Depuis trois ans, la municipalité, qui a fait de l’égalité femmes-hommes l’une de ses priorités, cherche à inciter les enfants à interagir.
Dans la cour de récréation de l’école maternelle Michel-de-Montaigne, à Trappes (Yvelines), un enfant de 4 ans se rue vers sa maîtresse pour lui offrir « un gâteau ». « Délicieux », réagit l’institutrice tandis que le garçonnet lui tend une pierre surmontée d’un tas de feuilles. « Vous voyez, les garçons me préparent des gâteaux, et les filles se poursuivent dans la cour », commente l’enseignante, Gaëlle Bourré, qui remarque que « chez les plus jeunes, les rapports ne sont pas si genrés ».
Pour étayer ce constat, la ville de 30 000 habitants, sise au sud-ouest de Paris, mène depuis plusieurs années une réflexion sur l’égalité entre les sexes dès le plus jeune âge. « Nous estimons qu’il faut prendre le pli de la mixité dès l’enfance », fait savoir Thomas Urdy, adjoint au maire de Trappes chargé de l’urbanisme et de l’environnement. Dans cette ville où la moyenne d’âge est de 27 ans, « l’école constitue le cœur battant de la ville », insiste l’élu socialiste.
En trois ans, une douzaine d’établissements scolaires de la ville ont été partiellement réaménagés afin de favoriser la mixité filles-garcons. Mais l’école Michel-de-Montaigne est la première à avoir été entièrement repensée. « Sans modèle type, juste avec une volonté de sortir des stéréotypes », explique M. Urdy. La cour flambant neuve, qui a bénéficié d’un budget de 430 000 euros de la mairie, a été inaugurée à la rentrée.
Sortir du « rose princesse »
Lorsque sonne l’heure de la récréation, garçons et filles se ruent sur l’aire de jeu, composée d’un toboggan fuchsia, de jeux sur ressort et d’un tourniquet. Le tout installé sur un terrain synthétique mauve fluo, parsemé d’étoiles et de planètes jaunes. « Nous avons travaillé autour du thème de la science, qui n’est pas cloisonné à un âge particulier, et qui s’adresse aux garçons comme aux filles », explique M. Urdy, précisant avoir voulu« sortir des stéréotypes », comme le terrain de foot, le « bleu chevalier » et le « rose princesse ».
Le terrain en bitume qui occupait auparavant le centre de la cour de récréation – et que les garçons s’étaient approprié pour jouer au foot – a laissé place à une pelouse synthétique, sur laquelle une route circulaire a été ajoutée, afin d’inciter les enfants à se déplacer davantage, notamment en créant des jeux autour de ces chemins. D’une même voix, les enseignants, qui ont été consultés sur le choix de l’espace de jeux, constatent que les élèves sont « plus détendus » et qu’ils « interagissent davantage entre eux ».
« La relation filles-garçons ne tend pas de façon intrinsèque à une forme de ségrégation. Au contraire, quand on observe de très jeunes enfants en train de jouer, on constate qu’ils se mélangent naturellement », abonde Edith Maruéjouls, docteure en géographie, spécialiste de l’égalité dans la cour d’école, selon qui « c’est l’aménagement de l’espace qui sépare les deux sexes ». Et ce, dès le plus jeune âge, insiste l’experte, qui a pu le constater lors de ses nombreuses séances d’observations dans les écoles, où elle intervient pour accompagner les collectivités qui tentent de promouvoir l’égalité.
Démonter les clichés
Ce travail sur la mixité, matérialisé dans la cour de récré, s’accompagne durant les cours de modules plus théoriques sur la question. Enseignante auprès des petites sections, la directrice de l’école, Béatrice Riom, a instauré dans sa classe des « débats philo », durant lesquels elle interroge et déconstruit les représentations des enfants sur le rôle des femmes et des hommes. « Je pars d’un univers qui leur parle, comme une image de Petit Ours brun, où l’on voit le papa qui fait la cuisine et la maman qui lit le journal, et je leur demande de commenter », rapporte l’institutrice, qui estime que « c’est en créant les bases du dialogue que l’on démonte les clichés ».
Le 8 mars, à l’occasion de la journée des droits des femmes, le premier ministre, Edouard Philippe, avait appelé l’ensemble de la société à s’impliquer dans la promotion de l’égalité femmes-hommes, et annoncé une série de mesures en ce sens. Parmi elles, la nomination de « référents égalité » dans chaque établissement scolaire : « Tout commence à l’école, car c’est au début du processus de socialisation que nous devons lutter contre les préjugés sexistes », avait-il déclaré.
Malgré cette démarche gouvernementale, la directrice de l’école Michel-de-Montaigne estime que « les professeurs restent insuffisamment formés sur la question » et que « l’éducation nationale devrait donner une vraie impulsion et des budgets ».Pour l’heure, les projets de mixité émanent principalement de décisions locales, comme à Trappes ou encore à Floirac, en Gironde, où plusieurs chantiers de réaménagement ont été initiés par la municipalité, accompagnés de mesures pédagogiques sur la mixité.
A la mairie de Trappes, la méconnaissance des enjeux liés à la mixité a été vite perçue. L’adjoint chargé de l’urbanisme et de l’environnement déplore ainsi qu’« à tous les niveaux » – des services techniques aux architectes, en passant par les professeurs –, « l’égalité femmes-hommes n’est jamais une priorité ». « Cette cour servira de test, nous demanderons aux enseignants de faire un bilan, et pour les prochains projets, nous les solliciterons tout au long du processus », explique-t-il.
Préparer l’après-école primaire
Mais la ville de banlieue parisienne n’entend pas s’arrêter là. L’adjoint au maire espère que « d’ici deux à trois ans », l’ensemble des cours des trentre-six écoles élémentaires de la ville « seront réaménagées, partiellement ou totalement, en fonction des besoins ». Une volonté qui s’inscrit dans un projet politique plus large, visant à ce que les femmes se réapproprient l’espace public — une dizaine de marches exploratoires féminines ont été organisées dans la ville.
Car changer l’environnement des enfants n’est pas sans conséquence pour les familles. « En tant que femme et maman, je ressens la discrimination. Que ce soit au travail ou à la maison, j’en fais plus que mon mari, commente Rabia, 28 ans, mère d’un garçon de 21 mois qu’elle espère scolariser dans cette école. Je trouve ça super que, dès la maternelle, on transmette à nos enfants qu’il n’y a pas de différences entre les garçons et les filles. »
Dans quelques années, Rabia devra aussi trouver un collège pour son fils. Conscient que les efforts sur la mixité « doivent se poursuivre particulièrement à cette période » très normative qu’est l’adolescence, Thomas Urdy souligne que les budgets pour le secondaire n’émanent pas de la mairie, mais du département. Et de prévenir : « Il faudrait que ça suive. »
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