par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux publié le 6 janvier 2023
Il est 14h50, la sonnerie retentit bruyamment dans les salles de classe du collège public Dupaty. Des grappes d’élèves déferlent par d’étroits couloirs pour aller se masser dans la cour exiguë qui jouxte le bâtiment. Scène banale à l’heure de la récréation, sauf que l’ambiance est tout sauf paisible dans cet établissement de Blanquefort (Gironde), une cité tranquille de 15 000 habitants, située à trente minutes de Bordeaux. Le collège Dupaty a en effet fait parler de lui dans les médias ces derniers jours, où il a été décrit comme embarqué dans une «escalade de la violence».
Pour Nicolas Bonnet, à la tête de cet établissement de 800 élèves, le problème vient des travaux de rénovation du collège, qui ont réduit de deux tiers l’espace de la cour. Commencés en 2021, ils doivent encore s’étaler jusqu’en septembre. La situation n’est donc que «temporaire», insiste le principal, qui s’étonne d’avoir vu son établissement passer au JT de France 3, de TF1, sur CNews ou dans la presse locale, cette semaine.
«Ça tord le bide»
Du côté des enseignants, des AESH et de la vie scolaire, le son de cloche est tout autre. Lancée mardi, à la rentrée des vacances, c’est leur action «Collège en danger» qui a attiré l’attention des médias – même s’ils ne s’attendaient pas à un tel retentissement. Dans un tract, le personnel enseignant réuni en collectif dénonce «une situation qui se dégrade», pointant menaces, insultes et violences physiques, entre élèves mais aussi envers les adultes. Tous réclament des moyens supplémentaires pour rétablir un «climat scolaire propice à un enseignement de qualité et pour la sécurité de tous». Pour marquer le coup, les cours n’ont pas été assurés le jour de la rentrée. Le temps d’une journée, les salles de classe étaient devenues des lieux de débats sur les violences et accueillaient les dizaines d’élèves qui avaient quand même fait le déplacement.
En salle de pause, une quinzaine d’enseignants déboulent pour souffler. «L’alarme incendie a encore sonné deux fois ce matin», s’agace l’une d’entre elles en se laissant tomber sur un canapé. «Chez nous, des élèves ont arraché les dalles du plafond», renchérit une autre. Tous fourmillent d’exemples pour décrire l’urgence qui les a poussés à agir. «Cet automne, il y a eu une menace de mort sur un surveillant. L’élève a été exclu définitivement. Depuis, une jeune fille s’est évanouie après une chute sur la tête, à cause d’une bousculade. Il n’y avait pas assez de surveillants, c’est un jeune prof-stagiaire qui a dû l’évacuer. On a également des gamins qui ne peuvent pas sortir du collège sans être escortés par leurs parents, de peur de se faire frapper. Ça tord le bide», s’émeut Lætitia, professeure d’EPS, syndiquée Snep-FSU. «Ces dernières semaines, un élève a aspergé un autre avec une bombe lacrymo dans les toilettes, une prof a été filmée à son insu, une a été attrapée par les poignets et une AESH a été mordue», complète Solène (1).
Si tous concèdent un lien entre ces brutalités et les travaux en cours, pour beaucoup il s’agit surtout d’un problème d’effectifs. «C’est le manque de moyens humains et de formation qui fait que la situation est hors de contrôle. La plupart du temps, ils sont seulement quatre ou cinq assistants d’éducation pour 800 élèves. Cela crée des zones de non-droit partout dans l’école. Les toilettes en sont l’exemple le plus criant», s’alarme Lætitia. «Il y a de plus en plus de petits qui se retiennent toute la journée par peur d’y croiser les grands qui les menacent», décrit un petit groupe de quatrièmes avant de rentrer en cours. Les enseignants dénoncent également un suivi insuffisant en classe «Ulis», qui accueille des élèves en situation de handicap, et une «augmentation inquiétante» du nombre de jeux dangereux dans la cour.
«Délitement de l’institution»
Jeudi matin, une équipe mobile académique de sécurité est venue poser un premier diagnostic. Mandatés par le rectorat, ces fonctionnaires spécialisés dans la prévention de la violence scolaire rendront sous quarante-huit heures un bilan sur les solutions à apporter pour rétablir l’ordre. «La demande a été faite dès le mois de novembre», assure le principal, qui espère obtenir une hausse des effectifs. L’équipe mobile doit revenir fin janvier.
«La réalité, c’est que nous n’avons pas constaté de hausse de la violence ces derniers mois. Les faits décrits sont malheureusement le lot quotidien de beaucoup d’établissements», ajoute Nicolas Bonnet, qui rapporte un seul conseil de discipline depuis septembre. Une information confirmée par Marie-Christine Hébrard, directrice académique. Selon elle, le collège est suffisamment doté en nombre de surveillants et «aucun fait grave» n’est remonté, hormis ce conseil de discipline.
«Il y a les chiffres officiels, et les autres», ironise Didier (1), prof depuis plusieurs décennies. «Certaines fiches d’incident ne sont tout simplement pas comptabilisées. Et cette équipe mobile, elle n’est même pas venue parler avec les profs, ça rime à quoi ?» abonde Anne (1). «On parle de Dupaty, mais le problème se retrouve ailleurs ! Après deux ans de Covid, il y a énormément d’anxiété, conclut Lætitia. Il est temps de redonner des moyens pour faire face au délitement de l’institution qui, clairement, n’arrive plus à gérer».
(1) Les prénoms ont été modifiés.
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