Nul besoin de toquer aux chaumières en bordure des villages, les guérisseurs et rebouteux des temps modernes sont tous sur YouTube. Mais ils ont toujours tendance à se terrer dans les plis des montagnes, à l’ombre des forêts. A l’instar de Thierry Casasnovas, le plus populaire de France et de Navarre. Littéralement : le fief du fer de lance du manger cru et des jeûnes extrêmes se situe juste au-dessus de la frontière espagnole, dans la vallée verdoyante du Vallespir, dans les Pyrénées-Orientales, sorte de triangle des Bermudes fertile en ésotérisme. Portée par les angoisses covidées et la fièvre algorithmique, la logorrhée de ce sosie buriné de la vieille gloire cycliste Richard Virenque (tignasse cendrée, sourire franc et belle collection de chemisettes) s’est muée en phénomène, le prophète du jus de légumes atteignant le demi-million d’abonnés sur YouTube et se taillant une place de choix parmi les champions de la «dissidence sanitaire».
Un engouement que les autorités, alertées depuis plusieurs années, qualifient désormais d’inquiétant. Le mois dernier, la Miviludes, l’organe du ministère de l’Intérieur chargé de la lutte contre les dérives sectaires, jugées en pleine recrudescence à l’aune de la pandémie, l’a consacré «personnalité la plus signalée», avec plus de 600 saisines depuis 2016. En juillet, le parquet de Paris a ouvert une enquête, confiée initialement à l’Office central pour la répression des violences aux personnes, sous les chefs de «mise en danger de la vie d’autrui» et «suspicions d’abus frauduleux de personnes vulnérables». Cette enquête, désormais suivie par le parquet de Perpignan et conduite par les gendarmes locaux, est toujours en cours.
Extracteurs de jus et trampolines
De loin, le cas Casasnovas peut prêter à sourire, comme cette saillie à propos du Covid : «Moi ministre de la Santé, ce serait réglé rapido : bain froid et jeûne pour tout le monde, et un petit peu de jus de carotte !» Un beau parleur passé de toxico famélique à quadra pimpant, qui vend des extracteurs de jus et des trampolines à prix exorbitants à des gogos obsédés par leurs intestins ? La belle affaire, il y a pire crime que d’inciter à manger des légumes. Jusqu’à ce qu’on s’approche et découvre un discours anti-médecine aussi virulent que dangereux. Et un dogme quasi religieux relayé par l’extrême droite la plus radicale.
Pour celui qui se définit sur son site internet comme «un visionnaire, homme de foi, enseignant, chercheur et orateur», la «maladie n’existe pas». C’est le thème d’une vidéo programmatique publiée en septembre 2019, parodiant le JT de TF1. Loin de ses premières apparitions où, à moitié édenté, il vantait le «crudivorisme» assis en tailleur, depuis la Thaïlande. Dans ce clip, le quadra expose sa philosophie : «Vous n’avez jamais été malade, vous avez eu des symptômes.» Le cancer – mot qu’il emploie toujours avec un accent lugubre se voulant drolatique – n’est qu’un signal d’alarme du corps, qu’une bonne alimentation fera disparaître. La diatribe se durcit en parallèle d’images de quidams enfilant saucisson et canettes de Red Bull. «Ce qu’on vous dit, c’est : “Ne change rien, bouffe tes médicaments, crève et ferme-la.”» L’homme se sait sulfureux et en joue : le mini-film s’achève par un vrai-faux avertissement délivré par une voix pseudo journalistique : «Tout ce que vous avez entendu est l’action d’un groupe mal intentionné et sectaire.»
La première fois que Philippe Becker entend parler du vidéaste de 46 ans, c’est lors d’un cours d’écriture web dans un centre de formation où l’a envoyé son journal, la Semaine du Roussillon. Alors que la séance s’engage, l’animatrice montre en exemple à l’auditoire le site du «pape des jus miracles» qui, souligne-t-elle, aurait guéri sa grand-mère du cancer. Atterré, le localier creuse et comprend que, dans le coin, Casasnovas a tissé sa toile. Il finit par le rencontrer, il y a deux ans : «On a bu un café ensemble à Céret, ce qui veut tout dire…» C’est effectivement assez loin du jus de fenouil et des produits non transformés. Ce qui marque Becker, c’est qu’il a face à lui «un type excessivement sympathique». Presque un gourou malgré lui, dans une région qui n’en manque pas. «Dans le Vallespir, il y a tout un terreau de croyances, en lien avec la nature et la montagne sacrée, assure Becker. Sans compter la frontière, qui permettrait de se mettre à l’abri et de nouer des contacts de part et d’autre. Loin de s’opposer, ces mouvements forment un réseau, des anti-ondes aux survivalistes, des thérapeutes étranges aux amateurs d’extraterrestres New Age. C’est un peu le jeu des sept familles, et l’on retrouve souvent des connexions avec l’extrême droite.»
