Par Pascale Santi Publié le 3 octobre 2022
Une infection peut entraîner des troubles prolongés, mais la variété des symptômes en fait une maladie complexe. Ce syndrome fait l’objet d’une intense activité de recherche, mais son origine et son ampleur ne sont pas encore pleinement compris.
Plus de deux ans après le début de la pandémie de Covid-19, des millions de personnes infectées par le SARS-CoV-2 présentent encore des symptômes persistants plusieurs semaines, voire plusieurs mois, après avoir été infectées.
Y voit-on plus clair sur ce qu’on appelle Covid long ? Olivier Robineau, infectiologue au centre hospitalier de Tourcoing (Nord), coordinateur de l’action Covid long à l’ANRS-Maladies infectieuses émergentes (MIE), répond sans ambages : « On sait que ça existe, les données sont solides. Mais il y a des débats sur les mécanismes du Covid long, les causes, la prise en charge. » Il reste encore de nombreuses zones d’ombre.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a proposé, à partir de la méthode Delphi (la consultation d’un groupe d’experts), une définition en octobre 2021, et parle plutôt d’un « état post-Covid-19 », défini comme des symptômes qui apparaissent généralement dans les trois mois suivant l’infection, et qui durent au moins deux mois. Ils ne peuvent pas être expliqués par un autre diagnostic. Souvent, cet état tranche avec l’état antérieur de la personne. Cette définition pourra évoluer en fonction de l’état des connaissances, précise l’organisation.
« Un champ de recherche est en train d’émerger sur les syndromes postinfectieux comme ceux qu’on peut trouver après une mononucléose ou des infections de type SRAS ou Ebola, voire certains cas de grippe. Les symptômes se recoupent », souligne Lisa Chakrabarti, directrice de recherche au sein de l’unité Virus et Immunité à l’Institut Pasteur.
« Un apport rapide de connaissances »
La variété des symptômes en fait une maladie complexe. C’est devenu un sujet de recherche en soi. Depuis la première publication sur le sujet en septembre 2020, pas moins de 2 000 articles scientifiques ont été publiés, selon la base de données Scopus. « Tout le monde a ressenti cette urgence de pouvoir travailler sur ce sujet. Avec le Covid, on n’a jamais vu dans la science un apport aussi rapide de connaissances, de nouveaux traitements, de vaccins. On espère que ce sera la même chose pour le Covid long, même si c’est un peu plus compliqué car nous sommes toujours à la recherche des causes physiopathologiques sous-jacentes », explique Mayssam Nehme, médecin cheffe de clinique dans le service de médecine de premier recours des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Pas si simple d’estimer la prévalence. Entre 10 % et 30 % des personnes ayant présenté un Covid-19 seraient concernées. Une fourchette large qui peut s’expliquer par les types de populations étudiées et la définition de la maladie, qui varie selon les travaux.
En 2020 et 2021, dix-sept millions d’Européens ont souffert de troubles dus à un Covid long – et 145 millions dans le monde –, selon une estimation publiée à la mi-septembrepar le bureau européen de l’OMS s’appuyant sur une analyse de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) (université de Washington). Cela représente plus de 16 % des 102,4 millions de personnes contaminées par le virus en 2020 et 2021 en Europe, précise l’OMS, qui appelle à plus de recherche. Les enfants et les adolescents sont également touchés, même si les données les concernant sont imprécises.
L’agence Santé publique France (SpF) a annoncé début septembre le lancement d’une étude afin d’estimer « la prévalence de l’affection post-Covid-19 et son impact sur le recours aux soins, la qualité de vie et la santé mentale ». Les limites méthodologiques d’une première enquête menée auprès d’un panel de volontaires – elle mentionnait que 4 % des répondants présentaient l’affection post-Covid, « nécessitent que ces résultats soient confirmés », précise SpF. Selon cette étude, plus de deux millions de personnes seraient concernées par le Covid long.
Fatigue, essoufflement, troubles cognitifs ou psychiatriques, douleurs musculaires… ces symptômes variés et plus ou moins invalidants peuvent fluctuer dans le temps
Point positif : « la plupart de ces symptômes se résolvent dans l’année qui suit », observe Olivier Robineau ; 5 % à 10 % souffriraient encore de symptômes persistants un an après l’infection aiguë, parfois très invalidants dans la vie personnelle et professionnelle, ce qui en fait pour beaucoup d’observateurs un enjeu de santé publique. Ces symptômes à long terme peuvent s’apparenter aux critères du syndrome de fatigue chronique.
L’expression « Covid long » est d’abord apparue sur les réseaux sociaux, à travers le témoignage de patients, dans les premiers mois de 2020. Le terme « long haulers » (longs courriers) est aussi utilisé, certains préférant celui de « syndrome prolongé ».
Les facteurs de risque semblent l’âge, le fait d’être une femme, les comorbidités comme l’obésité… même si là aussi le tableau n’est pas définitif. Avoir été hospitalisé semble aussi renforcer le risque d’avoir des symptômes qui durent. Mais, selon les spécialistes, ceux-ci doivent être distingués des séquelles après une hospitalisation, notamment en réanimation.
Ce qui renvoie à la définition de la maladie, multiforme. Fatigue, essoufflement, troubles cognitifs (perte de mémoire, difficulté de concentration, etc.) ou psychiatriques, douleurs musculaires… ces symptômes variés et plus ou moins invalidants peuvent fluctuer dans le temps. La cohorte de patients ComPaRe (AP-HP, université Paris-Cité), qui compte 2 500 personnes ayant des symptômes persistants après une infection par le SARS-CoV-2, a recensé plus de cinquante symptômes fin 2020, dont la plupart ne sont pas spécifiques, à part l’anosmie et l’agueusie. Les signes semblent se majorer énormément après un effort, physique ou intellectuel, certains évoquent un malaise post-effort, comme si la personne avait un niveau d’énergie limité.
Persistance virale et inflammation
Bonne nouvelle, les variants BA1 et BA2 seraient moins pourvoyeurs de troubles persistants, sans certitude à ce jour sur BA5. « Cela pourrait être lié à la vaccination, au virus qui a changé, au contexte de la pandémie moins anxiogène, reste que cette baisse est difficile à quantifier », explique Olivier Robineau.
Au chapitre des causes, la persistance virale et l’inflammation sont souvent citées. « De nombreux travaux récents démontrent parfaitement aujourd’hui que de l’ARN viral ou des fragments viraux peuvent également persister dans de très nombreux organes », comme indiqué dans une tribune écrite par des spécialistes, dont l’infectiologue Dominique Salmon-Ceron, parue dans The Conversation le 22 septembre. Des chercheurs de Harvard ont retrouvé la protéine spike du SARS-CoV-2 dans le plasma de patients et d’autres chercheurs des fragments dans l’intestin, sans que le virus soit répliqué.
« L’une des pistes est que la réponse immunitaire antivirale ne s’installerait pas bien lors de la primo-infection, ce qui permettrait au virus de persister à bas bruit dans des réservoirs, comme le tube digestif, ou peut-être le cerveau, ce qui reste toutefois à éclaircir », explique Lisa Chakrabarti. La présence de ce pathogène étranger conduirait à l’activation du système immunitaire, mais pas assez pour éliminer le virus, provoquant une sorte d’inflammation chronique qui serait délétère, à l’origine de divers symptômes.
L’équipe de Lisa Chakrabarti mène une recherche, financée par l’ANRS et la Fondation pour la recherche médicale, qui « explore l’hypothèse selon laquelle les lymphocytes T n’élimineraient pas assez les cellules infectées ».
« Cette inflammation chronique peut toucher des organes et des tissus, avec des effets pas forcément élucidés. Cela peut affecter le système respiratoire, cardiaque, digestif, les nerfs, les capillaires sanguins, etc. », résume Olivier Robineau. Il a démarré un projet, appelé Coper, qui va comparer des Covids longs, des Covid sans symptômes persistants, et des témoins, en scrutant un grand nombre de protéines dans le sang.
A la recherche d’une signature biologique, plusieurs équipes du CHU d’Angers, menées par le professeur Vincent Dubée, vont commencer des travaux avec uneapproche métabolomique, qui consiste à mesurer par des techniques chimiques la quantité de plusieurs centaines de substances reflétant l’activité des voies métaboliques. « Les chercheurs vont comparer le sang des patients atteints de Covid long avec celui de patients ayant eu le Covid qui en ont guéri sans le développer, en excluant les sujets ayant des symptômes dépressifs ou anxieux marqués, dont on sait qu’ils peuvent avoir une métabolomique perturbée », précise Vincent Dubée.
Le cerveau scruté à la loupe
« Nous pensons aux HUG, y compris les psychiatres et les neurologues, que le virus aurait un neurotropisme, indique Mayssam Nehme. Il toucherait par exemple le système limbique (qui joue un rôle dans l’olfaction, la mémoire et la gestion des émotions), comme certaines études le suggèrent. Cela pourrait d’ailleurs expliquer le brouillard cérébral décrit par de nombreux patients », détaille-t-elle. Nombre d’entre eux ne peuvent plus travailler, doivent se reposer entre chaque tâche, comme si leur cerveau se mettait en hibernation pendant un moment.
Une étude, menée à partir de dossiers médicaux de millions d’anciens combattants américains, parue dans Nature Medicine, le 22 septembre, a montré que les personnes ayant contracté le Covid-19 ont un risque accru de 7 % de présenter des dommages cérébraux un an plus tard que celles n’ayant jamais été contaminées par le coronavirus.
Un autre travail réalisé par des chercheurs de l’université d’Oxford, publiée début mars dans la revue Nature, a suivi 785 personnes inscrites dans la base de données UK Biobank. Toutes avaient eu une imagerie cérébrale et des examens cognitifs avant le début de la pandémie. Il en ressort que le groupe des individus contaminés présente une réduction plus importante du volume de matière grise et une dégradation plus marquée des tissus cérébraux. Grâce à des mesures par Tep-Scan, l’équipe d’Eric Guedj, chef du service de médecine nucléaire aux Hôpitaux universitaires de Marseille (AP-HM) a mis en évidence un hypométabolisme dans certaines régions du cerveau.
La piste des microcaillots
« L’hypothèse de troubles de la coagulation qui persistent chez des patients ayant un Covid long est centrale, une petite dizaine d’études le montrent aujourd’hui », analyse David Smadja, professeur d’hématologie à l’hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP) et chercheur (Inserm), qui a mené des travaux sur ce sujet – l’étude est en cours de publication. Mais « on ne sait pas encore vraiment quels signes cliniques sont associés à ces atteintes du vaisseau », poursuit le spécialiste.
Une équipe tunisienne a mis en évidence que la surface du vaisseau restait abîmée, avec une dysfonction de l’endothélium chez des patients atteints de Covid long.
Cette hypothèse des microcaillots, qui a émergé à la mi-2021, a conduit certains patients à se rendre en Allemagne ou en Suisse pour un « lavage de sang » (aphérèse), à des prix très élevés, comme décrit dans un article du BMJ, en juillet 2022. Aucun essai clinique n’a encore été réalisé avec ce traitement, qui peut être dangereux, préviennent les chercheurs.
D’autres pistes suggèrent une réactivation du virus d’Epstein-Barr, qui cause la mononucléose, et-ou celui du zona et de la varicelle. En outre, il ne faut pas négliger l’implication potentielle d’autres facteurs, qu’ils soient génétiques ou hormonaux. « Enfin, on ne peut exclure que la forte inflammation lors de l’étape aiguë de l’infection déclenche une réponse auto-immune, ou les anticorps attaquent les propres cellules du patient, mais ces autoanticorps ne sont pas systématiquement retrouvés », décrit Lisa Chakrabarti. Si les pistes existent, il n’y a pas à ce stade de signature biologique unique, ni de marqueurs simples.
