| 27.03.2015
Pourquoi le copilote de l’A320 de Germanwings a-t-il activé la procédure de descente automatique ? Pourquoi est-il resté sourd pendant huit minutes aux appels du pilote, aux coups de hache frappés dans la porte, aux messages radios et aux alarmes déclenchées automatiquement, alors que l’enregistrement de sa respiration atteste qu’il est toujours en vie alors qu’il « permet volontairement la chute de l’avion », selon les termes du procureur de la République, et provoque inexorablement la mort des 150 personnes présentes à bord ?
S’agirait-il d’un acte criminel ? D’un comportement démentiel ? Ou d’un suicide dit altruiste, qui a entraîné dans la mort des dizaines de victimes ?
La piste d’une mélancolie délirante, peu probable
Aucune de ces hypothèses ne semble résister à l’analyse des experts sollicités par « le Quotidien » : « un épisode de mélancolie délirante, avec accès de démence, ne correspond pas au tableau du silence total observé chez Andreas Lubitz, au long des huit très longues minutes de descente de l’appareil », observe le Pr Patrick Clervoy, chef du service de psychiatrie de l’hôpital militaire du Val de Grâce, spécialiste du stress et psychiatre référent du centre d’expertise médical des personnels navigants (CEMPN) de Toulon.
« Les déments ne sont pas mutiques, souligne-t-il, mais ils tiennent des propos délirants. De même, les actes criminels, perpétrés en lien avec telle idéologie, religion, ou emprise psychologique s’accompagnent de revendications. L’abstention de tout propos pour justifier l’acte d’un forcené n’a pas non plus été repérée dans aucun épisode identifié dans l’histoire, récente ou plus ancienne. Quant à un suicide "altruiste", les cas de figure classiques correspondent à des crimes commis sur l’entourage et la famille, des proches parfaitement identifiés, et non pas sur des tiers inconnus et en très grand nombre. »
« Ni psychologique, ni psychiatrique, mais neurologique »
Pour élucider les causes du comportement si profondément énigmatique d’Andreas Lubitz, ayant éliminé les autres interprétations, le Pr Clervoy ne retient alors qu’« une hypothèse, ni psychologique, ni psychiatrique, mais neurologique ».
« Contrairement à l’interprétation du procureur de la République, l’enregistrement de sa respiration régulière jusqu’au crash ne prouve pas que le copilote est dans une démarche volontaire et par conséquent qu’il est en état de conscience, mais il atteste qu’il est en vie, simplement en fonction végétative et inconsciente. Il semble dans un état dit de coma vigile, communément appelé état de rêve éveillé, ou encore état crépusculaire ; dans ces épisodes de para-sommeil, ou para-vigile, le sujet est en capacité d’effectuer des gestes automatiques, comme le déclenchement d’une procédure de descente à bord d’un avion, ou le verrouillage d’une porte blindée. En revanche, il n’est pas en mesure de réagir aux signaux que constituent les alarmes et les cris. Que sa respiration soit restée régulière pendant tout ce temps, alors qu’il a sous les yeux les éléments d’une catastrophe imminente, dans un contexte ultra-stressant, cela corrobore aussi l’hypothèse somnambulique », relève le Pr Clervoy.
Quant à l’épisode de dépression sévère dont aurait souffert le copilote il y a six ans, avec une prise en charge spécialisée et un suivi médical qui s’est poursuivi depuis - avec un arrêt de travail encore la veille du vol -, il a pu justifier la prescription d’inducteurs de sommeil, des molécules dont les effets confusionnels sont connus, et qui peuvent favoriser les états de rêve éveillé.
Les limites des tests
Les tests psychométriques, psychotechniques et psychologiques pouvaient-ils prédire la défaillance neurologique ? Malgré l’énorme batterie des tests mis en œuvre pour valider l’aptitude médicale et psychologique de classe 2 requise pour les pilotes, elle ne saurait être décelée hormis lors de la survenue d’un épisode de comas vigile traversé par le sujet.
Autant dire qu’elle n’est pas repérable, quelle que soit la qualité des tests effectués, aussi approfondis que puissent être les entretiens de personnalité menés par les psychiatres, aussi bien dans la phase de sélection, que lors des évaluations effectuées dans les CPEMPN, ou, chaque année également, à l’occasion des examens de médecine du travail, conduits par des médecins certes non spécialisés en psychiatrie, mais dûment avertis au sujet des pathologies mentales.
« Des éléments perturbateurs non apparents lors de nos examens et de nos tests peuvent évidemment toujours survenir, convient d’ailleurs le Dr Arnaud Bercq, directeur de la recherche clinique au MEDES (centre de médecine spatiale), qui travaille avec le Dr Peter Maschke, psychiatre de la compagnie Lufthansa, nous touchons là aux limites des systèmes de screening les plus rigoureux. »
Le risque zéro n’existe pas
L’explication somnambulique fait partie de ces facteurs de risque neurologique qu’aucun test ne mettra en évidence. Même parmi les astronautes, dont la surveillance médicale est sensiblement plus resserrée que celle des pilotes d’avion, le risque zéro n’existe pas : « Sur les 530 personnes qui ont voyagé à ce jour dans l’espace, confie l’astronaute Jean-François Clervoy (Agence spatiale européenne), je connais deux cas de "pétage de durite" qui sont survenus, heureusement lors de périodes d’entraînement et non pas en vol réel. C’est dire que malgré les investigations les plus sophistiquées qui soient, le risque humain subsiste, dans l’espace comme, a fortiori, à bord d’un avion. »
Pour l’Airbus de Germanwings, si l’hypothèse somnambulique n’est pas vérifiable, elle semble aujourd’hui la seule qui soit confirmée par toutes les informations connues, aussi bien dans l’histoire du copilote que dans le scénario du vol.
Elle pourrait aussi fournir une explication à d’autres catastrophes restées mystérieuses, comme la disparition, en mars 2014, du vol de la Malaysia Airlines, avec 239 personnes à bord. Les systèmes avaient été délibérément désactivés et l’appareil avait sans raison connue à ce jour, changé de cap.
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