«La moitié du bled est contaminée»
A Céret, cœur de la vallée au pied des cimes, un temps capitale du cubisme où crécha Picasso, un érudit local autoproclamé, féru de régionalisme, parle du coin comme d’un «vortex» où finiraient tous ceux qui veulent «qu’on leur foute la paix, autant des gens géniaux que d’autres plus discutables». Artistes, rugbymen, bûcherons et retraités anglo-scandinaves cohabiteraient avec «Indiens» du cru vivant dans des tipis et chamans qui prient sous les dolmens avant de sortir le saucisson et le rouge. Sans compter les randonneurs fachos en «camp d’été» et les «néoruraux babos anti-masques»autour de Prades, «chez Castex !»
Dans les ruelles ensoleillées de Céret, Casasnovas est un sujet de conversation. Les opposants préfèrent l’anonymat. «La moitié du bled est contaminée, lâche un homme soucieux. Tout le monde connaît quelqu’un qui a eu affaire à lui, des ouvriers qui retapent les mas qu’il a rachetés ou ceux qui ont une “copine fragile” qui a disparu deux mois et qu’on voit réapparaître avec 20 kilos en moins à l’hôpital.» D’autres s’étonnent de la curiosité médiatique visant «un type qui ne cherche qu’à soulager les autres». Une secrétaire prononce le mot «acharnement». Forcément, il y a les ragots invérifiables, l’«ami d’un ami» qui a vu le naturopathe acheter du chocolat, devant le rayon surgelés du Lidl ou avec un demi en terrasse… «Bon, il n’est pas épais quand même», nuance le détracteur précité.
Au débotté, Casasnovas nous convoque à Taulis, village où il a été élu conseiller municipal il y a un an, à 20 kilomètres de là. Une soixantaine d’âmes l’été, la moitié en hiver, à flanc d’une route tortueuse bordée de chênes-lièges. Au point de rendez-vous sur le parking de l’église, un break Mercedes fatigué. Sur la carrosserie, des autocollants Che Guevara, «Sauvez les dauphins» et «Licorne à bord». Mais pas de Casasnovas. Le village est propret. Des jolies maisons aux crépis pastel. On entend les mouches voler, mais il y a des missives de «lutte antibruit» sur les façades. Le nom Casasnovas évoque aux riverains des phrases de faits divers : «Un gars aimable, qui rend service. Pas un prosélyte comme les témoins de Jéhovah, qui sonnent à la porte. On a tout découvert par la télé.»
Ce qui a marqué ici, c’est qu’il a «accouché sa femme dans sa caravane, tout seul. C’est pas n’importe qui qui peut faire ça !» Les langues se délient si on garantit l’anonymat. «Il doit quand même toucher des thunes avec les terrains et les baraques qu’il achète», avance l’une d’entre elles. Et puis il y a ces intrus qui se pointent régulièrement sur le parking de l’église et cherchent Casasnovas. Taulis, Lourdes des crampes d’estomac ? «On est venu ici pour être au calme, tuer le sanglier et chercher les champignons. Ces gens-là, ça fait un peu tache…» Une sexagénaire, sa frêle mère pendue au bras : «Je l’ai toujours appelé “le gourou du village”. Ce qu’il raconte, ce n’est pas horrible en principe, mais donner du lait de coco aux bébés, ça va trop loin. On a eu peur qu’il monte une école à Taulis, surtout qu’il est bien copain avec madame la maire.» Contactée à plusieurs reprises par Libé, cette dernière ne donnera jamais suite.
Finalement, Casasnovas décommande par SMS. Son fils de 4 ans «a une grosse difficulté». Vocabulaire sans doute adapté à sa maxime «la maladie n’existe pas». Surtout, il n’est plus emballé à l’idée de «passer des heures à raconter encore une fois la même histoire pour qu’au final on me fasse passer pour le dernier des salauds».
