ART BRUT
Des œuvres protéiformes issues de la collection De Stadshof sont exposées à Paris.
Un ballon dirigeable (Project Asberry II), un avion de chasse en vue arrière(Cubaanse Luchthaven), des tramways. Ce sont les premières œuvres qu’on aperçoit en entrant dans l’exposition «Sous le vent de l’art brut 2». Mais aussi de larges toiles et des sculptures de Willem van Genk (1927-2005). Les créations du Néerlandais, parce qu’elles dénotent à la fois une manière d’obsession (remplissage des toiles, petits dessins, répétition de mots) et d’inattendu dans les traitements, synthétisent à elles seules l’art brut : vous ne savez pas ce que vous allez voir, vous pouvez vous attendre à tout, surtout à être surpris.
Fantômes. Après la collection allemande Charlotte Zander, en 2011, Martine Lusardy, directrice de la halle Saint-Pierre, propose pour la première fois en France la prestigieuse collection néerlandaise De Stadshof, dont elle assure le commissariat avec Liesbeth Reith et Frans Smolders, conservateurs de la dite collection depuis son origine, en 1985. Tous trois ont sélectionné une quarantaine d’artistes, dont les créations sont réparties sur les deux niveaux de la halle Saint-Pierre, à Paris, dans des ambiances très distinctes - sombre en bas, plus aérée à l’étage. On y redécouvre des classiques : outre Willem van Genk, les assemblages de pièces électroniques du Français A.C.M., les petits fantômes muraux (la Suite incertaine, 2002-2004) et les «cages» blanches de l’artiste textile française Marie-Rose Lortet ou les inquiétants animaux sur toile de la Suisse Christine Sefolosha.
Mais «Sous le vent de l’art brut 2» est surtout l’occasion de découvrir les artistes moins connus que défendent Liesbeth Reith et Frans Smolders. A commencer par l’Allemand Markus Meurer, né en 1959, perçu comme antisocial, mais par ailleurs très attaché aux valeurs familiales. C’est d’ailleurs de son père, Fritz, qu’il tient son goût pour la récupération et l’assemblage, ainsi que pour la nature et les matières, toutes les matières :«Les déchets n’existent pas, clame-t-il. Seule la matière existe.» Artiste autodidacte, papa Meurer érigea des sculptures de bois et de pierre tout autour de la maison familiale. Markus, comme son paternel, sculpte de drôles de bêtes, des navires. Mais aussi d’immenses humanoïdes «jamais achevés», explique Frans Smolders, admiratif. «Il a toujours quelque chose à leur ajouter, comme si chaque pièce prolongeait leur vie.»
Les deux plus grandes œuvres représentent son père et sa mère, et ont une fonction, comme la plupart de ses créations : celle de protéger les siens. A la suite d’un accident de moto qui blessa gravement son père, Markus avait ainsi réalisé une sorte d’insecte monté sur un engin aux airs de Mad Max, comme un talisman pour Fritz.
Le Néerlandais Herman Bossert, lui, hachure. Il se dit incapable de ne pas le faire. Ce furent d’abord de petits bonshommes, puis des bâtiments, gigantesques, et des véhicules en d’immenses embouteillages entourés de la ville. Des endroits où l’on étouffe, sûrement, dans lesquels on est pourtant happé grâce au mouvement. Parfois, Bossert assemble plusieurs dessins, et toujours, on est fasciné par le remplissage de l’espace, l’impression d’un tissage serré au sein duquel se dessinent une perspective, tandis que les êtres humains ont, eux, disparu.
Mais c’est vraisemblablement le Néerlandais Bertus Jonkers (1920-2001) qui retient le plus l’attention. Exposées dans une large pièce, ses œuvres sont à ce point protéiformes qu’on a peine à les envisager du même auteur : maquette, collage de textile - encre, argile, carton plâtre.
Yoga. Huitième de onze enfants, Bertus Jonkers est un piètre élève puis un mauvais peintre en bâtiment. Après des cours à l’Ecole des arts d’Utrecht, il va pourtant se mettre à peindre des paysages, des tissus, à fabriquer des perles. L’histoire dit qu’il ne prend qu’un repas par jour, le soir, au restaurant, et que le yoga, qu’il pratique dès le début des années 60, le sauve d’une grave dépression. Ce que l’on retient, c’est en premier lieu la maquette de ville (City, 1995-2000), sous la verrière de la halle Saint-Pierre, œuvre de grande taille qui rappelle la nécessité pour les artistes d’art brut de reconstituer un univers où ils seront centraux et en équilibre - à l’opposé de la réalité dans laquelle il ne trouve pas leur place. Il faut aussi mentionner les plaques rectangulaires dans des teintes dorées gravées à la pointe sèche, mystérieuses représentations, proches tantôt de la nature morte, tantôt du paysage, marquées d’écrits en miroir.
Héros.Montré pour la première fois en France, l’artiste japonais Kijima (né en 1952) travaille à partir de bouts de bois qu’il ramasse, les laissant bruts si ce n’est l’ajout d’une tête, éventuellement de deux cailloux pour les pieds. Ses personnages ont une élégance hors du commun et irradient un sentiment de plénitude. On pense à des êtres solitaires, nécessairement des héros, hors du temps. Kijima les veut non pas à son image mais développant leur propre «personnalité». Mille et une histoires, en somme, se transmettent via l’exposition de la collection De Stadshof à qui sait les entendre, les voir, en 350 œuvres d’artistes qui, comme Marie-Rose Lortet, sont «bavards» et ont «des choses à raconter».
Sous le vent de l’art brut 2, halle Saint-Pierre, 2, rue Ronsard 75018. Jusqu’au 4 janvier. Rens. : www.hallesaintpierre.org
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