La concurrence est-elle compatible avec l'équité ?
LE MONDE | Pierre Jacquet
Dans l'éternel débat sur les liens entre croissance, pauvreté et inégalités, il est particulièrement important d'entendre les avis provenant des pays en développement.
Le forum en ligne organisé par l'ONG internationale Consumer Unity & Trust Society (CUTS), basée à Jaipur (Inde), permet de sortir des sentiers battus.
En juillet 2011, Pradeep Mehta et Bipul Chatterjee, du CUTS, ont tiré un livre d'un premier forum (Growth and Poverty : The Great Debate). En mai 2013, un nouveau fil de discussions a été lancé en réaction à une simple remarque du Dr Rangarajan, conseiller économique en chef du premier ministre indien, Manmohan Singh : "La croissance ne saurait être recherchée au prix d'une détérioration de l'équité."
Doit-on s'offusquer, au nom de l'équité, demande l'un des protagonistes, que les 1% les plus riches connaissent une augmentation des revenus de 15%, si par ailleurs les autres 99% voient les leurs augmenter de 10% ?
En réponse, certains évoquent les risques de tension sociale, notant qu'au moment du "printemps arabe", la croissance économique était de l'ordre de 6 % à 7 % par an en Egypte, mais que les inégalités s'y étaient sensiblement accrues. De même, en Tunisie, la perception de l'injustice sociale a nourri la révolte.
DÉSHUMANISATION
Encore faut-il distinguer, dans la définition de l'équité, la répartition des revenus – qui relève des choix sociaux et des politiques publiques – et l'égalité des chances.
Cette dernière renvoie au droit et à la politique de la concurrence, dont le rôle est de veiller à ce que les marchés fonctionnent correctement et que les barrières à l'entrée ou les positions de monopsone – marché opposant un seul acheteur à beaucoup de vendeurs – ne fournissent pas aux entreprises le moyen d'abuser d'un pouvoir de marché au détriment d'autres acteurs, consommateurs ou producteurs.
Des représentants d'autorités de la concurrence de nombreux pays en développement se sont lancés dans le débat (Inde, Pakistan, Egypte, Jamaïque, Botswana, Zambie, Thaïlande...).
La concurrence apporte généralement des bénéfices aux consommateurs, notaient-ils, mais parfois au profit des consommateurs étrangers et au détriment des employés locaux. Peut-on alors parler d'équité ? Ou même d'efficacité ? L'exemple donné est celui de la pauvreté des producteurs de coton, de tabac et de canne à sucre en Zambie, alors que les multinationales y prospèrent.
L'équité était présente dans l'esprit initial des lois antitrust, rappelle un protagoniste, qui regrette que l'influence de l'école de Chicago ait peu à peu déshumanisé l'économie. Le modèle allemand d'"économie sociale de marché" repose certes sur une séparation entre la poursuite de l'efficacité par le marché et de l'équité par les politiques sociales.
Mais dans les pays où les institutions sont peu développées et les politiques inefficaces, on ne peut tabler sur cette séparation des rôles, et les autorités de la concurrence sont amenées à prendre explicitement en considération l'impact de leurs actions en termes d'équité. C'est même essentiel à l'acceptabilité sociale de l'économie de marché.
Pierre Jacquet
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