Jacques-Marie Lacan est né à Paris le 13 avril 1901 dans une famille de la moyenne bourgeoisie catholique, sa mère étant l’héritière d'une firme de production vinaigrière orléanaise dont son père en assurait la représentation.
Enfant jaloux et lunatique, Lacan, entre au Collège Stanislas où, ne se mêlant pas aux autres élèves, il montre, un goût marqué pour les mathématiques et la philosophie. Alors que la Grande Guerre s’achève, Lacan retrouve son père, démobilisé, mais celui-ci n’est plus le père aimant de son enfance. Lacan, alors en classe de philosophie, et qui avait suivi jusque-là avec passion les cours de Jean Baruzi, auteur d’une thèse sur Saint Jean de la Croix, va alors se détourner de la foi et se rapprocher du mouvement dadaïste, le processus d’écriture automatique ide Philippe Soupault et André l’intéressant au plus haut point.
Rupture avec le père...
Rompant avec sa famille qu’il scandalise en proposant à son petit frère de lire l’éloge qu’il avait fait de Nietzsche pour la Saint-Charlemagne, Lacan entreprend alors des études de médecine, Au terme de son externat en 1924, après avoir été exempté du service militaire l’année précédente en raison de sa faible constitution, Lacan envisage de s’installer au Sénégal et rencontre le général Weygand auprès duquel il se présente comme un monarchiste nouvellement acquis à Léon Daudet, sollicitant avant de partir en Afrique un entretien avec Charles Maurras qu’il finira par rencontrer, participant à quelques réunions de l’Action Française.
Premières armes à Sainte-Anne
Son projet de départ pour le Sénégal ayant fait long feu, Lacan reprend le cours de ses études médicales et se spécialise en neurologie, la discipline psychiatrie n’existant pas alors. Le 4 novembre, il fait sa première présentation de malade à la Société neurologique de Paris, Il réussit le concours qui lui permet de commencer l'année suivante son internat dans le service « Clinique des Maladies mentales et de l’Encéphale » que dirige Henri Claude à Sainte-Anne.
Durant ces années de formation, Lacan apprend aussi la clinique des troubles du langage auprès du chef du service de l'asile de Maison Blanche, Marc Trénail, un spécialiste de la psychiatrie légale. Sa curiosité pour la criminologie ayant été éveillée par Marc Trénail, il exerce son année d'internat 1928-1929 à l’Infirmerie Spéciale des Aliénés de la Préfecture de police de Paris sous la direction de Gaëtan Gatian de Clérambault, dont il ne tarde pas à subir l’influence, disant plus tard qu'il a été son "seul maître en psychiatrie". Clérembault s'intéressait particulièrement à l'érotomanie. S’appuyant sur le syndrome d'automatisme mental, celui-ci en était venu à séparer les psychoses hallucinatoires des délires passionnels, ces derniers correspondant en particulier à l'érotomanie. Davantage intéressé par la paranoïa féminine, Lacan écrit en 1931 son premier texte théorique sous le titre de " Structures des psychoses paranoïaques ".
Aimée, la patiente qui fera l’objet de sa thèse de médecine
En 1931, Lacan il va suivre à Sainte-Anne, Marguerite Pantaine, internée à la suite d'une tentative d'assassinat à l'arme blanche sur une actrice célèbre. La malade était porteuse d'un délire paranoïaque fait de thèmes de grandeur et de missions suprêmes. Lacan qui donna dans ses écrits le nom d’Aimée à sa malade s’intéressa tellement à la psychose d'Aimée qu’il en fit l'objet de sa thèse de médecine : « De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité ». Il y démontre qu’Aimée développe une paranoïa d'autopunition et que le geste criminel est tout aussi bien dirigé vers elle-même. Cet acte, au fond auto-agressif, efface la culpabilité et provoque une amélioration des troubles de la patiente. C’est Marie-Thérèse Bergerot, une veuve de quinze ans son aînée, qu’il avait rencontrée en 1928, qui financera l’impression de cette thèse. Il adhère alors à la Société psychanalytique (SPP) et élabore sa célèbre théorie sur le Stade du miroir.
