par Catherine Cusset, Ecrivaine publié le 6 octobre 2022
Remercions Rebecca Zlotowski d’attirer l’attention sur la figure mal considérée de la belle-mère.
La langue française ne dispose même pas d’un mot propre pour désigner la deuxième épouse du père, celle qu’en anglais on appelle «stepmother», à la différence de la «mother-in-law» la mère de son épouse ou de son mari (à laquelle j’ai consacré mon roman Un brillant avenir). Stepmother vient du vieil anglais steop qui veut dire «perte», «deuil». C’est la mère de substitution pour les orphelins, que les Américains proposent maintenant d’appeler«bonus-mother» le divorce étant aujourd’hui plus fréquent que le deuil. Cet euphémisme, comme le français «belle-mère» (du vieux français biau, à la fois «beau» et «bon») semble vouloir conjurer un pouvoir néfaste. Mais la langue est vaincue par l’usage : car la belle-mère, loin de désigner quelque chose de beau et de bon, évoque tout de suite la marâtre, la méchante. Figure spécifiquement féminine. On ne parle jamais d’un «parâtre», et pourtant les beaux-pères existent aussi.
Dans la littérature enfantine, la marâtre qui remplace la mère morte et qui débarque souvent avec ses propres enfants est tout sauf une mère. La belle-fille se retrouve maltraitée, humiliée, asservie : non aimée. Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle. La rivalité est clairement énoncée dans le conte : c’est elle ou moi. Une petite pomme empoisonnée ne lui fera pas de mal, à celle-là. Comme aurait dit Lady Di, il y a trop de monde dans ce mariage. La belle-mère se passerait des rejetons du premier lit. Elle occupe le territoire et veut faire place nette. J’en ai connu, de ces belles-mères. L’une d’elles refusait de voir la fille de son mari, une petite de 3 ans, parce que le fruit de ces anciennes amours lui rappelait qu’il avait aimé d’autres femmes avant elle et que cela lui était insupportable. J’ai pensé que le couple ne durerait pas et la vie m’a donné raison, mais le dommage sur l’enfant rejetée était fait. J’ai connu une autre femme qui avait été pendant des années la maîtresse cachée car l’homme qu’elle aimait avait peur d’avouer à ses enfants qu’il avait quitté leur mère pour une femme plus jeune : quand elle s’est enfin installée avec lui et s’est retrouvée enceinte, ces enfants qui avaient été à leur insu des obstacles à son bonheur n’ont pas été les bienvenus dans le foyer qu’elle avait créé.
Rien de plus complexe que cette figure
On dirait que je nourris le moulin de Charles Perrault et qu’à mon tour, je dénonce la marâtre brimant les orphelins, ce cliché qu’a voulu défaire Rebecca Zlotowski dans les Enfants des autres : Virginie Efira incarne une amante vulnérable qui s’attache à l’enfant de l’homme aimé et qui se retrouve brutalement privée du lien créé quand il la quitte. La belle-mère d’un temps n’a plus rien. Aucun droit. Cet enfant qui, des mois ou des années, a été le sien, elle ne le reverra pas.
Rien de plus complexe que cette figure de la stepmother. Et tant de circonstances différentes : la vraie mère est-elle morte ? Est-elle partie, ou est-ce le père qui l’a quittée, créant un ressentiment et une jalousie à l’égard de la nouvelle femme ? Les enfants vivent-ils avec le père à plein temps, en garde alternée, un week-end sur deux ? S’agit-il d’un enfant, ou de plusieurs ? Quel âge ont-ils ? La belle-mère a-t-elle des enfants ? Est-elle jeune, ou mûre ? Tous ces cas de figure se subdivisent : une mère défunte peut être plus facilement remplacée, ou au contraire, être irremplaçable. Une amie qui ne pouvait pas avoir d’enfants s’est occupée des trois enfants de son mari veuf comme des siens ; elle s’est battue pour eux, a cherché les écoles les mieux adaptées, a été à leur écoute, a assuré leur avenir, et ils l’aiment comme une mère. Un ami a perdu sa femme d’un cancer : sa fille adolescente n’a pas pu accepter la femme qu’il a rencontrée six mois plus tard, tant l’idée du remplacement de sa mère partie trop tôt lui était douloureuse.
Une autre s’est retrouvée toute jeune à la tête d’une famille nombreuse dont il fallait assurer la vie matérielle. Quand elle a voulu à son tour un enfant, l’homme, qui en avait quatre, le lui a dénié. Ils se sont séparés quand elle avait 50 ans, elle avait sacrifié sa jeunesse à cette famille qui n’était pas la sienne, il ne lui restait rien. Le fils, dans son discours de mariage, s’était adressé à elle en ces termes : «Merci d’avoir lavé mes chaussettes et de m’avoir fait à manger tous les soirs.» Ne se rappellerait-il d’elle que cela ? Douleur.
Les enfants de l’autre compliquent l’équation
Rencontrer un homme, recréer une relation, ce n’est déjà pas simple, surtout quand on a connu l’échec et la séparation. Les enfants de l’autre compliquent l’équation. Si l’homme a un cœur, ses enfants passeront d’abord. Leur place est immuable. Il faut se faire accepter d’eux, les amadouer, devenir leur amie mais rester prudente, ne rien leur confier qui puisse se retourner contre soi. Si, encore, ce sont de tendres enfants de 4 ans… Mais des adolescents ! Des adolescents qui mentent, qui désobéissent, et qui ont pour but inconscient de chasser l’intruse qui s’est mise entre eux et leur père, qui occupe leur espace et prétend les régir. De part et d’autre le mal-être est grand.
Comment fait-elle, la belle-mère, pour trouver sa place et la bonne distance ? Pour tolérer des comportements qu’elle désapprouve, pour ne pas exercer une autorité qui sera rejetée, pour accepter le conflit de loyautés, pour ne pas critiquer ni juger, pour aimer ces enfants qui ne sont pas les siens et le lui font savoir avec une cruauté qui la blesse ? Qui nient avoir mangé le plat qu’elle avait préparé pour le lendemain ou volé la trousse de maquillage dans la salle de bains ? Pour que cette famille-là existe, subsiste, il faut qu’il y ait beaucoup, beaucoup d’amour entre l’homme et la femme. Il faut que la belle-mère soit une magicienne, une jongleuse, une équilibriste bien dans sa peau, une femme ouverte, généreuse et tolérante – une superwoman.
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