Des causes… ou des conséquences psychiatriques
« A l’instar de beaucoup de maladies chroniques, les plaintes et symptômes peuvent être majorés chez les personnes avec des troubles anxieux ou dépressifs, observe Olivier Robineau. A l’inverse, ces troubles psychiques peuvent se révéler dans les mois qui suivent un épisode de Covid, et de manière réactionnelle, ce qui ne facilite pas la guérison, a fortiori chez des patients ayant des formes sévères. »
Dans une étude, Matthieu Gasnier, psychiatre à l’hôpital Bicêtre (AP-HP), et chercheur dans l’équipe Moods (Inserm) a montré que les patients avec des plaintes respiratoires et cognitives (quatre mois après l’infection) sont plus à risque de développer des troubles psychiatriques (principalement des dépressions et des troubles anxieux), quel que soit l’âge, le sexe… alors que 80 % n’avaient aucun antécédent psychiatrique connu. « Devant un tableau clinique évoquant un Covid long, il faut rechercher un trouble psychiatrique associé », insiste Matthieu Gasnier.
Quant à la part psychosomatique, fortement débattue, elle entre souvent en jeu dans les maladies chroniques. Loin d’être une pathologie imaginaire, ce sont des symptômes qui persistent sans pouvoir être expliqués par un organe qui dysfonctionne, dont l’origine peut-être en partie liée à l’état psychique.
« Les troubles dits fonctionnels ont une mauvaise appellation. Malheureusement, en médecine, quand les professionnels ne savent pas, ils disent souvent que c’est dans la tête, or il nous manque potentiellement les bons outils ou les bons tests de mesure », note Mayssam Nehme, des HUG. « On veut se démarquer de cette hypothèse car on ne veut pas que le fait de souligner les aspects psychiatriques du Covid long amène à une forme de stigmatisation », ajoute Matthieu Gasnier.
Pour Maxime Taquet, psychiatre et chercheur à l’université d’Oxford, « la composante psychologique semble évidente. Il est aussi possible que le stress, surtout au début de la pandémie et pendant les confinements, ait généré chez certaines personnes des symptômes plus somatiques. Mais il semble tout aussi évident que ce n’est pas la seule raison ».
« Pas un mais des Covid longs »
Dans tous les cas, « ces causes ne sont pas exclusives. Je reste depuis un an et demi sur l’hypothèse qu’il n’y a pas un Covid long mais des Covid longs, et parmi ceux-ci il peut y avoir plusieurs causes qui s’associent et se succèdent chez une même personne », détaille Olivier Robineau, selon lequel « il faut rester humble et ne pas être dogmatique »
« Je suis à peu près persuadé qu’il y a un mix de tout à l’origine des symptômes du Covid long. Il y a des gens dont certains symptômes sont probablement d’origine psychosomatique, d’autres immunitaire… Mais pour la plupart, c’est un mélange. C’est ce qui fait la complexité de cette maladie, très hétérogène », explique l’épidémiologiste Viet-Thi Tran, qui coordonne la cohorte ComPaRe. « Notre objectif est de décrire au mieux pour démêler l’écheveau compliqué du Covid long. Notre approche est agnostique de toute hypothèse causale des symptômes », poursuit le chercheur.
Un bémol, « en France, les patients sont encore trop souvent peu entendus ou impliqués en tant qu’acteurs de la santé comme c’est le cas à l’étranger, où ils ont une place-clé », regrette Pauline Oustric, présidente de l’association Covid Long France ApresJ20.
Côté prise en charge, il n’existe à ce jour aucun traitement médicamenteux spécifique. Des essais sont en cours sur des anticoagulants, antiviraux, antidépresseurs… Un essai clinique, conduit par Maysam Nehme et Idris Guessous, du service de médecine de premier recours des HUG, a par exemple commencé à Genève pour tester le temelimab, un anticorps monoclonal, qui cible la protéine Her-w ENV, retrouvée chez des personnes ayant un post-Covid et souffrant de fatigue et de troubles de concentration.
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