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lundi 12 février 2018

Les animaux ont toujours pratiqué la sexodiversité

Dans son ouvrage « Animaux homos », Fleur Daugey s’attaque à l’idée selon laquelle l’homosexualité serait contre nature.

LE MONDE  | Par 

Singes Bonobos, dans le sanctuaire de Mont-Ngafula, au sud de Kinshasa (République Démocratique du Congo), en 2006.
Singes Bonobos, dans le sanctuaire de Mont-Ngafula, au sud de Kinshasa (République Démocratique du Congo), en 2006. ISSOUF SANOGO / AFP

Le livre. Science et politique ne font pas toujours bon ménage. Des pseudo-études sur l’inégalité des races, chères aux nazis, aux théories farfelues de Lyssenko sur le développement agricole, l’Histoire nous le rappelle : les pouvoirs parent souvent leurs pires errements de vertus scientifiques.

Aujourd’hui encore, les industriels du sucre ou du tabac, comme les activistes climatosceptiques, appuient leurs appels au laisser-faire sur des travaux de chercheurs. C’est à ce type de prise en otage de la science que Fleur Daugey a décidé de se confronter. Plus précisément à un de ces clichés qui, depuis des siècles, ont conduit à la stigmatisation, la discrimination, le harcèlement des gays et lesbiennes : l’idée que l’homosexualité serait contre nature.

Cette affirmation se retrouve souvent dans la bouche de l’homme de la rue. « Pire, écrit Fleur Daugey, elle inonde les discours des religieux fondamentalistes de toute obédience et sert de socle idéologique aux mouvements tels que La Manif pour tous et tant d’autres organisations homophobes de par le monde », nourrissant les codes pénaux les plus répressifs, dont certains punissent encore de mort les relations entre personnes de même sexe.


Le ton est donné. Pas question d’avancer masquée : la démarche d’Animaux homos est bel et bien politique. Mais pas question non plus de laisser les obscurantistes confisquer la science. Car « l’ensemble des recherches donne une réponse claire et sans ambiguïté : loin d’être contre nature, l’homosexualité est dans la nature ». Insectes, poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux, mammifères : elle a été documentée chez 471 espèces sauvages et 19 espèces domestiques.

Certains objecteront que la planète compte plus de 7 millions d’espèces. Mais les mœurs de la majorité d’entre elles demeurent inconnues et pourraient bien réserver de nouvelles surprises. Quant au demi-millier d’« animaux homos » répertoriés, il offre déjà un catalogue tout à fait convaincant.

Cailles, coqs, hannetons, manchots...


Dès l’Antiquité, Aristote décrit des rapports sexuels entre mâles chez les cailles, les perdrix ou encore les coqs. Après les combats, il n’est pas rare de voir le vainqueur « cocher » le vaincu, raconte-t-il dans son Histoire des animaux. Un rapport forcé, précise le savant grec, manière d’asseoir sa dominance. Dans le même ouvrage, le philosophe décrit la façon dont les pigeons femelles « se montent mutuellement, à défaut de mâle ». L’homosexualité faute de mieux : c’est encore ce que le grand Buffon (1707-1788) défend dans sa monumentale Histoire naturelle, attribuant la lascivité des perdrix à un « excès de nature ».

Au XIXe siècle, ces « accouplements anormaux » sont documentés à plusieurs reprises chez les hannetons. Le naturaliste Henri Gadeau de Kerville livre toutefois, en 1896, une information supplémentaire cruciale : des mâles ont été observés copulant ensemble alors même que des femelles étaient présentes. Devant la société entomologique de France, il évoque de « véritables actes de pédérastie ». Des chauves-souris mâles aux cygnes femelles, les constats se multiplient, dans différents groupes d’animaux, de relations homosexuelles « davantage motivées par la concupiscence que la belligérance », comme l’écrit l’ornithologue Edmund Selous au sujet des combattants.

Et que dire des cinq manchots, suivis au zoo d’Edimbourg, entre 1917 et 1923. A première vue, rien ne permet de différencier mâles et femelles chez ces oiseaux du Grand Sud. Alors le directeur du zoo, T. H. Gillespie, observe leurs relations « amoureuses » : cour, copulation, couvaison, comportement. Ainsi, « Andrew » et « Caroline » forment un couple modèle. Quoi qu’« Andrew » lorgne aussi « Bertha ». Jusqu’à ce que Gillespie observe l’accouplement… de « Caroline » et « Bertha ».

Le même genre de malentendu intervient dans le second couple, celui d’« Eric » et « Dora ». L’ornithologue reprend toutes ses observations et revoit sa copie. « Andrew », « Caroline », « Eric » et « Bertha » deviennent, respectivement « Ann », « Charles », « Erica » et « Bertrand ». Seule « Dora » conserve son sexe. Au passage, certains couples supposés hétérosexuels se révèlent homosexuels, et réciproquement.

Tous les goûts sont dans la nature


Mais alors pourquoi ? La nature n’est-elle pas guidée par les seuls besoins de se nourrir et de se reproduire ? Des mouches aux guillemots, des poissons aux mammifères, nombre d’animaux répondent également à un principe de plaisir, rappelle Fleur Daugey. Et, à ce jeu-là, les rapports homosexuels semblent bien ne rien avoir à envier aux relations hétérosexuelles. D’autant que, chez les non-humains aussi, « la sexualité ne se limite pas aux copulations ».

« Animaux homos. Histoire naturelle de l’homosexualité », de Fleur Daugey, Albin Michel, 176 pages, 16 euros.
« Animaux homos. Histoire naturelle de l’homosexualité », de Fleur Daugey, Albin Michel, 176 pages.

Caresses et autres câlins font le quotidien de nombreuses espèces. Chez les babouins et les cétacés, les rapports entre individus de même sexe contribuent aussi à créer des alliances favorables au développement du groupe. Fleur Daugey invite donc à « envisager l’homosexualité animale selon deux angles principaux qui ne sont pas contradictoires. D’une part, comme l’hétérosexualité, elle représente une source de plaisir indépendante de la reproduction. D’autre part, elle est constituante de la sexodiversité, qui favorise la reproduction et donc la perpétuation de la vie sur Terre. »

Sexodiversité. Cette notion doit désormais guider notre perception de la nature, plaide Fleur Daugey. Diversité des appariements avec des couples hétéros ou homos, trios ou quatuors. Diversité des pratiques homosexuelles : de la danse endiablée des autruches au lissage scrupuleux des plumes des perruches, en passant par les baisers des lamantins ou ces postures, dignes du Kama-sutra, adoptées par les mâles dauphins roses de l’Amazone lorsqu’ils copulent. Diversité de la biologie, même, puisque de nombreux poissons, tels le fameux poisson-clown, changent de sexe au cours de leur vie. Homo, bi, trans…
Tous les goûts sont dans la nature. André Gide l’écrivait en 1911, dans son essai Corydon. Un siècle plus tard, la science n’a pas encore tout à fait convaincu la société.

« Animaux homos », de Fleur Daugey, Albin Michel, 176 pages

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