par Elsa Maudet publié le 6 octobre 2022
Fabienne Modetin est assise par terre en tailleur quand Eliott vient s’installer sur elle, bouteille sensorielle en main. Pantalon moutarde et col roulé bleu marine, l’enfant reste ainsi quelques minutes puis repart comme il est venu, sans un bruit. Il a fait le plein de contact physique et reprend ses explorations. Il y a quelques heures, les deux ne se connaissaient pas. L’auxiliaire de puériculture est arrivée le matin même, ce mardi, dans la section «moyens 2» de la crèche municipale Jean-Pierre-Timbaud, dans le XIe arrondissement de Paris. Elle en repartira dans quelques jours.
La professionnelle de 49 ans fait partie d’un pôle de remplacement qui vient en renfort dans les crèches en manque ponctuel d’effectifs, souvent pour arrêt maladie. Une solution mise en place par la municipalité il y a cinq ans, et loin d’exister partout. «C’est souvent dans les grosses collectivités et ça n’a rien d’obligatoire»,pointe Julie Marty-Pichon, coprésidente de la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants. Sans ce système, les directrices de crèche doivent généralement appeler elles-mêmes des professionnelles, en espérant qu’elles seront prêtes à venir au pied levé, pour parvenir à maintenir le taux d’encadrement nécessaire à l’accueil de tout-petits. Une mission chronophage. Avec les pôles de remplacement, l’affaire est gérée par des fonctionnaires dédiés, qui dispatchent les forces en présence selon les priorités.
A droite à gauche au gré des besoins
«C’est une évolution très positive par rapport au système des renforts d’hiver [des recrutements effectués pour l’hiver, lorsque les maladies sont plus nombreuses, ndlr] parce que ça permet de répondre à la problématique de remplacement sur toute l’année et d’avoir une organisation pérenne», loue Antoine Guillou, adjoint à la maire de Paris en charge des ressources humaines. Alors que les professionnelles de la petite enfance sont appelées à faire grève ce jeudi pour dénoncer la pénurie de salariées dans le secteur, les pôles de remplacement apparaissent comme une solution intéressante pour éviter les sous-effectifs – même s’ils ne résolvent pas le problème structurel du secteur : conditions de travail difficiles, maigres rémunérations, manque de places de formation, faible valorisation des métiers…
Remplaçante depuis 2019, après treize années passées dans la même crèche, Fabienne Modetin a déjà travaillé dans la quasi intégralité des 50 crèches des XIe et XIIe arrondissements de Paris, le secteur auquel elle est rattachée. Jean-Pierre-Timbaud était l’une des trois qui manquaient à son actif. «Souvent, plus que d’être dans l’action, je laisse les enfants venir à moi, pour qu’ils fassent connaissance», raconte-t-elle pendant qu’Adam rampe en direction d’une peluche, un long filet de bave le reliant au sol, et qu’Ahmed, palmier sur la tête, répète «Aboooooo !» – «Bravo !» – en tapant des mains dès qu’il parvient à glisser un anneau en caoutchouc dans une petite boîte. A Paris, elles sont 175 volontaires de ce type, réparties dans dix pôles de remplacement, sur les quelque 8 000 personnes dépendant de la Direction des familles et de la petite enfance, dont l’écrasante majorité travaille en crèche. Leur statut est semblable à celui des enseignants remplaçants dans l’Education nationale : elles sont titulaires, au même titre que leurs collègues qui ont un poste fixe, et sont envoyées à droite à gauche au gré des besoins.
108 euros brut de prime mensuelle
Véronique Escames a connu ce système lorsqu’elle travaillait dans une crèche municipale de Montigny-le-Bretonneux (Yvelines). «On était contentes parce que ça fait du monde en plus, généralement les remplaçantes sont motivées et ça apporte un regard extérieur sur notre structure, ça nous fait avancer, déroule la cosecrétaire générale du Syndicat national des professionnel·le·s de la petite enfance. Après, quand elles viennent une semaine, elles ne connaissent pas les enfants, les enfants ne les connaissent pas, donc ça pose des difficultés avec les plus jeunes. Souvent, on leur demande essentiellement de faire de la surveillance, ce qu’on appelle “du tapis”. Et c’est compliqué de trouver des professionnelles qui acceptent, il y a une espèce de frustration. Soit ce sont de toutes jeunes débutantes qui espèrent obtenir un poste fixe, soit des anciennes qui ont des enfants et sont contentes de ne pas avoir à gérer les changements d’horaires. Mais ces postes ne doivent pas être pris par des professionnelles qui débutent parce qu’il faut une énorme capacité d’adaptation et être capable de prendre des initiatives.»Pour compenser la grande adaptabilité qui leur est justement demandée, les remplaçantes des crèches municipales parisiennes touchent une prime mensuelle de 108 euros brut.
Fabienne Modetin, dix-sept ans d’expérience, avait initialement rejoint le pôle de remplacement pour tester différentes crèches avant de savoir où elle souhaitait se poser. Finalement, elle trouve son compte dans ce travail en pointillé et ne compte pas en changer. «Je suis détachée de certaines contraintes propres aux établissements, comme les horaires ou l’harmonie d’équipe, confie-t-elle. Et c’est valorisant d’arriver et d’apporter une aide précieuse – parce qu’en général, on est très attendues.»
Reste qu’avec la pénurie de personnels dans les crèches, le système atteint ses limites. «On est dans une situation très tendue dans l’ensemble du secteur de la petite enfance, donc le pôle de remplacement peut être mis à contribution sur des périodes plus longues et on a moins de souplesse pour faire face aux imprévus. C’est plus complexe qu’il y a deux ou trois ans», constate Antoine Guillou. La formule, toutefois, séduit, au point que la mairie de Paris envisage de l’étendre à d’autres métiers, comme aux agents d’entretien dans les écoles.
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