Cette nuit, 1 700 bénévoles et 300 professionnels ont sillonné les rues de la capitale jusqu’à 2 heures du matin.
Des étudiants, des fonctionnaires, des femmes et des hommes… Dans la nuit de jeudi 15 à vendredi 16 février, entre 22 heures et une 1 heure du matin, 2 000 Parisiens ont quadrillé les rues de la capitale par groupes de trois ou quatre. Chacun devait arpenter l’un des 350 secteurs taillés pour cette tâche afin de recenser le plus précisément possible les sans-abri là où ils passent la nuit. C’était aussi l’occasion de leur poser quelques questions sur leur profil, leurs besoins, leur expérience des services sociaux et du numéro d’appel pour l’hébergement d’urgence, le fameux 115.
Les volontaires venus en nombre avaient répondu à l’appel de la Nuit de la solidarité voulue par la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, et inspirée des exemples de New York, Washington ou Londres. Une telle opération est un défi logistique, nécessitant de répartir 1 700 bénévoles encadrés par 300 fonctionnaires, et les membres de 42 associations. La Ville de Paris a estimé à 1 500 kilomètres la distance totale parcourue.
« Merci aux citoyens du 19e qui sont les plus nombreux, à Paris, avec 135 inscrits », s’est félicité François Dagnaud, maire socialiste de l’arrondissement, en accueillant les bénévoles, en mairie, vers 20 heures. « La plupart des habitants ont un regard empathique envers les sans-abri et comprennent la complexité de la situation, qui ne relève pas que de la Ville ou de l’Etat mais est l’affaire de tous », a-t-il confié avant de prendre place dans l’une des équipes.
Les personnes présentes appartiennent, dans l’ensemble, à la classe moyenne, sont jeunes et ont le cœur à gauche. Gaëlle, 40 ans, bénévole auprès d’enfants malades à l’hôpital Necker, explique qu’elle « n’en peut plus de voir tant de gens dans cette misère ». Patricia, 45 ans, travaille dans l’édition et est aussi bénévole au centre pour migrants de la Chapelle, géré par Emmaüs : « C’est logique de venir ici car je suis très inquiète sur la future loi asile et déçue par ce gouvernement, son attitude de fermeture et ses actions, qui vont plus dans le sens de la répression que de l’accueil. »
Consignes précises
L’exercice d’un tel comptage, qui se veut méthodique, se révèle peu aisé et, entre 20 heures et 22 heures, des professionnels livrent des consignes précises : « Qu’est-ce qu’une personne à la rue ? Comment l’aborder ? Que faire en cas d’urgence, de détresse ? » Un quartier général, qui peut être joint à tout instant au téléphone, est disponible pour traiter les urgences. Il sera d’ailleurs sollicité plusieurs fois au cours de la nuit.
Vers 22 heures, chacune des vingt-neuf équipes du 19e, dûment briefée et menée par un professionnel, travailleur social ou membre d’une association, part, carte et questionnaire en main, à la recherche des sans-abri du quartier, dont il a la responsabilité.
Pierre, jeune père de famille et fonctionnaire, Agathe, étudiante à Sciences Po Paris et habitante du quartier, Julien, jeune fonctionnaire territorial, parisien depuis peu et assez frappé par la misère qui règne dans cette ville, partent, pilotés par Habiba Prigent, elle-même cadre administrative au Centre d’action sociale de la Ville de Paris.
Ils vont parcourir, quatre heures durant, un quartier constitué de grands ensembles cernés par des voies ferrées et le périphérique, entre les portes de la Chapelle et de La Villette. Ils y recenseront plus de quarante personnes représentatives de la diversité de ces « invisibles » qui, ce jeudi soir, dorment dehors.
A la merci des rats
Il y a là une Italienne, qui, depuis 2012, habite sous une tente cernée de bagages et de colis ; un jeune Sud-Africain, qui s’apprête à dormir dehors après, la nuit précédente, s’être fait agresser et voler ses affaires dans un centre d’hébergement ; une Antillaise, qui annonce qu’elle ne répondra aux questions que si on lui trouve une chambre d’hôtel. Refusant une place en gymnase, elle dormira finalement dans les transports ; quatre jeunes Roumaines et Albanaises, qui se réchauffent sur une bouche de métro, admettent sans manières « faire les putes » et acceptent qu’on transmette leurs coordonnées afin qu’elles soient contactées par un travailleur social et, pour celle qui est enceinte de sept mois, par un gynécologue.
Le long du canal Saint-Denis, treize tentes s’alignent à l’abri, certes, d’un pont mais à la merci des rats qui infestent les poubelles toutes proches : y dorment, à deux par tente, des migrants venus du Soudan et d’Erythrée. L’un d’eux est réfugié, touche le revenu de solidarité active (RSA) et a pu bénéficier d’une formation d’agent de propreté au cours de laquelle il a été logé, mais, le contrat achevé, il s’est retrouvé sans toit. Plus loin, une famille de cinq personnes dont un enfant, originaire d’Europe de l’Est, dort tant bien que mal sous le porche d’un immeuble.
Pour ce petit groupe de bénévoles, l’épopée s’achève passé 2 heures du matin, après une quinzaine de kilomètres parcourus. Tout le monde est bien conscient de n’avoir pas du tout répondu à la principale attente des personnes rencontrées, qui est d’avoir un chez-soi, mais est aussi satisfait d’avoir pu aller vers elles et échanger.
« Bien que minutieusement mise au point avec un comité scientifique, la méthode de comptage devra s’affiner au fil des ans, estime Christine Laconde, directrice du Samusocial de Paris, en associant, par exemple, les gestionnaires de parkings publics, les haltes de nuit, les gymnases ouverts en hiver. »
Combien y a-t-il de sans-abri à Paris ? Dénombrer avec précision les sans-abri des rues de Paris est, ces dernières semaines, devenu un enjeu politique, après la phrase malheureuse du secrétaire d’Etat à la cohésion des territoires, Julien Denormandie, le 30 janvier, au micro de France Inter, soutenant qu’il y avait à peine cinquante hommes isolés, à la rue, dans la capitale… Ses propos ont assuré une publicité bien involontaire à la Nuit de la solidarité d’Anne Hidalgo. Les chiffres du recensement du 15 février ne devraient être connus que vers la fin février, après compilation de toutes les données fournies par les bénévoles mais aussi par la RATP, la SNCF, l’Assistance publique et les équipes spécialisées qui auront, elles, arpenté les bois de Vincennes et Boulogne. 3 000 ? 4 000 ? Ce sont les chiffres qui circulent au sein des associations. De son côté, le gouvernement a, depuis janvier, mis la pression sur les préfets, priés de livrer leurs propres données, pour qu’ils renforcent les dispositifs d’hébergement d’urgence ou provisoire et multiplient les maraudes, notamment en direction des personnes vulnérables, femmes et enfants. Malgré ces efforts, le chiffre de 3 000 sans-abri à Paris pourrait être dépassé.
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