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lundi 3 juillet 2017

Malaise à l’hôpital public : il y a urgence !

Avec toujours plus de responsabilités et moins d’effectifs, les cadres de santé se retrouvent aux prises entre une exigence sur la qualité des soins et des impératifs de rentabilité. Maillon essentiel du système hospitalier, ils pourraient bien y perdre leur équilibre.

LE MONDE ECONOMIE  | Par 

« Le personnel hospitalier a pris de plein fouet la vague de réformes qui submerge les établissements publics depuis le début des années 2000. Tout le monde est à bout. »
« Le personnel hospitalier a pris de plein fouet la vague de réformes qui submerge les établissements publics depuis le début des années 2000. Tout le monde est à bout. » Denis Dubois pour Le Monde


Une infirmière de l’hôpital Cochin à Paris s’est suicidée mardi matin 7 mars sur son lieu de travail. La direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), a dit « prendre très au sérieux ce nouvel événement tragique qui renforce sa détermination dans la prévention et la détection des risques psychosociaux et l’amélioration des conditions de travail ».

Le personnel hospitalier a pris de plein fouet la vague de réformes qui submerge les établissements publics depuis le début des années 2000. Tout le monde est à bout. Les cadres de santé se retrouvent tiraillés entre deux impératifs : répondre à l’exigence de qualité des soins et améliorer la performance économique.

Sous fond de rigueur budgétaire, c’est aujourd’hui la course contre la montre dans les services. Avec le passage à la T2A (tarification à l’activité, axe majeur du plan Hôpital 2007), les centres hospitaliers sont désormais facturés selon le volume et la nature des soins qu’ils réalisent, avec une démarcation entre ceux qui sont rentables et les autres. « J’ai choisi de prendre des responsabilités pour promouvoir la qualité des soins. Et je me retrouve écrasée par des logiques financières. L’hôpital doit faire du chiffre. Et les équipes, travailler en conséquence. Il faut sans arrêt auditer leurs pratiques. Les services de soins sont devenus des petites entreprises », assène Nathalie, cadre de santé en région parisienne.


Prise en charge chronométrée


Pour compresser davantage les dépenses de santé et intensifier les entrées des patients, un coup d’accélérateur est donné au « virage ambulatoire ». La règle du jeu : planifier tous les actes de soins sur une même journée pour libérer les patients le soir. Cette modalité de prise en charge chronométrée épuise les équipes paramédicales et l’encadrement.

« Le virage ambulatoire met les cadres sous tension. Pour réduire les temps de séjour, ils sont chargés d’optimiser l’organisation de leur service et la coordination avec les autres unités. Toutes les étapes de la prise en charge doivent s’ordonner à la bonne vitesse. Ils n’ont plus aucune marge », souligne Frédéric Kletz, enseignant à l’Ecole des mines, spécialisé sur le management public et la gestion des ressources humaines.

Cette cadence infernale est loin d’aller de pair avec une hausse des effectifs. Face à leurs déficits, parfois abyssaux, les hôpitaux, qui suivent un plan triennal d’économies de 3,5 milliards d’euros jusque fin 2017, ont tendance à les passer à la moulinette. « Les établissements sont engagés depuis la loi Bachelot de 2009 dans des contrats de retour à l’équilibre budgétaire. Et les ressources humaines sont la première variable d’ajustement. Des lits sont aussi supprimés. Aujourd’hui, les cadres font face à une surcharge de travail sans moyens supplémentaires », constate Jean-Luc Stanislas, consultant en management de la santé.

Assurer la continuité des soins et faire tourner les services avec des équipes restreintes, c’est un casse-tête. Au quotidien, les cadres de santé jonglent avec les plannings et usent du système D, pour dénicher un lit disponible et remplacer au pied levé une infirmière ou une aide-soignante.


