25 septembre, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) propose de « favoriser un développement de ces approches de dépistage non invasif sur le sang de la mère (...) à un nombre supérieur d’anomalies génétiques ». Le CCNE précise que « la question de son éventuelle extension à l’analyse d’autres gènes de prédisposition, voire à l’ensemble du génome fœtal, nécessitera, une nouvelle fois, d’apporter une réflexion éthique, déjà amorcée par le CCNE dans l’avis 120 ».
Aujourd’hui, en France, seule l’indication dans la trisomie 21, validée par la HAS en 2015, fait consensus. Le dépistage de cette affection génétique, auquel ont recours 85 % des femmes enceintes, repose en première intention sur la combinaison d’une échographie et de marqueurs sanguins au premier trimestre de la grossesse. Si le risque estimé est élevé, supérieur à 1/50, un caryotype fœtal est conseillé d’emblée. Une quantification d’ADN fœtal dans le sang maternel est recommandée pour un risque compris entre 1/51 et 1/1 000. Ce seuil varie selon les pays.
Avec la montée en charge de ces tests non invasifs, le nombre de caryotypes fœtaux (par amniocentèse ou biopsie de trophoblaste)qui avait déjà chuté ces dernières années en France continue de diminuer : il est passé de 38 541 en 2014 à 24 496 en 2016, selon les données de l’Agence de biomédecine. Des données à rapporter au nombre total des naissances : 783 640 en 2016.
« Notre métier de généticien n’est plus le même »
Sur le territoire, quatorze laboratoires pratiquent désormais les analyses d’ADN fœtal sur sang maternel, ils n’étaient que deux en 2014. Quand une trisomie 21 est confirmée par le caryotype fœtal, la plupart des femmes (77 % à 90 % en 2016) choisissent d’interrompre leur grossesse. En France, en 2016, 84 enfants sont nés avec une trisomie 21 diagnostiquée en prénatal, et 488 ont été diagnostiqués après la naissance.
Ces tests, qui devraient bientôt être pris en charge par l’Assurance-maladie le sont déjà en Suisse, en Belgique, au Danemark et aux Pays-Bas. Dans des pays comme les Etats-Unis, cette approche dite de diagnostic prénatal non invasif (DPNI) – en réalité plutôt un outil de dépistage –, va beaucoup plus loin que les trisomies. C’est le cas aussi au centre de diagnostic prénatal de l’Hôpital américain, qui a été le premier à proposer ces tests en France, début 2013, et en a déjà pratiqué plus de 10 000.
Depuis trois ans, outre la recherche de trisomies, le docteur François Jacquemard et son équipe proposent, dans certains contextes, un examen plus complet, avec des kits analysés aux Etats-Unis. L’un, appelé MaterniT21Plus, permet de rechercher les sept principales microdélétions (perte d’un fragment de très petite taille de chromosome) dont la délétion 22q11 (syndrome de DiGeorge), la plus fréquente ; la délétion 15q (syndromes d’Angelman et Prader-Willi)... « Toutes sont associées à des difficultés d’apprentissage et des troubles du registre autistique »,souligne Mme Viot. Le taux de détection varie de 75 % à 95 % selon la microdélétion. Le test le plus complet, appelé MaterniT Genome (980 euros), quantifie l’ADN des vingt-trois paires chromosomiques, repérant sur chaque chromosome des anomalies de sept mégabases ou plus, « un seuil de détection équivalent à un caryotype fœtal par amniocentèse classique », poursuit-elle.
« Notre métier de généticien n’est plus le même qu’il y a cinq ans. Le DPNI est un outil génial qui nous sort de situations compliquées sans prendre de risque pour la grossesse »,s’enthousiasme la spécialiste, en expliquant son intérêt en présence de « petits signes d’appel à l’échographie » et dans certaines situations familiales (translocation familiale, par exemple).
Troubles du neurodéveloppement
La spécialiste, qui fait aussi des bilans génétiques chez des enfants atteints de troubles du neurodéveloppement, en particulier déficience intellectuelle et autisme, illustre par des exemples. Récemment, elle a ainsi reçu une femme enceinte, qui avait déjà un enfant autiste, et il y avait deux autres cas de troubles envahissants du développement dans sa famille proche. L’origine de ces troubles n’était pas identifiée. « Elle a demandé un test d’ADN fœtal complet, souhaitant diminuer les risques pour son futur bébé. Si on trouve une microdélétion connue pour être associée à des troubles autistiques et que ce remaniement est confirmé à l’amniocentèse, l’indication d’une interruption médicale de grossesse sera discutée avec la patiente », indique Mme Viot.
Elle évoque aussi le cas de la microdélétion du syndrome de DiGeorge, dont la fréquence est de 1/2 000 à 1/4 000 à la naissance. « Ces enfants ont des troubles d’apprentissage dans 80 % des cas, et plus d’un tiers développent des troubles psychiatriques sévères à l’âge adulte. Il existe une variabilité d’expression dans ce syndrome. La gravité dépend aussi de l’existence d’une malformation associée, en particulier cardiaque », souligne-t-elle.
L’immense majorité de ces microdélétions sont accidentelles, non héritées des parents, mais il arrive qu’un des parents soit porteur, et le risque de transmettre est alors de 50 %.