«Zombie régénéré»
Sa vie, le natif de Perpignan en a fait un argument de vente massue, récité à longueur de vidéos et, prépandémie, de conférences, avec le bagout d’un vendeur de téléachat. Les versions de ce fils de profs ont varié au fil des ans, les jalons se faisant plus ou moins mystiques. Mais la trame est toujours la même : à 33 ans, le boulanger bio itinérant est mourant. Un «zombie». Tuberculeux, il pèse 30 kilos, une hépatite C et une pancréatite en prime. La faute, selon lui, à un régime bizarre à base de lait, de chips de crevettes et de corn-flakes – un mode de vie «étudiant» (comprendre drogue et alcool) – et, évidemment, aux médecins, «qui l’ont mené aux portes de la mort». C’est donc à ce moment, à l’âge du Christ («bon, ça va faire évangélique…» concède-t-il à l’occasion), qu’il a une révélation : désormais, il mangera tout cru. Du jour au lendemain, le voilà ressuscité. Ou plutôt «régénéré». Terme qui donnera le nom à son association, devenue entreprise florissante, «Régénère», souvent abrégée «RGNR».
Ce récit doloriste a été largement démonté par l’Extracteur, collectif d’une douzaine de vulgarisateurs scientifiques, qui a fait de Casasnovas sa bête noire. A partir des plus de 1 500 vidéos postées par le prolixe autodidacte, avant qu’il ne fasse une purge des contenus les plus compromettants à l’automne, ainsi qu’à travers ses innombrables contributions à des forums axés sur la naturopathie, ces derniers ont réussi à mettre au jour un parcours bien différent. Trempant dans les milieux crudivores depuis la fin des années 90, le Perpignanais, alors RMIste, réunit 4 000 euros en 2006 pour s’offrir une cure en Floride à l’institut Hippocrates, une des Mecque des hygiénistes.
Brian Clement, le propriétaire de ce spa géant, prétend guérir le cancer à base d’injections orales et anales d’herbe de blé. Jusqu’à se voir interdire, en 2015, d’exercer la médecine après le décès d’une fillette leucémique passée par son centre. Des naturopathes américains les plus controversés, Casasnovas a gardé les grands principes (les jus soignent tout, du sida à l’autisme) et un certain sens du marketing. Il y ajoute une posture antisystème, des références évangéliques et une ouverture à toutes sortes de pseudo-sciences, de l’«iridologie» (la prétendue possibilité de faire un «bilan de santé» à partir de la couleur des yeux) à l’«hormèse»,théorie nietzschéenne à la petite semaine, selon laquelle tout ce qui ne tue pas rend plus fort. A commencer par une bonne douche glacée le matin. Lui montre l’exemple en se baignant dans un torrent en plein hiver. Quand on l’interroge au sujet de sa formation scientifique, il affirme détenir «une maîtrise de physique théorique et avoir commencé un DEA de physique quantique» à Perpignan. Diplômes que l’université assure à Libération n’avoir jamais délivrés.
«Tous les marqueurs idéologiques de la complosphère»
En 2011, il publie sa première vidéo sur son blog «Vivre cru». Il multiplie pastilles et conseils, le plus souvent filmé dans le cabanon de ses parents. «Il a senti très tôt la puissance du “face caméra” sur le tutoriel illustré, note Tristan Mendès France, spécialiste des cultures numériques et du complotisme. Très “YouTubegénique”, il a ouvert la voie à tout un écosystème de gourous de la santé, poussé par l’accélération algorithmique de la plateforme».
Dès 2012, il crée son association et organise de premiers stages dans les Pyrénées, avant de multiplier les conférences à travers la France, pieds nus et cheveux en chignon. Il surfe notamment sur la lutte contre le cancer, alors déclarée cause nationale. Les chimiothérapies ? Du poison vendu par «Big Pharma». Les mammographies ? «La cause des cancers du sein.» Les dépistages ? «Du fist-fucking», de quoi «faire de vous les petites putes des labos». Tout peut se régler par un peu de «jeûne sec» (c’est-à-dire sans manger ni boire) et de prière. Un jour, il confie à ses ouailles : «On m’a beaucoup reproché de rigoler du cancer. On est trop vissé à notre expérience terrestre. C’est qu’une étape. Quoi qu’il se passe, après, on va avec le boss…»
En 2016, il organise le premier festival de «RGNR», attirant 3 000 fans dans les Cévennes. La même année, il se met en cheville avec la section perpignanaise d’Egalité et Réconciliation, la nébuleuse d’Alain Soral. Dès lors, ses vidéos seront massivement relayées par le site – l’un des plus consultés de France – du polémiste antisémite récidiviste et multicondamné.
