Plusieurs anciens éminents experts sanitaires des agences publiques du médicament ont-ils, entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, touché de l’argent des laboratoires pharmaceutiques en échange de « conseils » peut-être décisifs ? Quarante-huit heures après la publication d’un article du site Mediapart faisant état de telles accusations, la Haute Autorité de santé (HAS) et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ont annoncé, jeudi 26 mars en fin d’après-midi, qu’elles déclenchaient des enquêtes administratives internes et qu’elles portaient les faits relatés à la connaissance du procureur de la République. Des démarches exigées la veille par la ministre de la santé Marisol Touraine pour qui, « si les faits rapportés sont exacts, ils sont inacceptables et même d’une gravité extrême ».
Dans son enquête, Mediapart rapporte qu’un « petit groupe d’amis » occupant des postes haut placés dans les commissions se prononçant sur la mise sur le marché des médicaments et statuant sur leurs taux de remboursement a « pendant plus de vingt ans (…) conseillé les laboratoires sur la meilleure façon de présenter leurs dossiers ». Des faits graves de conflits d’intérêts qui ne sont jamais franchement qualifiés de « corruption » dans la mesure où, semble-t-il, l’argent versé « ne garantissait pas une décision favorable » mais alimentait l’espoir pour les industriels que « le regard de la commission soit plus bienveillant » sur leurs demandes.
A la tête de ce petit groupe figurerait Gilles Bouvenot, qui fut notamment président de la commission de la transparence de 2003 à 2014. Une structure dont l’avis décisif sur le remboursement des médicaments conditionne leur prix et indirectement leur succès ou leur échec commercial. « Cette commission est hypersensible, c’est elle qui fixe tout. Et, à moins qu’il ne demande un truc énorme, le poids du président y est gigantesque », raconte au Monde un professionnel du secteur qui, ayant travaillé dans les années 2000 avec les personnes mises en cause, souhaite garder l’anonymat. Reconnaissant que des « rumeurs » circulaient depuis plusieurs années au sujet des pratiques de la « bande », il ajoute : « Si cela s’avère exact, c’est gravissime et même absolument scandaleux. »
« Un poste potiche »
Parmi les autres responsables présentés comme étant « à la fois consultants et décisionnaires », on trouve le président de la commission de la transparence de 1989 à 1998 ou le vice-président de la commission d’autorisation de mise sur le marché de 1994 à 2002. Plusieurs d’entre eux auraient rencontré, à de multiples reprises, « en catimini » à l’hôtel Sofitel de Marseille ou au Méridien Montparnasse à Paris des responsables de laboratoires. Interrogés par Mediapart, des membres de laboratoire évoquent « des sommes d’environ 60 000 euros versées pour ces prestations ».
Gilles Bouvenot n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde. Face aux questions de Mediapart, il assure avoir arrêté ses activités de conseil en 2003, voire même dès 2000, selon une deuxième déclaration. Le poste de vice-président de la commission d’autorisation de mise sur le marché, qu’il occupe alors depuis 1997, est, assure-t-il, « un poste potiche ». « J’avais une activité hospitalière. Je ne voulais pas perdre pied, et je souhaitais rester dans les tuyaux de l’industrie pharmaceutique », déclare-t-il.
M. Bouvenot assure par ailleurs n’avoir pas demandé « d’argent qui était imposable ». « Je demandais aux firmes de m’inviter à des congrès, explique-t-il. Le fisc ne s’intéressait pas particulièrement aux avantages en nature. » « Vous ne trouverez rien de compromettant dans mon patrimoine, constitué d’un appartement de 100 m2 à Marseille et d’une Peugeot 308 », fait-il enfin valoir pour sa défense. Il ajoute : « Nous avons été très durs avec les laboratoires. Aujourd’hui, certains se vengent. »
Dans leurs communiqués, la HAS et l’ANSM rappellent que plusieurs dispositifs ont été mis en place ces dernières années pour prévenir ces « liens d’intérêts ». Les déclarations d’intérêts sont « examinées à l’occasion de chaque évaluation de produits de santé, souligne la HAS. Toute personne est écartée des débats et des votes s’il y a une situation potentielle de conflit d’intérêts ». A l’ANSM, Claude Pigement, son vice-président, rappelle qu’un « cadre de rigueur extrême » a été donné il y a quelques années pour prévenir ces risques. Quant aux faits rapportés par Mediapart, ajoute-t-il, « s’ils sont avérés, je reste sans voix devant leur gravité ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire