LE MONDE | | Par Margherita Nasi
« There is no alternative », déclarait Margaret Thatcher. Une affirmation devenue un slogan dans le monde entier, sous l’appellation « TINA » : il n’y a pas d’autre choix possible. Aujourd’hui, Christophe Dejours soutient le contraire. Non seulement parce que ce slogan a montré ses limites : dans l’entreprise néolibérale, il s’est concrétisé par le « retournement du travail contre l’être humain avec à la clé l’apparition de suicides jusque sur les lieux de travail ». Mais aussi parce qu’il est possible de gouverner et de travailler autrement.
C’est ce qu’affirme le psychiatre, psychanalyste et professeur au Conservatoire national des arts et métiers dans son nouveau livre, Le Choix. Souffrir au travail n’est pas une fatalité.
Le titulaire de la chaire Psychanalyse-Santé-Travail s’était déjà intéressé à la souffrance au travail dans son précédent ouvrage Souffrance en France : il y posait la question de la servitude volontaire, aucune entreprise ne pouvant fonctionner sans le zèle des travailleurs et la subversion de l’organisation prescrite, d’après le directeur de recherche à l’université Paris V.
« Mais ce constat a aussi une contrepartie essentielle : si le système fonctionne grâce à notre zèle, dont il ne peut absolument pas se passer, c’est qu’il n’est pas un système inexorable. Son fonctionnement dépend de notre consentement à le servir. Si nous ne consentons pas, il s’effondre. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à tous les systèmes, même totalitaires, et ce sera un jour le tour du système néolibéral ».
Dans son nouveau livre, Christophe Dejours pousse donc plus loin que la simple critique du tournant gestionnaire, de l’évaluation individuelle des performances, de la précarisation de l’emploi. Il montre comment on peut lutter concrètement et efficacement contre cette évolution délétère du travail.
Appauvrissement du débat dans la cité
L’auteur commence par décrire ce qui, aujourd’hui, « ne peut être caractérisé plus clairement que comme la banalisation du pire » : ces organisations du travail qui engendrent des désastres humains.
Il s’appuie sur deux terrains d’investigation : les services de réanimation et les centres d’appels téléphoniques, représentatifs « des dérives redoutables que nous voyons s’étendre dans un grand nombre de secteurs depuis quinze ans ». Il passe ensuite à l’analyse d’alternatives concrètes, à partir d’interventions faites dans les entreprises ces dernières années.
Fondé sur l’étude psychanalytique de la souffrance et du plaisir au travail, l’ouvrage se veut aussi politique. Syndicats et partis de gauche auraient refusé le rendez-vous avec les questions de la santé mentale au travail, et la montée du thème de la souffrance au travail serait « le témoin de l’impuissance des politiques à s’emparer de la question de l’organisation du travail ». Un désinvestissement d’autant plus déplorable que la perte d’intelligence, la fin de l’entraide, la méfiance et la déloyauté au travail « infiltrent progressivement la société civile tout entière et se traduisent par un appauvrissement sensible du débat politique dans la cité ».
Christophe Dejours milite pour le rétablissement de la coopération, et les entreprises qui se sont engagées dans ces expérimentations montrent que le monde du travail peut être transformé. « Pour les autres, c’est maintenant une question de choix ».
Le choix. Souffrir au travail n’est pas une fatalité, Christophe Dejours (Editions Bayard, 300 pages)
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