La fréquentation des surréalistes
Parallèlement à son travail à l’hôpital Sainte-Anne, Lacan continue de fréquenter les milieux surréalistes. On le retrouve ainsi dans le cercle décadent de la comtesse Isabel Dato où il fait la connaissance de Georges Bataille et Pierre Drieu La Rochelle. Il rencontre aussi Salvador Dali dont il vient de lire « L’Âne pourri » pour l’entendre disserter sur des rapports entre création artistique et paranoïa qui permettraient de surpasser la passivité de l'écriture automatique. Il croise aussi au café Cyrano, lieu de ralliement des surréalistes, près de la place Banche, le chemin d’un ancien infirmier psychiatrique qui n’est autre qu’André Breton. De 1931 à 1933, Lacan va poursuivre une politique de soins sans enfermement systématique dans les locaux du service des admissions et de l'infirmerie de l'hôpital Sainte-Anne. Avec son dispensaire et son service social, il préfigure, un peu la politique de secteur qui verra le jour en 1960 sous l’impulsion de Georges Daumezon.
À la même époque, Man Ray et Paul Eluard vont solliciter Lacan à l’occasion du procès des sœurs Papin, deux jeunes domestiques qui avaient tué leur patronne. L’affaire faisait sensation et avait pris un tour politique, vu par certains comme l’expression d’une révolte de classe alors que les partisans de l’ordre réclamaient une condamnation à mort.
Jacques Lacan va, pour sa part, contredire les trois experts qui avaient conclu à la responsabilité pénale des sœurs Papin. Il va reprendre, à cette occasion, la conception des crimes passionnels formulée dans sa thèse à savoir que le passage à l'acte est la satisfaction d'un désir, une auto- punition, résolvant un délire soudain. Il exclut de cette façon la préméditation.
Le 29 janvier 1934, le psychiatre épouse Marie-Louise Blondin, dite Malou, sœur de son ami Sylvain Blondin, chirurgien des hôpitaux et quelques semaines plus tard obtient le titre de Médecin des asiles,
Ouverture d’une consultatiion de psychanalyse en 1936
En 1936, le psychiatre déménage 97 boulevard Malesherbes, où il ouvre une consultation de psychanalyse. C'est là qu'en sa présence silencieuse se tiennent les comités de rédaction de L'Acéphale, antithèse de la revue « scientifique » L'Encéphale, qui prolonge dans le champ littéraire le combat politique du mouvement Contre-attaque dissous à la suite de la rupture entre Georges Bataille et André Breton.
Le 1er avril 1938, Lacan est amené à recevoir Antonin Artaud à Sainte-Anne. Celui-ci avait été arrêté à Dublin pour scandale sur la voie publique. Lacan suivra Artaud pendant onze mois, jusqu'au transfert de l’écrivain à Ville Évrard dans l'ancien service de son professeur Marc Trénel. Il diagnostique une graphorrhée, c'est-à-dire un salut possible dans l'écriture comme cela a pu être le cas pour James Joyce.
Liaison avec Sylvia Bataille
En 1939, année de la mort de Sigmund Freud, Lacan déménage au 3 rue de Lille et noue une liaison avec l'actrice Sylvia Bataille, séparée de son ami Georges Bataille depuis 1933. Quand la guerre éclate, le psychiatre est mobilisé et affecté à l'hôpital militaire des Franciscains à Pau. Le 13 juin 1940, alors que les Allemands s’apprêtent à rentrer dans Paris, Jacques Lacan, démobilisé des services de santé des armées, rejoint Marseille où il retrouve André Malraux à cours d'argent. Il loue la maison que ce dernier possède à Roquebrune pour abriter sa maîtresse, Sylvia Bataille, enceinte. La mère de Judith Bataille s'étant imprudemment déclarée avec sa fille comme « juives » au commissariat de Cagnes, Lacan va s'introduire subrepticement dans les locaux de la police et réussir à dérober leur dossier sur une étagère…En1941, alors que Jacques Lacan et Sylvia Bataille sont toujours légalement mariés, naît Judith Bataille, à laquelle la loi confère le nom du mari de sa mère. Le choix du prénom d'une héroïne juive et castratrice est en soi un programme et dans la circonstance un défi. L'épouse légitime demande alors le divorce mais celui-ci ne sera prononcé qu’une fois la guerre terminée.À cours d'argent, Lacan finit par rentrer à Paris travailler dans le service désormais dirigé par Henri Ey à Sainte-Anne. Les patients, arrivant déjà dénutris, meurent de faim et de froid en nombre Placée comme gouvernante chez le père de Jacques Lacan, Aimée échappe à ce sort.
