Par Eric Favereau —
Ce dimanche, dans le lieu assez incertain de la Parole errante à Montreuil (Seine-Saint-Denis), s’est tenu un colloque autour de «l’Enfance effacée», une manière «politique et poétique» pour parler de la crise profonde que traverse la pédopsychiatrie en France.
Ce fut une journée chaleureuse, éclatée, avec un mélange d’histoires racontées et d’analyses politiques. Une mère de famille, Valérie Gay, est ainsi venue témoigner. Elle est mère de quatre enfants dont le dernier n’est pas tout à fait comme les autres. «On a eu droit à tous les diagnostics, maintenant on dit autisme Asperger.» Puis : «Théo était mutique, on était dans une énorme solitude. Chaque fois que l’on essayait une institution, ou que l’on frappait à la porte d’une administration, on nous renvoyait à des normes. Cela n’allait pas à notre fils. Il a fallu que l’on entre en résistance», dit cette femme. Peu auparavant, le Dr Roger Ferreri, longtemps chef d’un service de psychiatrie infanto-juvénile dans le département de l’Essonne, avait dressé un bilan inquiétant : «Après nous être battus contre la nuit sécuritaire [en décembre 2008, Sarkozy, alors président, dans son fameux discours à l’hôpital psychiatrique d’Antony, avait présenté les malades comme des êtres dangereux dont la société devait se protéger, ndlr], voilà qu’aujourd’hui il faut se battre contre la nuit… gestionnaire.» Voulant par ces mots dénoncer le poids démesuré de l’administration.
«La nuit gestionnaire» ? Belle et forte expression, mais est-elle juste ? A la Parole errante, on pouvait parfois avoir l’impression d’un disque rayé, d’un discours si violent que cela évitait d’évoquer les responsabilités des propres acteurs. Mais, en écho, au même moment, a été rendu public le rapport «relatif à la santé mentale» de Michel Laforcade, aujourd’hui directeur de l’Agence régionale de santé de la Nouvelle-Aquitaine. Un rapport inédit, aussi technocratique que désespérant. Son auteur n’est, pourtant, pas n’importe qui. Dans le monde un peu gris des directeurs d’agences de santé, Michel Laforcade est un haut fonctionnaire qui a plutôt bonne réputation. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, lui avait demandé en novembre 2014 ce rapport, qui lui a été remis en 2015. Puis rien. Et voilà que ledit rapport apparaît subrepticement, sur le site du ministère, la semaine dernière. Les raisons ? On ne s’en sait rien. Comme le faisait remarquer le député PS Denys Robiliard, «entre 2000 à 2009, il y a eu 15 rapports sur la santé mentale, avec des constats identiques et les recommandations de ces rapports n’ont pas été suivies d’effets».
La mutation de la psychiatrie publique
Le rapport Laforcade débute par cet incroyable aveu : «La question n’est pas tant de redire dans quel sens doit évoluer notre système de santé mentale que de proposer comment y parvenir, avec quels leviers, quelles alliances, quelles coopérations entre acteurs, quelles méthodes et quels moyens.» Etonnante analyse, car notre système de prise en charge de la maladie mentale évolue profondément, avec une réduction massive du nombre de lits, un éclatement des structures, un poids de plus en plus imposant donné aux médicaments, un recours accru aux mesures de contention ou d’isolement. Sans oublier le fait que le nombre de psychiatres va diminuer fortement, avec un départ massif de psychiatres jusqu’en 2025. La psychiatrie publique est en mutation profonde, sans que l’on ne sache vraiment vers où elle se dirige.
Dans ce rapport, on croule sous un jargon étouffant. «Les soins relèvent des généralistes de premier recours, des spécialistes et des équipes de secteur qui doivent offrir tout le panel de l’offre éventuellement en mutualisant entre plusieurs territoires.» Ou encore : «Les soins de réhabilitation relèvent de la compétence des spécialistes et des équipes de secteur : psycho éducation, remédiation cognitive, réhabilitation psychosociale, entre autres. Toutes les méthodes probantes doivent être connues des professionnels sauf à privilégier celle qu’ils connaissent au détriment de celle qui est utile pour le patient.»
Quesako ? Vous comprenez quelque chose ? Ou encore : «Pour les parcours les plus compliqués, il sera proposé de désigner des référents sur le modèle des gestionnaires de cas complexes qui ont fait leurs preuves dans d’autres domaines. Ces référents pourraient être employés par des services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés ou par des centres ressources handicaps psychiques. Enfin, les publics spécifiques aux parcours parfois tumultueux (précaires, détenus, personnes âgées, personnes handicapées, adolescents…) feront l’objet de propositions particulières.» Et ce n’est pas tout : «S’assurer que la population dispose d’un "panier de services disponibles" sur l’ensemble du territoire en termes d’accès aux soins de proximité, de méthodes éprouvées, de continuité de prise en charge sans rupture et d’accès à des soins plus spécialisés sur un territoire de recours.»
Soyons honnête, il y a quelques idées, avec ce constat que «le taux de chômage des personnes en situation de handicap est de 24%». Et le rapport rappelle que «la question des droits des usagers est certainement un peu plus sensible dans le domaine de la santé mentale». Mais aussi la question urgente du logement.
«Le cauchemar gestionnaire»
Pour le reste… Lisons simplement la conclusion : «Ces éléments pourraient utilement trouver une traduction opérationnelle dans un texte de nature réglementaire, qui devra être élaboré en lien avec les professionnels, qui contiendrait la feuille de route pour les agences régionales de santé en matière d’organisation territoriale de la santé mentale (objectifs et outils), mais aussi l’ensemble des propositions relatives aux trois thématiques de la mission (organisation territoriale/parcours, métiers/formations, citoyenneté/droits des usagers).»
«Mais quelle grossièreté, de parler ainsi», s’étonnait un des organisateurs du colloque. Ce n’est pas «la nuit gestionnaire», cela devient «le cauchemar… gestionnaire».
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