Des services fermés l’été par manque de médecins urgentistes, d’autres au bord de l’embolie l’hiver lors de l’épidémie de grippe… Victime de son succès – plus de 18 millions de passages en 2013, contre 7 millions en 1990 –, le modèle français des urgences est à bout de souffle. Dans la continuité des recommandations faites en juillet par le docteur Jean-Yves Grall et dans la lignée de l’accord signé en décembre 2014 sur le décompte du temps de travail des médecins urgentistes, la ministre de la santé, Marisol Touraine, devrait annoncer d’ici à fin octobre une importante réforme de l’organisation territoriale de ces services.
Alors que près de 3 000 personnes ont manifesté le 22 août à Valognes, dans la Manche, pour protester contre la fermeture temporaire des urgences de la ville, les mesures à venir seront scrutées avec attention par certains élus locaux. La publication par Le Figaro, lundi 31 août, d’une liste de 67 services (sur un total de 650) possiblement menacés de fermeture parce qu’ils accueillent moins de 10 000 patients par an, a été accueillie avec colère et incompréhension dans leurs communes.
Sans formellement exclure que certains de ces sites puissent être amenés à évoluer, le ministère de la santé avait aussitôt démenti l’existence d’une telle liste, assurant qu’elle n’était que le fruit d’une « extrapolation » et d’une lecture « partielle et partiale » du rapport Grall de juillet. Avenue de Ségur, où les propositions du rapport sont par ailleurs jugées « assez consensuelles », on réfute avec insistance l’existence de tout seuil de fréquentation en dessous duquel un service serait amené à être transformé en « centre de soins non programmés » – c’est-à-dire sans médecin urgentiste.
« Imposer des gardes »
Les services d’urgences pourraient en revanche être réorganisés à terme comme l’ont été les maternités il y a quelques années, avec une classification différente en fonction du niveau de prise en charge (quatre, selon le docteur Grall). Ils seraient également amenés à se fédérer en réseaux, pour permettre une meilleure mutualisation des équipes et donc une plus grande souplesse pour répondre aux demandes.
Les médecins libéraux seraient également sollicités pour contribuer à désengorger les urgences. Une participation plus large des généralistes aux plates-formes de régulation médicale en journée pourrait être expérimentée par le biais d’incitations financières. A la Fédération hospitalière de France (FHF), on considère qu’il faudrait aller encore plus loin. « Les médecins libéraux doivent accepter de participer à la permanence des soins, il faut imposer des gardes de nuit et de week-end pour faire baisser la pression aux urgences », fait valoir Gérard Vincent, le délégué général de la FHF.
Le SAMU-Urgences de France, qui dévoilera vers la mi-septembre un Livre blanc sur « les urgences dans dix ans », se dit globalement en phase avec les propositions du rapport Grall. « Depuis vingt ans, les urgences n’évoluent que par crises successives, arrêtons d’être en réaction et de n’avancer que par paliers », demande François Braun, son président.
« Un seuil de rupture a été atteint »
Parallèlement à ces réformes, une solution aux problèmes d’effectifs chez les médecins urgentistes devra être trouvée. « Un seuil de rupture a été atteint cet été » avec la fermeture temporaire des urgences de Valognes et de quelques autres villes, estime Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF-CGT), qui met en garde contre toute « logique industrielle de gestion de l’hôpital ». « Le problème de la démographie médicale est localisé dans certains territoires spécifiques », nuance-t-on avenue de Ségur, où l’on rappelle les différentes mesures du « Pacte territoire santé » pour que chaque Français puisse se trouver à moins de trente minutes d’un service de soins urgents.
Si l’accord obtenu en décembre sur le décompte du temps de travail (39 heures hebdomadaires de travail clinique posté, plafonnées à 48 heures) doit à terme en partie contribuer à améliorer l’attractivité de cette profession, sa mise en œuvre pourrait s’avérer problématique. Selon la FHF, alors que 12 % des postes d’urgentistes sont déjà vacants dans les centres hospitaliers, la mise en place de cette réforme va demander à terme la création de 277 postes de médecins urgentistes pour les seuls CHU. Un besoin que l’AMUF-CGT évalue même de son côté à 750, en englobant les postes manquants aujourd’hui. Aucun financement complémentaire pour le nouveau décompte du temps de travail des urgentistes n’a pourtant été prévu. Les futures modes d’organisation en équipes et en pôles sont seuls censés permettre l’application de l’accord.
La réforme, dont l’application doit être progressive, comporte également un autre risque, ont prévenu cet été les directeurs médicaux des hôpitaux de Clermont-Ferrand et de Lyon dans la Revue hospitalière de France. Si les urgentistes choisissaient de partir travailler dans les hôpitaux qui appliquent l’accord, on pourrait « assister à l’échelle du territoire, à une sorte de dumping entre établissements (…) de nature à déstabiliser certaines structures, qui, jusqu’à présent, fonctionnaient sans difficultés ».
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