Par Mattea Battaglia Publié le 10 janvier 2023
Quatre jours après les vœux d’Emmanuel Macron au monde de la santé, et alors que les négociations conventionnelles reprennent entre les syndicats de la médecine de ville et l’Assurance-maladie, ce groupe constitué sur les réseaux sociaux veut maintenir la pression. Il réclame notamment la consultation à 50 euros.
L’« ordonnance » délivrée par Emmanuel Macron ne leur va pas – ou ne leur suffit pas. Dans les rangs des médecins libéraux, et particulièrement dans ceux du collectif « Médecins pour demain », qui a plusieurs fois appelé à la mobilisation ces dernières semaines, l’inquiétude ne faiblit pas depuis les vœux présidentiels au monde de la santé, vendredi 6 janvier.
« Mieux rémunérer » les médecins libéraux fait partie des engagements pris par le chef de l’Etat, mais dès lors qu’ils « assurent la permanence des soins », notamment des gardes, et « prennent en charge de nouveaux patients ». L’annonce présidentielle fait écho à la stratégie des « droits et devoirs » défendue au ministère de la santé. Si elle n’est pas simple à appréhender pour les syndicats représentatifs, elle l’est encore moins pour les membres du collectif, qui lui ne l’est pas.
« Nous souhaitons de la liberté et le paiement à l’acte pour être employeur et développer nos cabinets, avance la docteure Christelle Audigier ; le président de la République sous-entend forfaits, subventions et coercition… Il a mis de l’huile sur le feu ! » La jeune femme, qui exerce dans la région lyonnaise, est devenue la porte-parole de ce collectif de libéraux qui a émergé, en septembre 2022, sur les réseaux sociaux. En son sein, des généralistes, comme elle, mais également des pédiatres, des psychiatres… Des trentenaires et des quadragénaires, en nombre, mais aussi des médecins plus aguerris. Et, au total, quelque 16 000 membres revendiqués sur sa page Facebook, aujourd’hui.
Une mobilisation qui naît sur les réseaux sociaux
« Médecins pour demain » : leur nom ne parlait à personne – ou presque – avant qu’ils n’appellent, les 1er et 2 décembre 2022, à fermer les cabinets médicaux. Un premier coup d’éclat, dans une profession qui n’a pas la grève inscrite dans son ADN : entre 60 % et 80 % des libéraux ont participé à ces deux journées d’arrêt de travail, selon le collectif, quand l’Assurance-maladie a enregistré 30 % d’activité en moins. Six semaines sont passées ; un nouvel appel à la mobilisation a résonné après Noël ; et le récit collectif commence à s’écrire.
Ils se sont mobilisés sur Facebook grâce au « bouche-à-oreille », disent-ils, via des groupes WhatsApp, des alertes « entre collègues »… Le « noyau initial », constitué autour de la docteure Audigier, a vite grossi, au rythme de « réunions zoom »régulières, trouvant « naturellement » des relais dans chaque département.
La « force » des réseaux sociaux y est pour beaucoup, rapporte Benjamin Mougin, 39 ans, généraliste dans la Drôme. « Je me suis autorisé à me confier sur mon quotidien, mes difficultés… Découvrir qu’on est des milliers à se sentir écrasés par la cadence, les journées à rallonge, les tâches administratives, c’est terrible… Et en même temps, ça fait du bien de ne plus se sentir seul. » Lui a rejoint le collectif début novembre 2022.
Gabrielle Gallet-Voisin, 34 ans, qui exerce dans le Loir-et-Cher, a sauté le pas un mois plus tôt. « J’ai compris qu’on était nombreux à avancer le nez dans le guidon, sans s’autoriser à souffler… Qu’on était nombreux, aussi, à ne pas vraiment savoir qui décide quoi, dans notre profession. Peut-être que des collègues plus âgés l’acceptent. Mais pas moi, pas nous… Tenir trente ans comme ça, c’est non ! » Nicolas Hirth, 43 ans, généraliste dans les Côtes-d’Armor et membre de la première heure, insiste lui aussi sur la « puissance » du groupe, qui fait qu’« on peut être force de propositions ».
Un collectif vertement critiqué par le gouvernement
Une proposition, justement, a éclipsé toutes les autres : le doublement, de 25 euros à 50 euros, du tarif de la consultation. Ce n’est pas la seule portée par ces médecins, qui réclament aussi un « guichet unique » pour les patients en affection de longue durée. Ou la fin des rémunérations sur des objectifs de santé publique. Mais elle s’est imposée comme leur revendication phare. « Coup de com » pour faire parler d’eux, ou maladresse de « néophytes » ? La question a divisé les observateurs de ces débats, sans qu’elle ne soit tout à fait tranchée.
De fait, si les syndicats majoritaires disent comprendre le désarroi de leurs jeunes collègues, ils n’en partagent pas la revendication principale ni les modes d’action. C’est auprès de l’Union française pour une médecine libre (UFML), qui fut elle-même une coordination (« Les médecins ne sont pas des pigeons ») avant de se constituer en syndicat, que les Médecins pour demain ont trouvé leur premier soutien. « Il y a une fongibilité, une interface entre nos idées, relève Jérôme Marty, son président, réfutant toutefois l’idée d’y voir un vivier. Depuis des décennies, la doxa, c’est que la jeune génération n’est pas intéressée par l’exercice libéral. Ce collectif démontre l’inverse. »
A la Fédération des médecins de France (FMF), le soutien est aussi important. « Il faut entendre la mobilisation de ces jeunes, des femmes notamment, qui n’acceptent plus de passer sous silence leurs difficultés, qui veulent travailler dans des conditions correctes, compatibles avec une vie de famille, note Jean-Paul Hamon, président honoraire. Ils sont déterminés à poursuivre leur mobilisation. »
Un mouvement « de la base »
La poursuivre de manière « asyndicale » et « apolitique » : c’est ce qu’a mis en avant le collectif, dès ses premières prises de position. Depuis, il a siégé – comme invité de l’UFML – à la dernière plénière des négociations conventionnelles entre Assurance-maladie et les syndicats de libéraux, le 15 décembre 2022. Et il devrait revenir s’asseoir à la table des discussions, qui reprennent mercredi 11 janvier, pour fixer pour cinq ans le contrat qui les lie. Dans ses rangs, on ne cache pourtant pas une forme de réserve à l’égard des « organisations constituées ». « On ne demande pas à nos membres s’ils ont un passé syndical, chacun peut arriver avec son bagage », défend la docteure Audigier.
Certains, sur le terrain, y voient un mouvement « de la base », de ceux qui peuvent être propulsés grâce aux nouveaux médias, à l’image du mouvement des contrôleurs de la SNCF, ou des stylos rouges chez les enseignants. Mais qui peuvent disparaître aussi vite.
D’autres, des hospitaliers notamment, taclent un combat « un peu passéiste », mené par « les plus libéraux des libéraux ». Quelques-uns encore rappellent que, souvent, lors des négociations conventionnelles, les groupes et les coordinations fleurissent.
Les semaines qui viennent diront, dans le contexte d’effervescence que l’on connaît, si le collectif garde son cap. Lundi 9 janvier, il a lancé une « opération anti-burn out », visant à limiter l’activité en cabinet. Une « action nouvelle par semaine » est projetée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire