par Stéphane Velut, chef du service de neurochirurgie du CHU de Tours publié le 12 novembre 2023
Les choses s’accélèrent. Emmanuel Macron réunit mardi les ministres concernés par le projet de loi sur la fin de vie, qui devrait être présenté en décembre au Conseil des ministres. Comme prévu depuis le vote massif en faveur de l’ouverture d’une «aide active à mourir» en avril par la Convention citoyenne, un avant-projet de loi a été remis au Président, qui a promis une «loi de liberté et de respect». La ministre déléguée à l’Organisation territoriale et aux professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, dévoilait en octobre les volets du projet de loi : développer les soins palliatifs, renforcer le droit des patients et l’accompagnement du deuil, étendre l’aide à mourir aux majeurs condamnés à court ou moyen terme. Le gouvernement, qui veut arbitrer sur les critères fixés pour le recours au suicide assisté devra faire face à un débat vif entre les partisans d’une loi «ouverte», comme le neurochirurgien Stéphane Velut, et les opposants, comme le journaliste Pierre Jova qui s’appuie sur l’expérience belge pour montrer les dérives possibles.
Emmanuel Macron a assuré mercredi que le «droit de mourir dans la dignité» ferait l’objet d’une «loi de liberté et de respect». Mais nous pressentons qu’une fois de plus, ils avanceront à petits pas. Une fois de plus, ils se priveront du sens exact du mot euthanasie – en grec ancien le bien mourir – parce que devenu synonyme de tuer. Une fois de plus ils confondront le mot suicide que les psychiatres connaissent si bien – un acte déraisonné aux motifs insaisissables – avec la volonté d’interrompre sa vie parce que proprement invivable, ce qui n’est pas la même chose. Une fois de plus, ils tenteront de dissoudre la question dans les soins palliatifs alors qu’elle se situe au-delà : précisément quand plus rien ne soulage. Une fois de plus, ils feront de l’aide à mourir un soin, médical de surcroît et à tort, alors qu’il n’en est plus un, mais bel et bien un acte (que j’appelle «de bonté») que l’on peut refuser, comme l’IVG d’ailleurs, au nom de la clause de conscience. Une fois de plus, ils distingueront l’«aide active» à mourir de l’«aide au suicide», deux actes dont la seule différence ne réside in fine que dans le niveau de scrupule de celui qui le fait, un acte qu’on devrait nommer plus sincèrement une «Interruption volontaire de la vie».
C’est le peuple qui dicte
Bref, une fois de plus, ils tenteront de ménager les susceptibilités de chacun (médecins de soins palliatifs qui, comme tous les spécialistes dont je suis, tolèrent difficilement d’être dépassés, partis politiques, courants spirituels et religieux plus ou moins dogmatiques, comités d’éthique, sociétés savantes et autres groupes de pression). Et ce au détriment de ce que les Français, soit à travers les sondages, soit par la voix de la Convention citoyenne sur la fin de vie (une vilaine expression que l’on applique aussi à des objets), souhaitent massivement. Pétris à la fois de sagesse et de la peur d’agoniser, ils veulent disposer de leur destin quand de destin il n’y a plus, sinon insupportable.
Vous qui lisez ces quelques lignes, ne vous méprenez pas. Vous pourrez, comme moi, avoir toujours espéré en finir paisiblement le jour où chaque instant ne serait plus que souffrance et désarroi, loin des petits bonheurs que la vie sait aussi dispenser, épuisé et privé de tout rapport au monde comme le fut le cinéaste Jean-Luc Godard, et en dernière instance vous accrocher tout de même à la vie. Et parce qu’en matière de situations terribles la vie a de l’imagination, vous pourrez tout autant, comme Wilfried Martens, ancien Premier ministre belge et démocrate chrétien, être opposé à une législation de l’aide à mourir et finalement la demander. Il n’y a pas de question à propos de laquelle il ne faille considérer sa propre opinion plus fragile. Parce que, toujours, la réalité nous gifle, humains que nous sommes. Que vous soyez pour ou contre la liberté de disposer de sa propre vie et y être éventuellement aidé a donc peu d’importance, dans une démocratie c’est le peuple qui dicte. Or le peuple, sur cette question sans réponse, ce trou de la pensée, attend qu’une nouvelle loi fasse mieux que Claeys-Leonetti en 2016.
N’est pas Simone Veil qui voudrait
J’attendrai pour ma part que cette loi soit ouverte, une loi qui autorise sans systématiser, et ne décide en rien de l’éligibilité à une mort douce. Une loi qui n’écarte pas les enfants, les bébés, qui eux n’ont pas la parole et n’écrivent pas de directives anticipées ; une loi qui n’oublie pas qu’ils «naissent et demeurent libres et égaux en droit». En somme une loi parfaite comme l’est celle sur l’IVG. Parfaite car Simone Veil, avec le courage politique et l’humanité qui la caractérisaient, avait conçu un texte donnant à toutes les femmes sans exception le droit de disposer de leur corps sans justification ni restriction (si ce n’est, évidemment, un certain délai). Datant bientôt d’un demi-siècle, ce fut l’expression légale à l’échelle de chacune de ce qu’on nomme à l’échelle de tout un peuple : l’autodétermination. Hélas, n’est pas Simone Veil qui voudrait. Ce d’autant qu’il se trouve qu’en cinquante ans les choses ont bien changé.
Désormais, il n’est plus question d’accorder aux Français la vertu de respecter les lois tacites, ce qui fait une civilisation. Tout doit être cadré. Plus question d’accorder aux Français la vertu de respecter le sacré au sens où Régis Debray l’entend : qui encourage au sacrifice et interdit le sacrilège. Alors on craint qu’il y en ait d’assez fous pour fournir une substance létale à une adolescente désespérée par un chagrin d’amour. Or non, il n’y en aurait pas (et s’il y en avait un, la loi ne l’en dissuaderait pas). Pas plus qu’il y en aurait pour jouer à la pétanque dans l’allée d’un cimetière. Tout est affaire de confiance, tout réside dans ce mot. Une société qui n’a plus confiance en elle-même est une société qui va mal. Peut-être devrait-elle craindre sa propre fin… de vie.
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