Pour Ilana Löwy, historienne des sciences, même si les radiographies par rayons X - le premier examen permettant de visualiser le fœtus - datent de la fin de XIXe siècle, la préoccupation à propos de l’enfant à naître est bien plus ancienne.
Biologiste de formation, historienne des sciences et féministe, Ilana Löwy est directrice de recherche émérite à l’Inserm. Elle a récemment publié deux ouvrages sur l’histoire du diagnostic prénatal : Imperfect Pregnancies. A History of Birth Defects and Prenatal Diagnosis (Johns Hopkins University Press, 2017, non traduit) et Tangled Diagnoses. Prenatal Testing, Women and Risk(University of Chicago Press, 2018, non traduit).
A quand remontent les débuts du diagnostic prénatal ?
Les radiographies par rayons X ont été le premier examen permettant de visualiser le foetus. Elles ont été pratiquées de la fin du XIXe siècle aux années 1950, jusqu’à ce que l’on découvre que c’était dangereux pour le futur bébé. Le but était surtout de vérifier le bassin de la femme, en prévision de l’accouchement, mais cette technique a pu mettre en évidence des hydrocéphalies (excès de liquide céphalorachidien), qui étaient une indication de césarienne ; des anencéphalies (absence d’encéphale) ou encore des malformations osseuses majeures.
La préoccupation à propos de l’enfant à naître est cependant bien plus ancienne, d’où le souhait, dès la Renaissance, de se marier dans une bonne famille. Chez les nobles, on regardait l’hérédité de titre, d’argent mais aussi de sang, en recherchant dans l’arbre généalogique l’existence d’enfants déficients ou avec une tare. Il y avait la notion de bon sang ou de mauvais sang. Ainsi, la syphilis du nouveau-né, perçue au XIXe siècle comme une maladie héréditaire, a été nommée « mauvais sang ». Cette notion de pedigree était une forme d’eugénisme avant l’heure. Par ailleurs, à la Renaissance, les autopsies étaient souvent réalisées par des sages-femmes chez des femmes mortes en couches, pour en déterminer la cause, une malformation de l’utérus soupçonnée d’être héréditaire par exemple.
L’amniocentèse est aussi une pratique ancienne…
Effectivement, les gynécologues ont commencé à ponctionner du liquide amniotique avec des seringues au début du XXe siècle, dans les cas d’hydramnios, un excès de liquide amniotique souvent associé au diabète. Puis d’autres indications se sont développées. D’abord, au début des années 1950, pour détecter les incompatibilités rhésus, qui étaient alors l’une des causes les plus fréquentes de retard cognitif. La couleur jaune du liquide amniotique, mesurée au spectrophotomètre, était un indice d’hémolyse sévère chez le fœtus, induite par les anticorps maternels. Pour sauver le bébé, les médecins provoquaient alors l’accouchement, puis changeaient complètement son sang (exsanguinotransfusion) à la naissance. Cela a permis de beaucoup diminuer la mortalité et la morbidité des incompatibilités rhésus.
Toujours dans les années 1950, en s’appuyant sur la possibilité de colorer les chromosomes et sur les travaux du Canadien Murray Barr, qui avait mis en évidence un marqueur dans le chromosome X – le corpuscule de Barr –, des groupes de recherche ont commencé à faire des diagnostics de sexe sur les cellules du liquide amniotique pour les maladies liées à l’X comme l’hémophilie.
Au Danemark, où l’avortement « eugénique » est devenu légal en 1956, des femmes porteuses d’hémophilie ont ainsi pu choisir l’avortement, sachant qu’elles portaient un bébé mâle. Progressivement, les amniocentèses se sont faites sous contrôle échographique, diminuant le risque d’accident, et ont permis des diagnostics d’anomalies chromosomiques (dont la trisomie 21) et d’affections métaboliques héréditaires, comme le Tay-Sachs, des maladies lysosomales.
Qu’en est-il des méthodes non invasives comme l’échographie, les marqueurs sériques… ?
Les échographies obstétricales ont été développées par un médecin de Glasgow, Ian Donald, et son équipe à partir des années 1950. Au départ, ces examens ne permettaient guère de voir que quelques pathologies (comme l’hydramnios, un début d’avortement spontané) et des grossesses gémellaires. Grâce à des innovations techniques, l’échographie est devenue plus performante, en particulier depuis les années 1970, et c’est désormais un examen qui permet de faire des diagnostics fins, même si sa fiabilité n’est pas totale.
Les marqueurs biochimiques sont arrivés aussi dans cette décennie 1970, à commencer par l’AFP, l’alphafoetoprotéine, dont un taux élevé fait craindre une anomalie de fermeture du tube neural. Elle a d’abord été mesurée dans le liquide amniotique, puis dans le sang. Les Anglais, confrontés à un nombre élevé de ces malformations, ont été parmi les premiers à doser l’alphafoetoprotéine chez les femmes enceintes.
Mais ce qui a surtout permis la mise en place de dispositifs de diagnostic prénatal, c’est la conjonction de ces techniques médicales et de la libéralisation de l’avortement. A partir des années 1970-1980, le diagnostic prénatal a pu devenir routinier, d’abord pour les femmes à risques – surtout de maladies héréditaires et, pour les femmes de plus de 35 ans, de trisomie 21 – puis pour toutes les femmes enceintes.
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