Au total, sur les 10 000 recherches d’ADN fœtales sur sang maternel déjà pratiquées à l’Hôpital américain, les médecins ont eu seulement dix faux positifs, c’est-à-dire des anomalies non confirmées après geste invasif. « Cela correspond à des défauts
chromosomiques au niveau du placenta, mais non présents dans les cellules fœtales, car l’ADN que nous analysons est en fait de l’ADN placentaire », décrypte Mme Viot.
« Controverse internationale »
Mais ces dépistages, plus larges par ADN fœtal sur sang maternel, et que l’équipe de
l’Hôpital américain est la seule à proposer en France, ne font pas l’unanimité. « Ces tests sont très fiables pour la trisomie 21, un peu moins pour les trisomies 13 et 18. Quant aux recherches de microdélétions, c’est techniquement plus difficile, et les résultats sont moins bons », estime le professeur Damien Sanlaville, chef du service de génétique des Hospices civils de Lyon.
Concernant le syndrome de DiGeorge, en particulier, « il y a une controverse internationale sur sa fiabilité, et sur l’intérêt du dépistage prénatal sur ADN fœtal, poursuit-il. Les plus optimistes estiment que le taux de faux positif est de 50 %, les plus réticents parlent de 80 %, c’est-à-dire que huit femmes sur dix seraient inquiétées pour rien ». La question de la sévérité du syndrome et donc de la pertinence d’une interruption médicale de grossesse en cas de diagnostic prénatal est aussi posée.
« Aux Etats-Unis, cela se fait. Il y a aussi des demandes en France suite à un diagnostic de syndrome de DiGeorge, mais il est impossible de prédire le pronostic en dehors de celui de la malformation cardiaque, si elle est présente et dépistée à l’échographie », pointe Damien Sanlaville. Une limite que reconnaît Géraldine Viot, en soulignant l’importance d’une analyse au cas par cas du contexte familial (notion d’un enfant déjà atteint avec un handicap lourd par exemple) pour prendre la décision.
Dans une tribune publiée le 5 septembre, trois médecins de l’hôpital Necker (Assistance publique - Hôpitaux de Paris) dont le professeur Yves Ville, un autre pionnier des tests d’ADN fœtal dans le sang maternel en France, sont carrément critiques. « La transformation de cette révolution scientifique en révolution sociétale a été très – voire trop – rapide, et s’est focalisée sur la trisomie 21 (...). Cette précipitation s’explique en partie par le financement privé de cette recherche et l’impatience des investisseurs », écrivent-ils.
Ne pas enterrer trop vite les amniocentèses
Pour Yves Ville, il faudra probablement encore cinq ans pour disposer de tests non invasifs suffisamment fiables pour les microdélétions. En attendant, il plaide pour ne pas enterrer trop vite les amniocentèses. « L’étude que nous avons récemment publiée dans le Journal of the American Medical Association(JAMA) montre que ces examens de référence ne sont pas associés à un risque accru de fausse couche. De plus, ils permettent des analyses par puces à ADN (ou CGH array) qui mettent en évidence 6 % d’anomalies de plus que le simple caryotype »,insiste-t-il. A Necker, ces tests cytogénétiques par amniocentèse sont désormais proposés aux femmes en alternative aux examens d’ADN fœtal circulant.
Jean-Marc Costa, responsable du pôle génétique humaine du laboratoire Cerba, un des premiers laboratoires en France à avoir travaillé sur les analyses d’ADN fœtal sur sang maternel, est lui aussi réservé sur l’élargissement des indications, pour la recherche de microdélétions notamment. Après avoir mené plusieurs études cliniques de faisabilité, le laboratoire n’a pas cherché à proposer ces nouveaux tests sanguins, notamment dans l’attente des prochaines lois bioéthiques. « Pour la trisomie 21, la preuve n’est plus à faire, mais plus on élargit les recherches sur le génome, plus on s’adresse à des anomalies rares, et faire la démonstration est de plus en plus difficile », résume M. Costa.
Pour ce biologiste, la voie d’avenir pourrait passer par l’analyse non plus de l’ADN fœtal, mais plutôt par celle des cellules fœtales circulant dans le sang maternel. « L’ADN fœtal retrouvé dans la circulation maternelle provient en fait du placenta, d’où des discordances avec des faux négatifs et des faux positifs. Les cellules fœtales, et en particulier celles de la lignée rouge, les erythroblastes, proviennent, elles, du fœtus lui-même. Ces cellules sont difficiles à identifier, car peu nombreuses, mais de nombreux laboratoires dans le monde travaillent sur le sujet », affirme le biologiste de Cerba.
Le diagnostic prénatal non invasif sur ADN fœtal circulant va-t-il prendre de
l’ampleur dans notre pays ? D’autres équipes que celle de l’Hôpital américain vont-elles proposer des tests élargis ? « Ce qui est encadré très fortement en France, ce sont les
laboratoires, mais si des prescripteurs envoient leurs examens dans d’autres pays, leurs données nous échappent », indique le professeur Philippe Jonveaux, de l’Agence de biomédecine, qui recueille les données d’activité nationales concernant les diagnostics prénataux. « Sur l’extension et la performance des examens de l’ADN fœtal dans le sang maternel, c’est aux sociétés savantes de se prononcer », poursuit-il.
Et d’insister . « Ces approches doivent être validées par les autorités compétentes. Il serait un peu dommageable de faire des tests tout venant qui induiraient une augmentation des examens invasifs.» Une critique qui en son temps avait justement été faite aux marqueurs sériques de la trisomie 21 et qu’on pensait résolue par les tests d’ADN fœtal. Paradoxe.
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