Par Cécile Marchand Ménard Publié le 07 mars 2023
Harcèlement, menstruations, viol conjugal, point G… Pour aider les femmes à “s’affranchir des diktats sexuels” et guider les jeunes désorientés par la pornographie, Ovidie et Sophie-Marie Larrouy livrent une nouvelle saison de leur percutante série.
Dans une nouvelle saison, disponible dès le 7 mars, les deux co-autrices continuent d’adapter l’ouvrage Libres ! Manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels, signé Diglee et Ovidie (éd. Delcourt, 2017). « Pour cette deuxième salve d’épisodes, nous nous sommes aussi appuyées sur des thématiques non abordées dans le livre mais qui nous touchent au quotidien, comme le harcèlement en ligne, explique Ovidie. “Libres !” évolue avec la société. » Un contenu précieux à l’heure où la libération de la parole des femmes semble traverser des vents contraires masculinistes, en témoigne le rapport alarmant sur l’état du sexisme en France, publié en janvier dernier par le Haut Conseil à l’égalité (HCE).
Une bonne dose d’humour
Avec dix nouvelles pastilles de trois minutes trente, Ovidie et Sophie-Marie Larrouy (épaulées à la réalisation par Josselin Ronse) détricotent les constructions sociales sexistes qui entourent notre vie intime. Au hasard : « Pourquoi le point G suscite-t-il autant d’intérêt que d’injonctions ? » ou « Est-ce que l’on accepte les fessées parce que c’est à la mode ? ». Le tout à grand renfort de données chiffrées (l’on apprend ainsi qu’une femme a vingt-sept fois plus de risques de se faire harceler qu’un homme), de rappels sociologiques ou historiques (saviez-vous qu’en 2003 l’activiste Leymah Gbowee a contribué à mettre fin à un conflit en organisant une grève du sexe ?)… Mais aussi d’une bonne dose d’humour. « C’est une sacrée gymnastique de réussir à faire rire à partir de sujets aussi graves que le viol conjugal », souligne Ovidie. Grâce à une écriture rythmée, le pari est réussi : « J’apporte cette irrévérence parce que je peux m’appuyer sur un travail de fond sérieux », explique Sophie-Marie Larrouy, par ailleurs créatrice du podcast À bientôt de te revoir.
Un ton décalé allié à un graphisme pop qui fait la singularité de Libres !, parmi la quantité réjouissante de productions féministes développées ces cinq dernières années. « L’animation a quelque chose de moins agressif qu’un documentaire en images réelles, explique Ovidie, par ailleurs réalisatrice des saisissants Là où les putains n’existent pas et Tu enfanteras dans la douleur. Nous abordons des sujets sérieux, souvent clivants, mais l’animation et ce ton nous permettent d’adoucir notre message militant — sans toutefois renier nos idées — afin qu’il soit audible. Notre but étant d’être accessible gratuitement au plus grand nombre, de proposer une série « bingeable ». »
Le sexisme… progresse
Sur Arte.tv et les réseaux sociaux de la chaîne, la première saison de ce contenu informatif et inventif a ainsi déjà été dévorée par près de soixante millions de spectatrices et spectateurs. Des plateformes où s’informe volontiers un jeune public qui explore la sexualité en plein mouvement #MeToo, à une époque où l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication rend la pornographie accessible plus facilement. « Il y a une force contradictoire entre le message féministe, qui n’a jamais été aussi visible que ces cinq dernières années, et les images auxquelles elles et ils ont été biberonnés », souligne Ovidie.
Dans son récent rapport annuel, le HCE révèle ainsi une progression du sexisme en France, notamment au sein des plus jeunes générations. L’on apprend par exemple que 23 % des hommes de moins de 35 ans estiment qu’il faut parfois se montrer violent pour se faire respecter (contre 11 % tous âges confondus). « Il est évident que chaque avancée féministe s’accompagne systématiquement de résistances. Ces jeunes hommes ne sortent pas de nulle part. Leurs pères, leurs frères, leurs oncles ont façonné leur éducation », explique Ovidie. Pour autant, la documentariste se veut optimiste : « Contrairement à ma génération, pour laquelle il est compliqué de remettre en question des années de constructions sexistes, je pense que celle-ci peut poursuivre la réflexion entamée et détenir les clefs pour apprendre à recréer du lien, de l’amour, et un accès au plaisir plus égalitaire. »
« L’éducation sexuelle est toujours trop souvent absente, démissionnaire ou déficiente à l’école, ajoute Sophie-Marie Larrouy. Il y a un gouffre de désinformation chez les jeunes, donc il faut réussir à les toucher, leur expliquer les choses très doucement. » Avec Libres !, les deux coautrices abordent ainsi avec bienveillance des questions en apparence évidentes, mais toujours soumises à controverses ou incompréhension, telle la question de l’habillement, de la charge contraceptive ou du harcèlement de rue. Mais aussi des questions moins explorées, telles que l’orgasm gap (soit l’inégal accès à l’orgasme selon qu’on est un homme ou une femme) ou ce que nos recherches sur les sites pornographiques révèlent de notre culture. « Notre but n’est pas de faire la leçon à celles qui aiment se prendre des fessées, martèle Ovidie.Nous essayons simplement de déconstruire ce qui entoure nos pratiques pour mieux les remettre en question. » De quoi s’affranchir du vieux monde jusque sous la couette.
TTT Libres ! Sur Arte.tv
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