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dimanche 18 février 2024

Chronique «Aux petits soins» Dans le Finistère, une psychiatrie efficace qui a «le souci de l’autre»

par Eric Favereau   publié le 13 février 2024

Dans la revue «Pratiques» le 29 janvier témoignait la docteure Delphine Glachant, qui après avoir passé plusieurs années éprouvantes en banlieue parisienne, a intégré à Landerneau un service reposant sur la psychothérapie institutionnelle. Un lieu qui existe depuis une trentaine d’années, et qui satisfait patients comme médecins.

Cela ressemble à une oasis. En tout cas, c’est le constat que tout n’est pas absolument pourri dans le royaume de la psychiatrie. Il y a ainsi des endroits où l’on ne manque pas de psychiatres ni d’infirmières, où les uns comme les autres sont contents de travailler, et où les patients sont non seulement pris en charge, mais bien pris en charge. Et cela se passe dans le Finistère, à Landerneau.

La docteure Delphine Glachant, psychiatre dans ce secteur, en témoigne longuement dans la revue Pratiques. Cahiers de la médecine utopique (1), et ses mots sont d’autant plus prenants que la même psychiatre avait longuement témoigné dans Libération, en septembre 2021. Elle était, alors, à bout, épuisée. Elle n’y croyait plus. Alors dans un hôpital psychiatrique de la grande banlieue parisienne, elle nous avouait son impossibilité à travailler correctement. «Je suis épuisée, je cours après le temps, nous disait-elle. C’est un petit enfer au quotidien, l’on manque de presque tout, même de pyjamas. Les arrêts de travail se multiplient tellement que les normes de personnels soignants ne sont plus respectées. Tout le monde est épuisé… J’ai assisté à des scènes de maltraitance le plus souvent par négligence, mais parfois aussi de la maltraitance directe, discrète. J’ai eu parfois honte de ce que je faisais. Je me sentais responsable, j’ai décidé de mises en chambre d’isolement parce que le personnel avait peur, parce que j’avais le souci de protéger les équipes, parce que je savais qu’il me serait reproché de ne pas l’avoir fait pour cette même raison, parce que je n’ai pas eu le cran de m’opposer à cette attente collective.» Elle nous disait qu’elle ne voyait pas comment elle allait tenir, elle, la syndicaliste, alors présidente de l’Union syndicale de la psychiatrie et membre active du Printemps de la psychiatrie. «C’est usant et décourageant. Tout n’est pas un problème de moyens, mais quand même ! Quand est-ce que l’on prendra au sérieux nos malades ?»

«Une véritable culture de l’accueil»

De guerre lasse, elle est donc partie, et a trouvé il y a un peu plus d’un an un poste à l’hôpital de Landerneau. Dans l’histoire de la psychiatrie publique, c’est un lieu qui n’est pas anodin, où depuis plus d’une trentaine d’années, on y pratique, à l’initiative du Dr Marie-Francoise Leroux puis de Jean-Michel de Chaisemartin, une prise en charge humaniste, ouverte, en réseau, reposant sur ce que l’on appelle la psychothérapie institutionnelle. Et cela marche. Delphine Glachant a beau ne pas être novice, elle en est encore presque émerveillée. «Au-delà de la gentillesse des uns et des autres, une véritable culture de l’accueil est travaillée, qui traverse les patients et le personnel», écrit-elle ainsi dans la revue Pratiques.

«A Landerneau, on fait de la psychiatrie de secteur, de la vraie, celle où tout le monde circule, patients, soignants, d’une unité à l’autre, vers la ville, vers la mer. Plus de dix gîtes [séjours thérapeutiques, ndlr] s’organisent chaque année, y compris pour aller à la pêche… Les personnes, les biens, la parole circulent.» Tout est ainsi discuté : «Tel patient qui a appelé dans la nuit parce qu’il était angoissé. Telle patiente qui n’est pas venue à l’hôpital de jour alors qu’elle était attendue. La continuité d’être n’est pas qu’une formule. C’est un souci de l’autre. Quand quelqu’un commence à décompenser, on en aura tellement parlé au cours de plusieurs synthèses successives que lorsqu’il arrive sans prévenir au centre médico-psychologique, ça va de soi qu’il est accompagné à l’hôpital, tranquillement, où là-bas, il est attendu et accueilli.»

«Le soin passe aussi par l’émancipation des patients»

Est-ce une vue un rien angélique ? En tout cas, tous les échos qui reviennent de Landerneau sont positifs. Et le rapport de visite de la contrôleure général des lieux de privation de libertés le confirme aussi. «Pour moi, nous explique Delphine Glachant, il y a une foule de facteurs qui nous permettent ce travail. Il y a au départ un projet de gens qui se sont engagés. L’air de rien, c’est une vision de soins très politiques. Les patients sont présents, dans la boucle. On pense que le soin, cela passe aussi par leur émancipation.» Quid des rapports avec l’administration ? «Depuis des années, l’équipe médicale a pu parler, discuter, il n’y a pas de guerre de tranchées.» Résultat, dans son secteur, il n’y a quasiment pas de postes vacants. «On est attractif, pour reprendre un mot à la mode», nous dit-elle.

Certes, tout n’est pas idyllique. La demande de soins augmente d’année en année. «Et notre secteur subit comme partout les méfaits des politiques de santé. L’établissement mène notamment une politique de contractualisation qui précarise et fragilise les personnels. Ils restent en CDD des années, ne sont stagiairisés qu’au bout de six, huit ans.» Delphine Glachant pointe une inquiétude : «Ce mois-ci, le dispositif d’alarme du travailleur isolé [DATI], mis en place dans les services de psychiatrie après le double homicide [à l’hôpital psychiatrique] de Pau en 2004, est arrivé dans le service alors que jusque-là, les équipes s’en étaient passées. Ressentir ce besoin, c’est mauvais signe, et l’arrivée du DATI en lui-même modifie l’ambiance. Cela témoigne de situations dans lesquelles l’équipe se sent en insécurité.»

Pour autant, le service reste ouvert. «Il n’y a pas de chambre d’isolementnote la psychiatre. L’isolement n’est réalisé en chambre banalisée que lorsqu’il y a quelqu’un en contention. C’est rare. Entre dix et quinze patients par an. Jusqu’à la semaine dernière, ça faisait plusieurs mois qu’il n’y avait pas eu de contention. Globalement, quand quelqu’un ne va pas bien et est instable, le personnel se relaie pour rester presque tout le temps avec lui. La capacité de contenance psychique est vraiment la clé.» Une autre psychiatrie serait-elle donc possible ? «En tout cas, j’ai retrouvé un plaisir à travailler qui me fait beaucoup de bien», lâche Delphine Glachant, ajoutant, dans un défi : «Il y a, il peut, y avoir plein de Landerneau dans la psychiatrie publique.»

(1) «Jusqu’à Landerneau», publié par la revue Pratiques. Cahiers de la médecine utopique, le 29 janvier.


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