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lundi 3 juillet 2017

Une question qui vaut son pesant d’or : un patient peut-il refuser de payer ?

Paris, le samedi 1er juillet 2017 – C’est une situation qu’un nombre non négligeable de professionnels de santé a déjà dû affronter : le patient qui refuse de s’acquitter des honoraires demandés. Il ne s’agit pas du patient (bien connu) qui a égaré son chéquier ou qui n’a pas d’argent sur lui et qui promet de s’acquitter de sa dette à la première occasion. Il s’agit de celui qui, de manière délibérée, considère qu’il ne doit pas payer la consultation. Les praticiens font notamment face à ce type de rébellion quand ils ont accepté de délivrer un certificat d’aptitude à telle ou telle pratique sportive, ou quand ils ont renouvelé une ordonnance perdue ou arrivée à expiration. Dans certains cas également, les patients peuvent s’étonner d’avoir à payer quelque chose alors qu’aucune prescription n’a été délivrée. Plus rarement encore, certains malades, insatisfaits de la tournure de la consultation s’opposent à payer. Le peuvent-ils ?

Où l’on retrouve Martin Winckler

Le docteur Martin Winckler n’est pas en odeur de sainteté auprès de ses confrères surtout depuis qu’il a commis un livre évoquant les maltraitances inconscientes ou volontaires dont se rendent (se rendraient) fréquemment coupables les médecins. La réponse qu’il offre à la question sur son blog L’Ecole des soignants n’en est pas moins documentée et témoigne d’un esprit de logique intéressant. Le praticien commence tout d’abord par rappeler les termes de l’article 53 du code déontologie : « Les honoraires du médecin (…) ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués même s’ils relèvent de la télémédecine. Le simple avis ou conseil dispensé à un patient par téléphone ou par correspondance ne peut donner lieu à aucun honoraire. Un médecin doit répondre à toute demande d’information préalable et d’explications sur ses honoraires ou le coût d’un traitement. Il ne peut refuser un acquit des sommes perçues. Aucun mode particulier de règlement ne peut être imposé aux malades ». A partir de ces présupposés, il semble nécessaire de définir ce qu’est « un acte médical ». Martin Winckler remarque tout d’abord « qu’au sens règlementaire, un acte médical est un acte qui figure à la nomenclature établie par les pouvoirs publics ». Est-ce à dire que ce qui n’est pas listé dans la nomenclature n’est pas un acte médical (et par voie de conséquence ne doit pas nécessairement être payé) ? Sans doute pas, la « consultation » en elle-même est un « acte médical », constate Martin Winckler. Certes, mais comment préciser les contours flous de la « consultation ». Martin Winckler nous en propose une définition en creux face à la difficulté de l’exercice. « Il est (…) possible de dire quand l’interaction entre un patient et un médecin ne répond pas à la définition d’un acte professionnel. Pour cela, il suffit de lire le code de déontologie qui précise les devoirs et obligations des médecins », explique le praticien. A ses yeux en effet, à l’instar de ce qui prévaut pour d’autres « prestataires de service », un médecin qui ne se conformerait pas à ses « obligations » et à « ses devoirs » peut s’exposer aux représailles de ses patients (et d’abord au refus de payer). Voilà qui permet à Martin Winckler de renouer avec son cheval de bataille : « Par exemple, le médecin qui vous manque de respect, fait pression sur vous, pratique une quelconque discrimination (économique, de genre, sociale ou ethnique), tient à votre égard des propos racistes, homophobes, grossophobes, humiliants, menaçants, culpabilisants ou insultants, viole ses obligations : il enfreint l’article 7 du code. S’il vous expédie en trois minutes sans vous écouter, ne donne pas d’explications ou ne répond pas aux questions, ment, néglige de vous soulager ou de prendre vos symptômes en considération, refuse une contraception sans motif valide ou pratique n’importe quel geste sur vous sans votre consentement, il viole ses obligations : il enfreint plusieurs des articles 32 à 55. Il en découle, en toute bonne logique, qu'une consultation/une rencontre au cours de laquelle un médecin viole ses obligations n'est pas un acte médical inscrit à/prévu par la nomenclature. Cette consultation n'a donc pas lieu d'être rémunérée » "démontre"-t-il. Certains bien sûr s’indigneront des dérives possibles d’une telle logique, notamment parce que le patient est seul juge (et partie) pour apprécier les éventuelles violations de ses obligations (ou plutôt de ce qu’il pense être ses obligations) par le médecin.

