par Ève Beauvallet publié le 29 septembre 2022
Ruth Rosenthal est une musicienne et actrice israélienne venue s’installer en France pour «faire du théâtre de bobo à la con» (selon son compagnon), être intermittente («super, vive la France», encore selon compagnon) et traîner sur le monde son air de tragédienne avec «ses yeux bleus d’Ashkénaze coincée du cul» (toujours selon son compagnon). Le compagnon, Xavier Klaine, est un musicien et acteur français dégoûté de revenir dans la vie qu’il a fuie, Paris, et bien décidé à la tenir pour principale responsable de sa dépression d’artiste quadra accablé par de banales compromissions. Entre eux, il y eut des années commune et le confinement, période loupe au cours de laquelle Ruth Rosenthal eut cette idée saugrenue qui paraîtrait sordide dans d’autres mains : enregistrer en douce tous les reproches et jérémiades que Xavier déverse sur elle à la sulfateuse pour en faire, non pas un document à remettre à la justice, mais la bande-son ordurière d’un spectacle. Les deux artistes et leur fille de 14 ans, sur le plateau, vaqueraient à leurs occupations comme à la maison (yoga, cuisine, ennui), pendant que les plaintes sans filtres de Xavier tourneraient en litanie dans les baffles.
Le tout forme un bazar parmi les plus curieux, passionnant, qu’on ait pu voir sur la violence de la vie à deux et sur les effets du patriarcat dans un couple de gauche. Le dispositif est génial. Xavier a l’humeur désabusée et la paupière pesante de Jean-Pierre Bacri, il est d’une inventivité notable dans l’art de l’insulte borderline, il truffe ses phrases de «putain» geignards et traînaillants comme chez Quentin Tarantino, sa mauvaise foi est violente, sans limite, mais aussi théâtrale, et drôle. Ce qui place le spectateur dans un sacré merdier éthique : peut-on vraiment rire impunément, comme on le fait, de ces micro-agressions ? A fortiori aujourd’hui et lorsqu’elles sont répétées par un homme à une femme ? Le dispositif est génial parce qu’il génère une palette d’émotions contradictoires : la pièce semble autant un réquisitoire contre le personnage de Xavier Klaine qu’un éloge de son autodérision. Ruth Rosenthal n’a pas besoin de répondre à la litanie d’insultes et de reproches ; le spectacle est la réponse, autant que le consentement donné par son conjoint d’être ainsi livré en pâture. Le grand problème de la pièce est qu’elle a tenu à en formuler une tout de même. Surtout, à en formuler une si littérale – «radicale» diront certaines – et si plate qu’elle saccage tout du jeu de réappropriation pervers malicieusement composé précédemment. A cette première partie succède donc une seconde, qu’on regarde au troisième degré avant de comprendre qu’il n’y a là aucune espèce de distance ironique : devant nous, Ruth Rosenthal installe une sorte de sabbat de sorcière vengeresse et sa fille énumère au micro une liste de féminicides, comme dans 90% des pièces actuelles qui entendent dénoncer l’oppression patriarcale. Pour nous dire que les violences, si verbales soient-elles, aboutissent nécessairement à la pendaison d’une femme par un homme blanc cisgenre ? Ah. On peine à croire que les deux parties ont été signées par les mêmes artistes.
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