Son audience enfle. Tout comme les inquiétudes des associations et les papiers critiques, bien que souvent rédigés sous un angle «insolite» dans la presse. Alors Casasnovas ripoline son image : il embauche un conseiller en communication, se coupe les cheveux. «Son évolution est notable, souligne Pascale Duval, porte-parole de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu (Unadfi), l’un des principaux organismes anti-sectes. Il a aujourd’hui la tête du petit chef d’entreprise propre sur lui, mais il coche toutes les cases du gourou. La santé, c’est l’intime, ça oblige à se livrer totalement. C’est pourquoi le changement d’alimentation a toujours été un des signaux faibles d’emprise. Là, c’est le cœur du mouvement.»
En 2018, l’élargissement de l’obligation vaccinale tient du nouvel effet d’aubaine. Il dénonce «un crime contre l’humanité» et distille, faussement ironique, des conseils pour falsifier les carnets de santé des enfants. L’année suivante, Dieudonné est «l’invité surprise» de son raout champêtre, laissant quelques spectateurs interloqués. «C’est une figure d’apparence transpartisane, alternative dans ce qui relève de la santé, mais c’est à l’extrême droite que son discours, qui porte en lui tous les marqueurs idéologiques de la complosphère, résonne le plus fort», analyse Tristan Mendès France.
Dans une édifiante vidéo anti-avortement et anti-contraception, effacée avant d’être exhumée par l’équipe de l’Extracteur, Casasnovas assume : «Je suis intégriste au possible, traditionnaliste… J’ai l’air cool comme ça, mais c’est un cheval de Troie. […] Le mouvement de la libération sexuelle, fomenté par la CIA, comme les mouvements égalitaristes [sont] une arnaque totale.»Proche à ses débuts du courant décroissant de Pierre Rabhi, dont il se réclame encore, Casasnovas finit en toute logique récompensé par la «quenelle d’or du lanceur d’alerte», remise en personne par Dieudonné à l’été 2020. Le prix couronne sa radicalisation, comme dopée par l’audience providentielle offerte par la pandémie.
«Depuis la crise sanitaire, il adopte un discours complotiste sur la vaccination et la médecine en général, qui le conduit à encourager une forme de résistance de plus en plus marquée politiquement», euphémise-t-on au ministère de l’Intérieur. Durant le premier confinement, il multiplie les interminables «live» avec la fine fleur du conspirationnisme francophone, du Suisse Tal Schaller, pape de l’«urinothérapie», à l’homéopathe belge Jean-Jacques Crèvecœur, en passant par l’ufologue français Silvano Trotta, proche des QAnon. Quand il ne fait pas émerger des figures plus obscures, comme Slobodan Despot, rédacteur en chef du confidentiel Antipresse et ex-conseiller du politicien suisse anti-musulmans Oskar Freysinger. En février, à l’occasion des 10 ans de RGNR, Casasnovas se réjouit : «Les contraintes sanitaires ont provoqué l’émergence d’un mouvement de souveraineté et de contrôle de sa santé, à tel point qu’on a dû inventer un mot : “les complotistes”. C’est que ça représente une masse importante.»
Business juteux
Sa petite entreprise se porte bien. Son business juteux, dans tous les sens du terme, aurait dégagé en 2019 près de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires et ferait vivre, selon lui, une quinzaine de salariés et de prestataires. Il a dû mettre en pause ses conférences et ses stages, principale source de revenus, mais continue de vendre des formations vidéo («Cure de jouvence», «Amour des enfants», «Vieillir en santé»), facturées 300 euros, ainsi que de toucher une commission sur des extracteurs, dont le prix peut atteindre le millier d’euros. Il s’est aussi mis à franchiser des «coachs», et a racheté comptant un gîte prisé par les séminaristes sur les hauteurs de Céret, à quelques dizaines de mètres d’un dolmen où il aime mettre en scène ses laïus. Enfin, il vient de lancer un magazine papier avec Progressif Media, agence de com évangélique qui se targue d’avoir «accompagné de nombreuses Eglises et organisations chrétiennes». Au sommaire : graines germées, survie en milieu urbain et «décitoyennisation».
A moins que la justice ne vienne mettre un stop à sa croissance effrénée et ses conseils toujours plus délirants. «On n’a pas besoin de boire de l’eau, à part si t’as mangé des biscottes et transpiré au soleil», a-t-il récemment assuré. Casasnovas prend désormais des précautions de langage, pour ne pas tomber dans l’exercice illégal de la médecine et résister à «la presse qui cherche à le détruire». Il ne dit plus offrir des solutions mais des «possibilités» ; dément faire de la «médecine», mais dit «parler de santé». La lecture des nombreux commentaires sur sa page YouTube témoigne néanmoins de son emprise : «T’écouter pendant mon jeûne sec, c’est ma nourriture !» ; «Jeûne sec de trois jours, je souhaite continuer 20 jours ou plus afin d’éradiquer le diabète».
Début mars, pour la première fois, une adepte repentie a témoigné à visage découvert de son calvaire sur France 5. Elle a raconté comment son «errance médicale» l’avait menée à sa chaîne YouTube. Et comment, après deux ans de «régime Casasnovas» ultracarencé, elle ne pesait plus que 38 kilos et perdait ses cheveux. «Ruinée, épuisée», sa dérive s’achève sur une tentative de suicide. Quelques jours après la diffusion de l’émission, victime d’un déchaînement des crudivores sur les réseaux sociaux, cette dernière revenait partiellement sur ses propos sur le site France Soir, un des repaires, désormais, des complotistes, avant de faire son autocritique dans une vidéo filmée par Casasnovas en personne, assis à quelques centimètres d’elle sur son canapé. Ce revirement, qu’une source proche de l’enquête soupçonne d’avoir été obtenu sous une forme de contrainte ou d’influence et qualifie de «fait grave», semble avoir relancé les investigations. Une dizaine de victimes présumées auraient été auditionnées récemment.
«Double discours»
Clément B., professeur agrégé de biologie et porte-voix de l’Extracteur, dit avoir recueilli une dizaine de témoignages circonstanciés du même type, «des personnes qui voient un proche se détourner de la chimiothérapie, des individus qui se sont sentis méprisés par les docteurs incapables d’atténuer leur maladie chronique et qui se jettent corps et âme dans la méthode Régénère, y laissant des milliers d’euros. Et parfois leurs dents ou leurs cheveux…» Végétalien lui-même, tombé dans la spirale Alain Soral avant d’en sortir, ce trentenaire raconte comment il a un temps été attiré par les discours de Casasnovas, jusqu’à acheter un extracteur de jus, avant de tiquer. «Même une personne avec mon background scientifique peut être perméable à cette mécanique, c’est redoutable.»Il préfère taire son nom de famille, assurant que le collectif a reçu des menaces de mort, du genre : «Y a des décapitations qui se perdent.»
Les associations contactées par Libération, comme l’Unadfi ou le Centre national d’accompagnement familial face à l’emprise sectaire (Caffes), assurent toutes avoir épaulé plusieurs victimes de Casasnovas. Mais doutent d’une éventuelle sanction par la justice, vu les réticences à porter plainte et témoigner. «Détourner les patients d’un traitement efficace constitue une perte de chance de guérison pénalement répréhensible, rappelle un porte-parole de la Place Beauvau. Bien conseillé, Casasnovas est souvent à la limite de ce qui peut être passible de poursuites, toujours dans le double discours. Ceux dont l’état de santé se dégrade après avoir suivi ses conseils se tiennent eux-mêmes pour responsables. La culpabilisation est toujours présente dans les manipulations de type sectaire.»
«Les victimes, souvent en rupture familiale ou en très grande fragilité, sont honteuses, résume Charline Delporte, présidente du Caffes. Et les magistrats ne veulent pas de ces dossiers, trop compliqués à mener. Il y a toujours cette idée qu’il faut être un peu idiot pour tomber là-dedans.» Pourtant, «ces mouvements sont dans l’air du temps. Il n’y a qu’à voir la place qu’ils prennent en ligne»,déplore Pascale Duval. C’est d’ailleurs la grande crainte de Casasnovas : voir sa chaîne YouTube disparaître. «Il a déjà reçu des avertissements, assure Clément B. Le risque, c’est qu’il glisse de la secte 2.0 à la secte traditionnelle, avec son magazine papier, le bouche-à-oreille et les séances entre quatre yeux…»
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