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lundi 24 septembre 2018

A Bordeaux, des couples souffrant d’infertilité limitent leur exposition aux polluants

Le centre Artemis étudie l’impact de l’environnement sur la fertilité des couples, sur les pathologies de grossesses ou les malformations congénitales.
LE MONDE  |  Par 

SEVERIN MILLET
Leïla et Olivier (les prénoms ont été modifiés), infirmiers libéraux de 35 et 38 ans, ont quitté Paris pour Bordeaux, cadre de vie qu’ils imaginaient plus propice pour fonder une famille. Ils y ont monté un cabinet qui fonctionne bien, et retapent leur maison de ville. Mais la chambre d’enfant reste désespérément vide. « Spermogrammes, échographies, repos, vacances…, énumère la jeune femme. Depuis trois ans, on a fait tous les examens, suivi tous les conseils… Tout est normal mais on n’y arrive pas. »
Comme 15 % des couples en France, Leïla et Olivier souffrent d’« infertilité inexpliquée ». Résolus à recourir à une insémination, ils n’en ont pas moins accepté la suggestion d’Aline Papaxanthos, médecin de la reproduction qui les suit au centre d’assistance médicale à la procréation du CHU de Bordeaux, de consulter au centre Artemis (pour Aquitaine reproduction enfance maternité et impact en santé environnement). Première plate-forme d’évaluation et de prévention de la santé environnementale consacrée à la reproduction mise en place en France, cette structure se trouve au sein même de l’hôpital.

Les effets néfastes des perturbateurs endocriniens auxquels nous soumet notre environnement sont de plus en plus documentés. Ces substances, susceptibles d’interférer avec notre système hormonal, sont mises en cause en particulier dans les troubles de la reproduction : diminution de la qualité du sperme (entre 1973 et 2011, la concentration du sperme humain en spermatozoïdes a décliné de 50 % à 60 % dans les pays occidentaux), augmentation des malformations génitales masculines, baisse de l’âge de la puberté chez les filles…
Equipe multidisciplinaire
Opérationnelle depuis 2016, Artemis a été créée dans le cadre de la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens adoptée en avril 2014, en partenariat avec l’agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation de l’environnement et du travail (Anses) et Santé publique France. Sa mission consiste à étudier l’impact de l’environnement sur la fertilité des couples, sur les pathologies de grossesses ou les malformations congénitales. Son équipe multidisciplinaire – médecin du travail, de santé publique, ingénieur en santé environnementale, toxicologue, gynécologue, obstétricien, pédiatre… – explore la sphère privée et professionnelle des patients pour identifier et évaluer une exposition à des substances nocives et mettre en place des actions de prévention.
Pour Loïc Senthiles, chef du service de gynécologie obstétrique du CHU, et coresponsable du centre avec Patrick Brochard, chef du service de médecine du travail :
« L’usage du tabac et la consommation d’alcool sont des risques avérés, mais des facteurs environnementaux probablement sous-estimés s’y ajoutent, et nous, professionnels de santé, alertons nos patients comme nos confrères sur ces situations à risque et sur les bonnes pratiques à appliquer »
Fleur Delva, médecin de santé publique et épidémiologiste, qui reçoit Leïla et Olivier au centre, ne leur promet donc pas de miracle mais propose de les placer dans des conditions optimales pour donner la vie :
« Les troubles de la reproduction sont multifactoriels – génétiques, comportementaux, environnementaux. On ne sait pas déterminer le poids des expositions à des substances chimiques dans la survenue d’une pathologie individuelle, mais les identifier peut permettre d’en maîtriser les risquepour l’avenir. »
Après la consultation, Magali Espiga, une infirmière experte en santé environnementale et en médecine du travail, prend le relais pour un entretien, suivant un protocole précis. Antécédents médicaux et familiaux, routine professionnelle, habitudes domestiques, expositions aux métaux, aux pesticides, aux solvants, aux fumées… Tout est décortiqué, y compris l’éventuelle proximité d’épandages de produits chimiques, fréquents dans cette région agricole et surtout viticole.
Mesures ciblées
Au fil des questions, Leïla et Olivia prennent conscience de la toxicité de certains des produits qu’ils manipulent au quotidien et de l’intérêt de prendre quelques précautions. Partant travailler tôt le matin, ils ne songent guère à aérer leur maison et utilisent plutôt des bougies d’ambiance considérées comme polluantes. De même, ils ont décapé chez eux escaliers et ferronneries sans porter d’équipement de protection, alors que le diagnostic immobilier obligatoire de leur maison atteste de la présence de plomb.
« TOUT CE QU’ON RESPIRE ET CE QU’ON TOUCHE PEUT AVOIR UNE INCIDENCE SUR NOTRE SANTÉ », LEÏLA, PATIENTE DU CENTRE ARTEMIS
Sur le plan professionnel, lors de leurs visites à domicile, ces infirmiers pratiquent couramment injections et perfusions, pilonnage de médicaments ou applications locales de corticoïdes sans gants en latex, ni blouse, ni masque. « Il y a ce qu’on sait mais qu’on avait oublié, et ce qu’on ne soupçonnait pas, constate Leïla. Tout ce qu’on respire et ce qu’on touche peut avoir une incidence sur notre santé. C’est une remise à plat à laquelle tout le monde devrait avoir accès. »
Raphaëlle Teysseire, l’ingénieure en santé environnementale auteure du questionnaire protocolisé, analysera ensuite les réponses du couple pour identifier les expositions potentielles à des produits reprotoxiques et proposer des mesures ciblées, notamment en matière d’utilisation de produits ménagers et de bricolage. Elle reconnaît des limites à la méthode. « N’ayant pas les moyens de nous rendre chez les patients ni sur leur lieu de travail, on travaille sur du déclaratif, explique-t-elle. L’infirmière qui mène l’entretien doit donc creuser chaque question pour diminuer le biais de l’information reçue. »
Une géolocalisation de l’adresse du domicile et du lieu de travail est néanmoins réalisée afin de détecter une éventuelle proximité avec des zones d’activités industrielles ou agricoles. Le personnel du centre recueille parfois de surprenantes confessions, comme auprès de cette patiente qui traite les bois extérieurs de sa maison avec des hydrocarbures bourrés de métaux lourds récoltés lors de la vidange sa voiture…
Petite liste de « devoirs à faire »
Au-delà de l’« éducation » des patients, Artemis tente également de sensibiliser tous les soignants à l’impact sanitaire des facteurs environnementaux. Aussi, avec l’accord des patients, leur médecin du travail et autres médecins référents reçoivent la synthèse de la consultation.
Gynécologue-obstétricienne et chirurgienne de la fertilité à la polyclinique privée Jean-Vilar de Bruges, dans la banlieue de Bordeaux, Aurélie Abergel a ainsi pris l’habitude d’adresser des patients au centre Artemis :
« L’impact environnemental sur la santé est une thématique nouvelle et complexe que les cliniciens n’ont pas le temps d’aborder en trente minutes de consultation. Globalement, mes patients apprécient le temps d’écoute supplémentaire et la petite liste de devoirs à faire”. »
Autrement dit, les conseils visant à assainir leur environnement et à modifier leurs habitudes.
Certains patients peinent toutefois à accepter le bouleversement de leur quotidien qui en découle. Telle cette ouvrière viticole de 42 ans, enceinte, à laquelle Aurélie Abergel a proposé une mise en inaptitude :
« Cette dame a déjà fait plusieurs fausses couches et travaille dans une petite exploitation où elle cumule contraintes physiques et risques d’exposition à des reprotoxiques. Puisque il n’y a pas de possibilité d’aménagement de poste, c’était la meilleure solution pour lui permettre de mener sa grossesse à terme, mais elle l’a d’abord vécue comme une mise à l’écart. »
En un peu plus de deux ans, le centre Artemis a pris en charge près de 450 couples : 40 % des patients ont consulté pour des pathologies liées à des grossesses en cours, près de 30 % pour des malformations congénitales et des fausses couches spontanées à répétition, 27 % pour des troubles de la fertilité, et 3 % pour d’autres raisons.
La méthode essaime. Des structures du même type qu’Artemis ont vu le jour dans des hôpitaux de Créteil, Paris, Marseille et Rennes. A terme, une base de données commune devrait être créée et des programmes de recherche permettant d’identifier de nouveaux facteurs de risque environnementaux mis en œuvre. Le centre Artemis s’attellera prochainement à un travail identique sur un autre phénomène en augmentation : les pubertés précoces.

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