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lundi 13 novembre 2023

Le monde du sexe est-il devenu trop complexe ?

Publié le 05 novembre 2023

CHRONIQUE

Maïa Mazaurette


LE SEXE SELON MAÏA

Le vocabulaire sexuel est saturé d’anglicismes et d’expressions nouvelles, relève la chroniqueuse de « La Matinale », Maïa Mazaurette. Pas facile de rester dans le coup.

 

Savez-vous ce qu’est une « touillade », un « mode chou-fleur » ou une « Pollock » ? En toute honnêteté, moi non plus. Ces mots figurent pourtant dans l’ouvrage Les Mots du Q (Le Robert, 400 p., 19,90 euros), publié par l’étoile montante de la sexologie : Camille Aumont Carnel – autrice et créatrice du compte Instagram @jemenbatsleclito. Le vocabulaire de la nouvelle génération est-il si différent du mien ? Faut-il connaître la définition d’une « Pollock » pour être dans le coup ?

Commençons donc par nous remettre à jour : « faire une Pollock » (en hommage au peintre américain Jackson Pollock, connu pour son utilisation de la technique du « dripping », qui consiste à faire couler de la peinture sur la toile) consiste à tacher sa literie en ayant des rapports sexuels pendant les règles. Cette cruciale information étant transmise, je vous laisse finir votre chausson aux pommes.

Venons-en à la question qui me turlupine : notre frénésie de nouveaux mots est-elle excessive ? Au cours des derniers mois, il a fallu se mettre au point sur la sologamie, le syndrome de la fée Clochette, le ghosting, le chemsex, le r-bombing, l’anarchie relationnelle, le lovebombing, le breadcrumbing, le vulturing… Une accumulation assommante qui pourrait provoquer, à la longue, des effets contre-productifs puisque certains de ces mots, oubliés en trois semaines, accaparent le temps de cerveau nécessaire à l’apprentissage des mots utiles, sans qu’on sache toujours faire la différence entre le nécessaire et le superflu.

Effets de mode

Il faut aussi poser la question du caractère artificiel de certaines de ces inventions linguistiques : fallait-il vraiment s’infliger des dizaines d’articles sur le breadcrumbing, alors que les amants se « laissent mariner » depuis probablement l’invention de la marinade ? A part pour triompher au Scrabble, avait-on besoin de mémoriser l’orthographe d’odaxelagnie − sachant que la morsure érotique apparaît déjà dans le Kama-sutra, vieux de 1 500 ans ?

Face à ces effets de mode, le coupable idéal est tout trouvé : l’accélération du temps médiatique. Le sexe ne fait pas forcément vendre, mais il fait cliquer − ne serait-ce que par curiosité. Les magazines féminins et masculins, qui étaient diffusés de manière mensuelle ou hebdomadaire, ont dû mettre les bouchées doubles pour alimenter tous les jours leur rubrique sexo. Même chose pour les influenceuses sur Instagram ou sur TikTok.

On voit alors se multiplier les vrais sondages comme les chiffres non sourcés − le syndrome « selon une étude » −, les pseudo-conseils, les témoignages, les infos authentiques perdues entre deux confessions de stars… Et bien sûr, les nouveaux mots, produits et diffusés à un rythme industriel.

Cerise on the cake : le renouvellement du vocabulaire sexuel vient essentiellement de l’anglais. Une nouvelle position ? Le ankle as earrings (littéralement, le fait de porter ses chevilles comme des boucles d’oreille). Un phénomène sexuel en vogue ? Le squirting (l’éjaculation féminine). Une tendance sentimentale ? La situationship (la relation non définie) ! Du mouvement no bra (zéro soutif) à l’importance de choisir un safe word pour stopper une interaction sexuelle, la langue de Shakespeare est devenue l’espéranto de l’amour.

Tsunami de nouveautés

Ce recours aux anglicismes est accéléré par le foisonnement d’innovations sexuelles liées au numérique : on s’envoie des nudes (des photos dénudées) en risquant le revenge porn (la diffusion de nos contenus sexuels sans notre consentement)… tandis que plane l’ombre du deepfake (la création de fausses images sexuelles, à partir de l’image de vrais individus). Résultat : l’impression sourde que pour coucher en 2023, il faut être bilingue.

Outre le sentiment d’être complètement largué, ce tsunami de nouveautés peut susciter une tentation réactionnaire. A force de multiplier les expressions comme des petits pains, que restera-t-il d’une langue érotique commune permettant de se comprendre ? Etait-ce mieux avant − quand on mettait un pénis dans un vagin et point barre ? Avant que les wokistes ne viennent nous imposer non seulement des nouveaux mots, mais aussi une nouvelle grammaire − inclusive − contre laquelle même le président de la République hausse le ton ?


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