Les ordonnances de placement provisoire prononcées dans le cadre d’une enquête sont des procédures inévitables, dans l’intérêt du bébé, explique le docteur Anne Laurent-Vannier dans une tribune au « Monde ».
LE MONDE | | Par Dr Anne Laurent-Vannier (Ancien chef du pôle de rééducation enfants aux hôpitaux de Saint-Maurice)
Tribune. Intitulée « Enfants malades, parents maltraités », une tribune parue le 25 octobre 2017 dans le supplément « Science & médecine » évoquait les difficultés et la souffrance auxquelles peuvent être confrontés les parents dont l’enfant est suspecté de faire l’objet de maltraitance, avec pour conséquence signalement judiciaire, audition, placement de l’enfant.
Parmi ces maltraitances, le syndrome du bébé secoué (SBS) tient une place particulière. Le secouement est un geste rotatoire d’une extrême violence, comparable à un accident de la voie publique à haute cinétique. Cela ne peut être un geste malencontreux de la vie quotidienne. Les épisodes de secouement sont très souvent répétés. Les victimes ont presque toujours moins d’un an, 20 % en moyenne décèdent, et trois quarts des survivants ont des séquelles pour la vie. Tout doit donc être fait pour prévenir le SBS et sa réitération avant l’irréparable.
C’est dans l’urgence que la question de la maltraitance se pose aux médecins dont la priorité est la protection de l’enfant. Que le diagnostic du SBS soit certain ou possible, le signalement au procureur de la République s’impose. Ainsi est déclenché un processus judiciaire à double composante : civile, qui permet une protection de l’enfant et de ses droits, et pénale, pour que des investigations soient menées sur les possibles maltraitances et sur leur auteur.
« S’il y a incertitude sur le diagnostic, comment faire autrement que d’approfondir les investigations médicales ? »
C’est pour étayer la démarche diagnostique que des recommandations ont été émises par la Haute Autorité de santé (HAS) et la Société française de médecine physique et de réadaptation (Sofmer) en 2011 et actualisées en 2017. Elles résultent d’avis d’experts et d’une étude minutieuse de la littérature médicale internationale menée sur la base de la valeur scientifique (selon les recommandations de bonne pratique de la HAS) et de l’absence de conflit d’intérêts.
Des critères diagnostiques ont été établis. Pour cela, il a été décidé de s’appuyer exclusivement sur des éléments objectifs, irréfutables. Ces éléments ont été, d’une part, les lésions reconnues du SBS – hématome sous-dural multifocal « en nappe » quasi constant, et les hémorragies rétiniennes très fréquentes – et, d’autre part,les mécanismes mis en avant par l’adulte accompagnant l’enfant au moment de l’hospitalisation ou, plus tard, lors du processus judiciaire.
Les lésions induites par ces différents mécanismes ont été comparées à celles du SBS. Soit elles étaient similaires, et le mécanisme mis en avant était retenu, soit elles étaient absentes ou différentes et le mécanisme était rejeté. Ont ainsi été écartés : survenue spontanée, jeu, intervention d’un autre enfant, manœuvres de réanimation, convulsions, vaccins, troubles de l’hémostase en l’absence de traumatisme, hydrocéphalie externe.
Une chute de faible hauteur peut provoquer exceptionnellement un hématome sous-dural, mais localisé et s’accompagnant de traces d’impact. De ces résultats sont issus des critères diagnostiques fondés sur les lésions objectivées par le bilan hospitalier et sur l’histoire fournie par l’adulte et non sur les facteurs de risque.
Investigations médicales particulières
Reste la possibilité de maladies rares qui pourraient être la cause de saignement à l’intérieur du crâne et des yeux. Les maladies rares sont, par définition, rares et donc difficiles à diagnostiquer. De plus, avant de retenir ou d’éliminer une telle cause, il importe de savoir si, chez d’autres enfants porteurs de cette maladie rare, on observe des manifestations hémorragiques spontanées, si l’enfant a présenté avant et depuis l’épisode neurologique d’autres manifestations hémorragiques et, enfin, il faut s’attacher au mode de survenue des symptômes.
Ce diagnostic de maladie rare, qui nécessite des investigations médicales particulières, ne peut être posé initialement. Dans l’intervalle, dans le souci prioritaire de protection du bébé, le signalement est inévitable.
Les souffrances que peuvent ressentir les parents dans une telle situation, ou encore ceux dont l’enfant a été blessé par un tiers, sont importantes et tout à fait compréhensibles, mais s’il y a incertitude sur le diagnostic, comment faire autrement que d’approfondir les investigations médicales, la priorité étant la protection de l’enfant ?
Pour arriver à déterminer l’auteur, comment faire autrement que d’auditionner les différents adultes proches de l’enfant, afin de recueillir leur version ? S’il y a incertitude diagnostique persistante ou si l’auteur n’est pas identifié rapidement, comment faire autrement que de protéger l’enfant par une ordonnance de placement provisoire (OPP) ?
En conséquence, lorsque les parents sont mis en cause, si les investigations sont prolongées, si les parents sont auditionnés et si une OPP est prononcée, faut-il parler de maltraitance vis-à-vis des parents, comme dans la tribune, ou plutôt de procédures nécessaires à la protection de l’enfant ? Au final, il importe, pour limiter leur souffrance, que tout soit entrepris pour dissiper le plus rapidement possible l’incertitude sur le diagnostic et sur l’identification de l’auteur des violences.
Dr Anne Laurent-Vannier est la présidente du groupe de travail sur l’actualisation des recommandations HAS ; coorganisatrice du diplôme interuniversitaire « Traumatisme crânien de l’enfant et de l’adolescent, syndrome du bébé secoué » (université Pierre-et-Marie-Curie et Université René-Descartes) ; codirectrice de session à l’Ecole nationale de la magistrature sur le thème du syndrome du bébé secoué ; expert judiciaire agréé par la Cour de cassation.
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