Le recours à la péridurale est-il trop souvent imposé aux femmes qui accouchent ? Le Conseil national de l’ordre des sages-femmes s’est inquiété, lundi 31 août, d’une telle dérive, en s’appuyant sur les conclusions d’une équipe de l’Inserm, selon laquelle la péridurale est fréquente chez les femmes qui souhaitent accoucher sans la demander.
La France, où quelque 800 000 accouchements ont lieu chaque année, est « l’un des pays, peut-être même le pays, où la pratique de la péridurale est la plus fréquente », rappelle l’Inserm. Cette anesthésie permet avant tout de mieux prendre en charge la douleur lors de l’accouchement. Mais elle semble dans certains cas révéler aussi les effets pervers d’une approche sécuritaire de la grossesse, particulièrement prégnante en France, où le taux de césariennes est élevé (21 %) et les durées d’hospitalisation sont longues (4,2 jours pour un accouchement normal en 2011 contre 3 jours en moyenne dans les pays de l’OCDE).
Se fondant sur les dernières enquêtes nationales, l’épidémiologiste de l’Inserm, Béatrice Blondel, relève que le recours à la péridurale ne cesse de progresser : « En 1995, 54 % des femmes ont eu une péridurale. Elles étaient 75 % en 2003 et 81 % en 2010. La question est : est-on bien synchrone avec ce que veulent les femmes ? »
Après avoir écarté les femmes pour lesquelles cette anesthésie paraît incontournable ou obligatoire (césarienne), l’Inserm souligne en effet que, parmi les autres, « un quart avait déclaré pendant leur grossesse ne pas vouloir de péridurale lors de l’accouchement ; 52 % ont finalement reçu une analgésie péridurale au cours de leur travail ».
Les chercheurs ont tâché d’identifier les facteurs expliquant cet écart. L’un des premiers est la présence permanente d’un anesthésiste dans la maternité. Elle est obligatoire dans celles qui pratiquent plus de 2 000 naissances par an, soit la moitié des 530 maternités. Le service de ces anesthésistes est donc plus accessible. « Ils connaissent mieux les risques, notamment de césarienne. Leur présence autorise aussi plus facilement une femme à changer d’avis », développe Mme Blondel.
« Violences obstétricales »
Autre facteur : le fait que la femme accouche pour la première fois. « Elle a un travail plus long que les multipares, elle va endurer plus longtemps la souffrance » et peut donc finalement opter pour une péridurale et/ou être conseillée dans ce sens par l’obstétricien.
Plus préoccupant, l’Inserm révèle l’incidence de la surcharge de travail des sages-femmes et du recours trop répandu à l’ocytocine, une hormone qui augmente la fréquence et l’intensité des contractions. « Une femme qui n’a pas de péridurale a besoin d’un soutien plus important de la part d’une sage-femme », étaye Béatrice Blondel. Elle lui tiendra la main, l’aidera à se positionner. « Les sages-femmes qui ont une surcharge de travail seront donc moins disponibles et plus incitées à suggérer une péridurale. »
Dans un communiqué, le Collège national des sages-femmes de France s’est indigné que les professionnelles soient « contraintes de devenir complices des violences obstétricales faites aux femmes ». Alors que des restrictions budgétaires pèsent sur les hôpitaux, le Conseil de l’ordre des sages-femmes appelle à « réformer les décrets de périnatalité de 1998 », fixant des seuils minimaux de professionnels devant être présents dans les maternités, qu’il juge « insuffisants et obsolètes ».
« Aujourd’hui, pour des maternités qui font en moyenne 2 000 à 2 500 naissances par an, il y a à peu près deux à trois sages-femmes de garde en salle de naissance, explique Marie-Josée Keller, présidente du Conseil de l’ordre des sages-femmes. Elles assument, en plus, les consultations urgentes. La sécurité médicale est garantie, mais l’accompagnement peut ne pas être là. »
Quant au recours à l’ocytocine, qui induit des péridurales et concerne environ deux tiers des femmes qui accouchent, l’Inserm s’inquiétait déjà, en 2013, de le voir devenir une routine allant « au-delà des indications classiques », c’est-à-dire lorsque le travail présente une anomalie. Un phénomène qui fait bondir Nicolas Dutriaux, secrétaire du Collège national des sages-femmes : « On l’utilise pour accélérer le travail. Or, c’est corrélé à un pic de l’hémorragie de la délivrance qui est la première cause de décès par accouchement. On est le seul pays occidental pour qui c’est le cas, à force de trop médicaliser. »
Au-delà de la péridurale, la médicalisation de l’accouchement tente de résister à d’autres niveaux. Depuis avril 2014, il est possible de créer des unités physiologiques gérées par des sages-femmes au sein des maternités. « Malheureusement, aucune unité fonctionnelle n’a pour l’heure vu le jour », regrette le Conseil de l’ordre des sages-femmes. De même, l’expérimentation de quelques maisons de naissance à partir de janvier 2016 « a été très dure à faire accepter », rappelle Mme Keller.
Entièrement gérées par des sages-femmes libérales et destinées à des femmes dont la grossesse se déroule sans problème, elles existent déjà dans de nombreux pays (Allemagne, Suisse, Australie, Italie, Espagne). En France, le décret d’autorisation du 30 juillet (vingt mois après le vote de la loi) se révèle assez restrictif. Les maisons devront notamment être attenantes aux maternités. « C’était ça ou rien, résume Mme Keller. Les médecins s’y opposaient. Ce changement de mentalité nécessite du temps. »
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