L’absence de prescription n’est pas une raison de non paiement

En vertu de cette logique, dès lors qu’il existe un véritable «échange » entre le médecin et le patient, une interaction, un acte qui peut être considéré comme une « consultation »,  sans violation d’aucune obligation, le paiement peut s’imposer. «Un médecin a parfaitement le droit de ne pas vous faire payer - par exemple, une ordonnance de renouvellement, qu’il vous laisse passer prendre à son cabinet pour vous dépanner. Mais il n’est pas illégal ni abusif de sa part de demander que vous veniez le voir en consultation pour vous faire l’ordonnance de dépannage et vous fasse payer : encore une fois, vous payez la consultation, autrement dit l'interaction, l'échange, pas l’ordonnance. Et le médecin est en droit de demander à échanger avec vous de vive voix avant de prescrire quoi que ce soit : sa responsabilité est engagée » relève ainsi Martin Winckler qui de la même manière rappelle : « Il faut noter que la consultation ne nécessite pas, pour être cotée (et donc, rémunérée), que le médecin prescrive quoi que ce soit. Et c’est logique : un.e patient.e peut parfaitement aller consulter un médecin et conclure avec lui, à l’issue de leur interaction (échange verbal, examen clinique), qu’aucun traitement ou examen, aucune prescription n’est nécessaire. On est en droit de consulter un médecin simplement pour se rassurer ou obtenir des informations, un éclaircissement, un avis ».

Une nomenclature qui ne reconnaît pas l’importance de l’échange

Ces réflexions conduisent par ailleurs le praticien à une critique en règle de la nomenclature et de ses absurdités, qui devrait lui permettre de se réconcilier en partie avec ceux qui avaient ressenti avec déception et amertume certaines de ses déclarations contre les médecins. Il remarque d’abord qu’ « il y a des choses qui manquent. Par exemple, le retrait d’un implant contraceptif est coté, alors que la pose ne l’est pas, comme si ça ne valait rien » relève-t-il. Il observe également comment plusieurs particularités de la nomenclature sont révélatrices de certaines failles de la politique de santé en France. « Pour certains actes [le médecin généraliste] peut cumuler le G et la cote d'un geste spécifique. Exemple : le frottis de dépistage (37, 46 € au lieu de 25 €), et ceci depuis le… 1e juillet 2017 (sic) seulement ! (Auparavant, les MG faisaient les frottis à leurs frais. Ou ne les faisaient pas. Comme quoi, la France aime beaucoup le dépistage… quand il est pratiqué gratuitement par les médecins les plus surchargés et les plus mal rémunérés) » dénonce-t-il.  D’une manière générale, il note qu’en ne listant que les « gestes manuels objectifs » et en n’offrant pas de reconnaissance aux gestes intellectuels et relationnels, le système faillit à « valoriser la durée et/ou la qualité des échanges entre patient et médecin ». Voilà une réflexion qui pourrait être partagée par de nombreux praticiens, même ceux qui se refusent (surtout aujourd’hui) à se déclarer en accord avec Martin Winckler.

Intéressant à tous les coûts

Ces différentes réflexions apparaissent en tout état de cause moins bassement matérielles qu’elles n’y paraissent, parce qu’elles permettent de s’interroger sur ce qu’est un acte médical, mais également sur ce qui fonde la relation entre le patient et le praticien. Peut-on comme Martin Winckler l’assimiler à un contrat de service, à l’instar de celui qui lie l’automobiliste à son garagiste, l’individu à son architecte ? Elles invitent également à s’intéresser à un sujet souvent tabou en France et plus encore dans la sphère médicale : la place de l’argent. Ces difficultés à évoquer ces questions ne sont sans doute pas étrangères au tumulte autour du tiers payant. Ceux qui s’étonnaient de l’opposition à ce système par les médecins semblaient refuser d’accepter que l’exercice de la médecine est une profession rémunérée (ce qui n’a aucun rapport avec le fait que l’accès aux soins puisse être gratuit) et pas une vocation gratuite, tandis que les médecins avaient toutes les peines à faire comprendre que leur refus n’était pas qu’une manifestation de leur vénalité. Des questions qui ont un prix.
Pour poursuivre la réflexion, vous pouvez vous rendre sur le blog l’Ecole des soignants : https://ecoledessoignants.blogspot.fr/2017/06/quand-est-on-en-droit-de-ne-pas-payer.html.
Aurélie Haroche

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