Dans son essai, le sociologue Jean-François Amadieu interroge une société qui sacralise à travers les réseaux sociaux l’apparence physique alors qu’elle accède au rang de discrimination punie par la loi.
LE MONDE | | Par Margherita Nasi
Michael Jeffries a dirigé pendant plus de vingt ans la chaîne de magasins de vêtements Abercrombie & Fitch. Cet amateur d’injections de toxine botulique et de liftings proposait, dans ses magasins, des habits pour gens jeunes et beaux. Il ne souhaitait pas que « ses clients puissent voir d’autres personnes, qui ne soient pas aussi sexy, porter ses vêtements », et la politique de recrutement des magasins suivait : les plus de 30 ans et les personnes non attirantes n’étaient pas retenus.
En boutique, tenue sexy et bonne condition physique étaient de rigueur. Mais en mai 2013, le mépris envers ceux qui ont quelques kilos ou années de trop déclenche une pétition qui rassemble 75 000 signataires. La Toile est inondée de détournements des visuels publicitaires de la marque, son cours en Bourse s’effondre, Jeffries doit quitter ses fonctions. Le nouveau patron de la marque met un terme aux recrutements au physique et aux exigences de look sur le lieu de travail. L’opinion publique a gagné.
Prise de conscience
« Pour autant, à côté d’Abercrombie & Fitch, combien d’entreprises pratiquent, sans le dire, de manière à peine moins grossière, des recrutements en fonction de la silhouette, de la beauté et de la jeunesse ? », s’interroge le sociologue Jean-François Amadieu, dans La Société du paraître. L’exemple résume bien le propos de cet ouvrage, qui se penche sur un double mouvement : « L’incroyable et croissante emprise du paraître dans nos vies et les réactions qu’elle est, pour la première fois, de manière aussi nette, en train de susciter. »
En 2002, dans Le Poids des apparences, le professeur à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne levait un tabou en montrant que les apparences physiques comptaient dans la vie de tous les jours. Une prise de conscience s’esquisse depuis, et l’apparence physique accède pour la première fois au rang de discrimination punie par la loi.
« On pouvait espérer que les inégalités liées au physique (…) soient enfin combattues. » Mais c’était sans compter sur l’explosion des réseaux sociaux, qui sacralisent l’apparence physique. Le texte aborde aussi l’impérialisme du paraître dans le monde du travail, de la télévision et de la politique. Les politologues scrutant en détail les électorats savent comment votent les chasseurs, mais ignorent des caractéristiques comme le handicap. Une invisibilité organisée qui pose d’autant plus problème que « notre droit et nos politiques publiques sont directement influencés par les diagnostics établis par ces études ».
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