Si en cancérologie les opioïdes forts sont considérés comme le « gold standard » des antalgiques, leur emploi dans les autres douleurs chroniques est d’avantage discuté. Face au risque potentiel de mésusage et de dépendance, les nouvelles recommandations de la SFETD rassurent et prônent une utilisation décomplexée mais raisonnée.
L’envolée des mésusage et des dépendances et la survenue de décès liés à la prise d’opioïdes ont amené les états-Unis – qui consomment 10 fois plus de morphiniques que les Européens – à en restreindre l’usage avec des recommandations plutôt contraignantes.
En France, la tendance semble davantage à optimiser les prescriptions qu’à les restreindre, comme en témoigne le projet de recommandations sur la prescription des opioïdes forts dans la douleur chronique non cancéreuse (DCNC) élaborées par la SFETD* et présentées lors de son congrès annuel (Toulouse, 20-22 novembre). « Nous voulons décomplexer l'usage de la morphine, commente Virginie Piano (co-auteur de ces recomandations, Marseille), tout en l'encadrant pour améliorer l'efficacité et la sécurité de la prise en charge des DCNC et éviter des déremboursements ou des retraits de molécules, notre arsenal thérapeutique étant déjà limité. » La SFETD présentait la première mouture de ces recommandations (15 au total sur 40 pages) destinées au médecin généraliste qui pourront être nuancées par les remarques des prescripteurs. à noter qu'elles ne concernent ni la méthadone ni les voies IV et SC, ni, bien sûr, l’intrathécale.
Des indications reprécisées
Dans les douleurs chroniques,les formes à libération prolongée sont à privilégier alors que le fentanyl transmuqueux à libération rapide est contre-indiqué. Le choix thérapeutique dépendra des AMM, de la facilité de titration, du coût, de la iatrogénie (attention à la fonction rénale et hépatique). Toutes les molécules ont la même efficacité, qui reste modérée selon les méta-analyses avec un soulagement d'au moins 50% de la douleur chez 44% des patients, y compris dans les lombalgies, l'arthrose et, même, les douleurs neuropathiques. Les morphiniques n'ont, en revanche, aucun effet sur la fibromyalgie ni les céphalées qui n'en relèvent donc pas.
Les arrêts de traitement sont plus souvent liés aux effets indésirables (23%) qu'à l'inefficacité (11%). Aussi le comité recommande de prescrire systématiquement les traitements?symptomatiques limitant les nausées, les vomissements et les vertiges.
Rien ne sert de s’entêter
La posologie doit être limitée, une dose supérieure à 100 mg ne semblant pas apporter de bénéfice supplémentaire au long cours. Un avis spécialisé devrait être recommandé au delà de 150 mg ou de 300 mg, la décision n'étant pas encore tranchée. « Rappellons que les autres antalgiques doivent être parallèlement poursuivis, ce qui permet de réduire les morphiniques », insiste Xavier Moisset(Boulogne-Billancourt). En l'absence de bénéfice sur la douleur, la fonction ou la qualité de vie à 3 mois, il est inutile de poursuivre le traitement.
Suivi renforcé pour les patients les plus vulnérables
La question du mésusage et de l'addiction est cruciale, mais paradoxalement non significative dans les essais cliniques… qui excluent généralement les patients à risque ! Les facteurs de risque sont connus et peuvent être repérés par l'« opioid risk tool », outil de dépistage simple et rapide qui cote sur 10 les antécédents familiaux ou personnel d'abus de substance, l'âge (entre 16 et 45 ans), les violences sexuelles pendant l'enfance, les pathologies psychiatriques type trouble de l'attention, troubles dépressifs bipolaires ou non, schizophrénie, TOC. Le risque est considéré comme faible jusqu'à 3 et élevé au dessus de 8. La présence de ces facteurs de risque n'interdit pas la prescription mais justifie une attention et un suivi renforcés.
Le mésusage doit être régulièrement recherché, idéalement à chaque renouvellement d'ordonnance et, a fortiori, avant chaque modification de la prescription. Le POMI (Prescription Opioid Misuse Index) s'enquiert de l'éventuelle augmentation des doses, du nombre de prises, d'un usage non plus seulement antalgique mais générant du bien-être. La réponse à deux des six questions fait fortement suspecter un mésusage.
Quand adresser son patient en milieu spécialisé
Le mésusage ou l'addiction avérés appelle une consultation en addictologie. Les experts recommandent d'envoyer dans un CETD (Centre d'Etude et de Traitement de la Douleur) les personnes chez qui la douleur persiste malgré l'augmentation des doses, ceux dont la durée de traitement va au delà de 4 mois ou la posologie dépasse 300 mg (voire 150 mg), lorsqu'il existe des comorbidités psychiatriques ou de nombreux facteurs de mésusage.
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