Boissons énergisantes, caféine concentrée, mais aussi Ritaline ou encore corticoïdes… La consommation de psychostimulants pour améliorer ses performances intellectuelles est fréquente chez les étudiants en médecine, selon une enquête française en cours de publication. Bien décrite sur les campus américains, où elle est de plus de plus en vogue depuis vingt ans, cette pratique dite de neuroenhancement, terme traduit par « neuro-augmentation » ou « neuro-optimisation », était jusqu’ici très peu étudiée dans l’Hexagone. Mais une étude, inédite par son ampleur, menée par six médecins auprès d’un échantillon représentatif de 1 700 étudiants en médecine et jeunes diplômés, montre que le phénomène est loin d’être marginal.
Au total, un tiers a déjà pris des psychostimulants – hors café et pilules de vitamine C – dans sa vie. La consommation de produits en vente libre (tels le Guronsan – mélange de caféine concentrée et de vitamine C – et les boissons énergisantes à la caféine) est de loin la plus banale, retrouvée dans 30 % des cas. Une proportion non négligeable de carabins (6,7 %) a recours à des psychostimulants sur ordonnance : corticoïdes, methylphenidate, une molécule proche des amphétamines commercialisée, entre autres, sous le nom de Ritaline dans le traitement du TDAH (trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité) et celui de Modafinil (traitement de la narcolepsie). Enfin, 5,2 % d’entre eux ont indiqué avoir consommé des psychostimulants illicites en France : cocaïne, dérivés d’amphétamines tel que l’ecstasy.
Des médecins diplômés également
Pour ce travail, les psychiatres et chercheurs Guillaume Fond et Philippe Domenech (groupe hospitalier Henri-Mondor, Créteil) et leurs collègues ont recueilli et analysé 1 700 questionnaires ; 63 % des participants étaient des femmes, une proportion représentative du sex-ratio dans les études médicales. Les trois cycles du cursus étaient représentés, avec également des médecins diplômés depuis moins de cinq ans.
Au-delà des données brutes, les auteurs ont regardé de plus près qui prenait quoi et dans quel but. Premier constat, les adeptes de Guronsan et de boissons énergisantes commencent pour la plupart leur consommation dans les années précédant le concours de première année de médecine ou l’examen classant national de sixième année. Pour la plupart, l’objectif est d’augmenter leur vigilance, probablement pour compenser le manque de sommeil en période de préparation d’examens. Une pratique somme toute banale, quoi que… « Ces sujets ont un risque multiplié par deux de consommer d’autres psychostimulants », précise Guillaume Fond.
Quant aux 6,7 % d’individus ayant recours à des psychostimulants prescrits médicalement, ils cherchent à améliorer leur vigilance, mais également à booster leurs performances académiques, selon l’enquête. Il s’agit pour la plupart de médecins ayant validé leur internat, qui peuvent donc prescrire. La consommation de Ritaline et de Modafinil (respectivement 1,5 % et 0,7 %) est moins fréquente que dans d’autres pays, notamment les Etats-Unis. Le docteur Fond et ses co-auteurs ont été en revanche surpris par la proportion élevée de consommateurs de corticoïdes : 4,5 %. Une spécificité française selon eux, et qui s’explique sans doute en partie par un accès plus simple à ces médicaments qu’au methylphenidate et au Modafinil. De fait, en France, la réglementation les concernant est très stricte. Ainsi, la prescription initiale de Modafinil ne peut être réalisée que dans un service de neurologie ou un centre du sommeil. Le methylphenidate est inscrit sur la liste des stupéfiants…
Pour augmenter leur vigilance
Classiquement, les corticoïdes sont utilisés dans de nombreuses pathologies pour leurs effets anti-inflammatoires ou immunosuppresseurs. Dans l’étude, les étudiants qui en prenaient cherchaient surtout à augmenter leur vigilance. Une proportion importante d’entre eux déclarait d’ailleurs y avoir recours surtout dans la période où ils commençaient à prendre des gardes. Or, « les corticoïdes peuvent avoir des effets délétères sur la santé, même à court terme », souligne Martine Gavaret, neurologue au CHU de Marseille et coauteur de l’enquête. Ces médicaments induisent notamment une augmentation de l’appétit et une prise de poids ; ils favorisent l’hypertension artérielle et le diabète, et peuvent entraîner des troubles psychiques.
Point positif, aucun des participants n’a déclaré de dépendance physique ou psychologique aux produits consommés, mais il ne s’agit que d’autodéclarations…
« Notre étude suggère que les comportements de consommation de psychostimulants sont très fortement influencés par les rythmes académiques des études médicales, et notamment les deux grands examens, en première et en sixième année. Le type de psychostimulant dépend, lui, de l’accessibilité au produit », résument les auteurs.
Dans une revue de la littérature sur les psychostimulants, parue le 8 juillet dans la revue Psychiatry Research, Guillaume Fond et ses collègues constatent que le nombre d’études consacrées à ces produits dans le cadre de la neuro-amélioration est relativement faible, de l’ordre d’une cinquantaine. Sans doute parce que ce sujet, qualifiée de dopage cognitif par ses détracteurs, fait débat. D’où des difficultés à conclure sur leur efficacité sur la cognition. En 2014, le Comité national consultatif d’éthique (CCNE) a rendu un avis mitigé sur la neuro-amélioration par des psychostimulants ou des techniques comme la stimulation cérébrale transcrânienne. Le CCNE soulignait notamment les inconnues à long terme sur le rapport bénéfice-risque et s’inquiétait des risques d’aggravation des inégalités sociales ainsi induits dans la société.
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