Publié le
Susan Rosenthal (11/03/17)
Beaucoup de livres dénoncent les crimes contre l'humanité perpétrés par la psychiatrie. Toutefois, peu analysent la psychiatrie en relation avec le capitalisme, et encore moins au travers d'une analyse marxiste.
Dans Hégémonie psychiatrique : Une théorie marxiste de la maladie mentale*, Bruce Cohen ouvre de nouvelles perspectives. Il explique le pouvoir et l'influence croissante de la psychiatrie par son utilité pour le système capitaliste – plus elle est utile, plus elle reçoit de pouvoir, et plus son pouvoir est grand, plus elle devient utile. Plus précisément, il effectue une analyse du DSM-1 jusqu'au DSM-5 afin de montrer comment la psychiatrie a contribué à la transition néolibérale du capitalisme, obtenant davantage de pouvoir et de prestige par la même occasion.
Professeur de sociologie à l’université d'Auckland, Nouvelle Zélande, Cohen nous informe que
le présent développement est une critique du pouvoir professionnel et non de l'expérience et du comportement personnel qui a pu être étiqueté (ou auto-étiqueté) comme 'maladie mentale'. (p3)
Il cible l'«industrie de santé mentale» qui inclut «la totalité des professionel·le·s, des entreprises et des discours entourant le champs de la santé et la maladie mentale.» Il qualifie tout·e les travailleuseurs de cette industrie de «professionnel·le·s psy» dont la fonction est de «normaliser les inégalités fondamentales de la société capitaliste en les faisant apparaître comme logiques et naturelles.»
Hégémonie psychiatrique
Cohen conteste la théorie selon laquelle la soif de profit de l'industrie pharmaceutique serait le moteur principal de l'autorité ou de l'«hégémonie» croissante de la psychiatrie sur la société. Il récuse aussi l'affirmation selon laquelle l'augmentation des inégalités et la perte de soutien social amènent davantage de gens à devenir «malade mental·e». Au lieu de cela, il applique la méthode marxiste pour révéler la façon dont la psychiatrie sert le système capitaliste. Pour résumer son argumentaire :
La classe capitaliste cherche à éviter la responsabilité des nombreux problèmes qu'elle cause, elle fait donc passer la douleur et la souffrance pour des phénomènes en quelque sorte naturels et inévitables. La psychiatrie soutient le capitalisme en 'diagnostiquant' des problèmes socialement crées comme des défauts biologiques ou cognitifs individuels, fournissant des 'preuves' pseudoscientifiques permettant de rejeter la faute sur les victimes du système. Pour utiliser la métaphore d'Erving Goffman1, si le capitalisme est un jeu de dupes, alors le rôle de la psychiatrie est de calmer les perdants du système afin d'éviter qu'iels ne protestent bruyamment, dénoncent la duperie, et prennent leur revanche.
Bien que la souffrance soit probablement en augmentation, nous avons tort de l'étiqueter comme «maladie mentale». Les mises en garde concernant «l'épidémie croissante de maladie mentale» suivies d'appels en faveur d'un meilleur accès au «traitement» témoignent du succès avec lequel la psychiatrie a fait passer un nombre grandissant de problèmes sociaux comme étant d'origine médicale. L'hégémonie psychiatrique est effective lorsque la médicalisation de la souffrance a pénétré chaque aspects de la société, à tel point que les victimes se «diagnostiquent» elles-mêmes et entre elles.
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