8 % d’absentéisme


Avec un taux d’absentéisme qui dépasse les 8 % chez le personnel non médical, ils se retrouvent à rappeler les agents sur leurs congés et à reporter des formations, avec la culpabilité que cela implique. « Nous travaillons sur le fil du rasoir. A la moindre absence imprévue, c’est la catastrophe. Les agents sont constamment sollicités pour revenir travailler sur leurs jours de repos. C’est intenable. Ces dépassements horaires génèrent de la pénibilité et de l’épuisement professionnel. Nous sommes impuissants face à leur souffrance », regrette Dominique Rousseau, cadre de santé au centre hospitalier de Saint-Nazaire.

D’autant qu’une multitude de tâches gestionnaires les éloignent du terrain. Chaque jour, ils sont accaparés par les réunions de pôle, le suivi d’indicateurs financiers, la traçabilité des actes, les rapports sur le matériel… « Les procédures d’évaluation de la qualité et les démarches de certifications sont de plus en plus exigeantes. Ils ont moins de temps pour accompagner les agents en difficulté et pour gérer les conflits », confirme Claudie Fardo, chef de projet au Centre national de l’expertise hospitalière (CNEH).

Modification des horaires de travail, non-remplacement, réorganisation d’un service… Nageant entre deux eaux, les ex-surveillants de nuit composent avec des injonctions paradoxales : être à la fois le relais des difficultés de leurs équipes auprès de la direction et les courroies de transmission de la hiérarchie.


Les cadres ne sont pas consultés


« Les cadres de santé sont contraints d’appliquer dans leurs services des directives, pour lesquelles ils ne sont pas consultés et qui sont parfois contraire à leurs valeurs, avec à la clé une perte de sens au travail. Les lieux de décision sont déconnectés des réalités du terrain », déplore Youssef Ghennam, secrétaire fédéral à la Fédération santé sociaux, chargé des problématiques de l’encadrement.

Une difficulté qui pourrait encore s’accroître avec la création des Groupements hospitaliers de territoire (GHT), actée par la loi santé 2016 et initiée par la loi HPST (hôpital, patients, santé et territoires) de Roselyne Bachelot qui en 2009 a affiché l’ambition de moderniser l’ensemble du système de santé. « Les directions, partagées entre plusieurs sites, ont du mal à se concerter. Avec cette réorganisation, prendre la décision de recruter met deux fois plus de temps », note Laurence-Béatrice Cluzel, vice-présidente catégorie soignante du Syndicat des managers publics de santé (SMPS).

Face au sentiment de lassitude qui ronge les cadres de proximité, les structures hospitalières se penchent doucement à leur chevet. Premier remède : ouvrir des espaces de dialogue à l’encadrement, où les membres peuvent s’épancher sur leurs maux, parfois en présence d’une psychologue. « Les cadres se sentent isolés dans leurs fonctions. Ces temps de rencontres leur permettent d’échanger entre pairs sur leurs difficultés et les projets menés dans leur unité. Ils peuvent prendre du recul sur leurs pratiques », raconte Stéphane Michaud, directeur des soins du Centre hospitalier de Niort. Ils sont aussi invités à participer aux groupes de travail sur l’amélioration des soins et les restructurations des établissements.

L’intégralité du magazine « Le Monde Campus » dans lequel a été publié cet article le 19 avril est téléchargeable ici :
Autre levier, la formation continue, avec au menu des modules sur la conduite des entretiens d’évaluation, la gestion des temps de travail, la prévention des risques psychosociaux. « Les cadres ont de nouvelles responsabilités managériales, et ils n’y sont pas suffisamment préparés. Nous les aidons à exercer leur fonction », précise Rodolphe Soulié, directeur de la politique de développement des ressources humaines au CHRU de Lille, qui a aussi lancé un plan d’accompagnement individuel des cadres en souffrance. Nombre de cadres à force de trinquer, et avec des rémunérations plafonnant à 3 000 euros bruts en fin de carrière, seraient prêts à raccrocher leur blouse. Il y a urgence.


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