Les « années de silence » de la guerre
Une partie de l'hôpital est réquisitionnée par l'occupant pour servir d'hôpital militaire, une autre abrite le réseau communiste Front national sanitaire, que dirige Lucien Bonnafé. Le trafic de faux certificats y fleurit. Jacques Lacan y propose son aide à un confrère, Jacques Biézin menacé par les lois antisémites,
Durant toute l'Occupation, Lacan se refuse à publier ou à enseigner mais il poursuit en privé son activité de psychanalyste dans un nouvel appartement, 5 rue de Lille. Il profite aussi de ces années de silence pour commencer à étudier le chinois, langue « idéographique » qui interroge moins la vérité du signifiant que le rapport du signifié au signe. En 1951, Lacan participe aux réunions que l'Ordre des médecins organise à propos de la liberté d'exercice de la psychanalyse par les non-médecins et se prononce en faveur de l'analyse profane pour une raison clinique, la nécessité pour le psychiatre d'analyser la personnalité, et une raison pratique, l'insuffisance du nombre de médecins. Il ajoute, en outre, que les psychanalystes ont l'expertise qui manque aux psychiatres au sortir de leur formation…
En 1953, Jacques Lacan devient président de la Société psychanalytique de Paris. Quelques mois plus tard, il en démissionne avec d'autres analystes dont Daniel Lagache et Françoise Dolto. Il participe avec ces derniers à la création de la Société française de psychanalyse (SFP).
Guerre avec l’Association internationale de psychanalyse
En 1954, L'Association internationale de psychanalyse (IPA), créée par Freud, refuse de reconnaître la SFP, un moyen pour elle de proscrire l'enseignement de Lacan. Commence alors une série de demandes d'affiliation, d'enquêtes, de commissions et de négociations qui vont durer dix ans. Le point d’achoppement réside dans les séances courtes pratiquées par Lacan, dans le contenu de son enseignement, mais surtout dans la personnalité même du psychanalyste français. Il est finalement stipulé que cette affiliation ne sera acceptée que si l'on donne des garanties pour que, à jamais, l'enseignement de Lacan ne puisse, par cette société, participer à la formation des analystes. Lacan compare son exclusion à une excommunication.
En1964, plusieurs membres de la SFP dont Daniel Lagache, Jean-Bertrand Pontalis, Didier Anzieu et Jean Laplanche fondent l'Association psychanalytique de France (APF) qui, refusant la pratique des séances courtes, rejoindra rapidement l'IPA. D'autres membres de la SFP fondent avec Lacan l’École Française de psychanalyse (EFP) qui deviendra par la suite l’École freudienne de Paris.
Dissolution de l’Ecole Française de Psychanalyse en 1980
En1980, une lettre de dissolution de l'EFP, signée du nom de Lacan, est publiée dans « Le Monde ». Une bataille juridique s'engage pour contester la forme de cette décision. Mais, selon certains, Lacan, gravement malade, n’aurait pas eu la lucidité nécessaire pour prendre une telle décision. L'assemblée générale de l'EFP vote finalement la dissolution le 27 septembre, ce qui met fin officiellement à cette institution.
En1981, la fondation de l'École de la cause freudienne (ECF) est annoncée. Ses statuts sont signés par Lacan qui meurt le 9 septembre de la même année.
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