Par Abel Mestre Publié le 4 octobre 2022
La dixième vague de l’étude « Fractures françaises », réalisée par Ipsos-Sopra Steria pour « Le Monde », la Fondation Jean-Jaurès et le Cevipof, souligne que si la confiance de l’opinion dans le pouvoir politique s’améliore, le niveau de mécontentement général reste élevé.
Un pays en colère, beaucoup plus préoccupé par les sujets économiques et sociaux que par les questions identitaires et avec une demande de rééquilibrage des pouvoirs. La dixième vague de l’étude « Fractures françaises », réalisée par Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), dresse un portrait contrasté d’une France massivement mécontente mais note, dans le même temps, les premiers signes d’une décrispation.
Cette enquête est d’une ampleur exceptionnelle et donne ainsi l’image la plus complète possible de l’état de l’opinion dans le pays. Cette année, l’échantillon a été multiplié par dix par rapport aux vagues précédentes, avec pas moins de 12 044 personnes, constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, interrogées du 16 au 20 septembre, selon la méthode des quotas.
Il ne s’agit pas de dire que tout va bien : 36 % des sondés se disent appartenir à une France très en colère et contestataire, 58 % à une France mécontente. De même, 89 % des Français estiment vivre dans une société violente, que cette dernière augmente (87 %). Un quart d’entre eux (26 %, + 8 points en un an) pense même que le recours à la violence peut parfois être justifié.
Cependant, et c’est un point positif, la crise du politique n’empire pas. Certes, les niveaux sont souvent mauvais, mais au regard des réponses de 2015 et 2016 – soit l’apogée de la défiance et du rejet du système politique traditionnel –, les choses vont un peu mieux.
Soutien à la démocratie
Ainsi, la demande d’autorité recule, même si elle reste haute : 79 % des Français voudraient un « vrai chef pour remettre de l’ordre »(stable sur un an, mais en baisse de 8 points par rapport à il y a dix ans). L’idée que la démocratie est « irremplaçable » et est « le meilleur système possible » est, elle, en augmentation (70 %, + 2 points par rapport à 2021). La demande d’une démocratie plus directe est aussi importante (37 %, quand 44 % sont satisfaits du système représentatif).
Si elle demeure majoritairement négative, l’image du personnel politique s’améliore également : les Français sont moins nombreux à penser que les politiques sont corrompus (57 %, – 5 points en un an), 29 % considèrent que les hommes et les femmes politiques agissent principalement dans l’intérêt des Français (+ 8 points par rapport à 2021). Du jamais-vu depuis six ans. Dans le même sens, la confiance envers les députés (36 %, + 7 points) et les partis politiques (18 %, + 2 points) progresse.
Les personnes interrogées veulent aussi de la stabilité politique et demandent une forme de consensus : elles sont plus nombreuses (38 %) à refuser une dissolution, quand 22 % y sont favorables (40 % n’ayant pas d’avis sur la question).
Et si près de la moitié des sondés (48 %) estime que la majorité relative à l’Assemblée nationale n’a pas d’impact significatif sur le fonctionnement de la démocratie, il n’en demeure pas moins qu’il y a une demande d’un rééquilibrage des pouvoirs. Ainsi, 55 % d’entre eux pensent que le gouvernement ne fait pas assez de« concessions » aux oppositions. Ces dernières devraient d’ailleurs, selon 71 % des répondants, voter avec le gouvernement si les lois proposées se rapprochent de ce qu’elles défendent. En clair : une opposition, oui, mais constructive. Corollaire de cette demande : « l’opposition ferme » exercée par La France insoumise (LFI) est jugée comme trop radicale par 53 % des Français, quand 34 % le pensent pour le Rassemblement national (RN), qui a choisi, lui, d’être dans une opposition plus modérée que ses adversaires de gauche.
Par ailleurs, une large majorité (73 %) pense qu’il existe de vraies différences entre la droite et la gauche, quand 27 % estiment le contraire. C’est un plus haut depuis 2018. Mais, paradoxalement, 64 % voient dans les notions de droite et de gauche des concepts « dépassés » ne « permettant plus de juger les prises de position politiques ». Pour résumer, le clivage droite-gauche est toujours présent mais n’est plus aussi significatif qu’auparavant.
D’une certaine manière, ces réponses entrent en résonance avec la tripartition politique où les trois principales formations (Renaissance, LFI et le RN) cherchent toutes à dépasser les vieux clivages et ont toutes adopté, avec des variations dans le temps, une stratégie populiste, opposant un « eux » et un « nous ».
Préoccupations sociales et économiques
Enfin, dernier enseignement et non des moindres : les principales préoccupations ne se situent pas dans le domaine régalien (insécurité et immigration) mais sur les sujets économiques et sociaux.
Ainsi, les difficultés liées au pouvoir d’achat (54 %) arrivent loin devant la protection de l’environnement (34 %) et l’avenir du système social (26 %). L’immigration et la délinquance (18 % chacune) sont distancées.
D’ailleurs, les personnes interrogées sont largement conscientes des discriminations dans le pays et jugent très majoritairement (80 %) que le racisme est présent. Parmi les électeurs des partis d’extrême droite, RN et Reconquête !, cette proportion est moins forte mais est tout de même significative (respectivement 67 % et 50 %).
La question identitaire reste prégnante même si les résultats sont stables depuis plusieurs années. Le sentiment que l’on « ne se sent plus chez soi comme avant » reste majoritaire (62 %) et seules quatre personnes sur dix pensent que l’islam est compatible avec les valeurs de la société française, un chiffre qui varie très peu depuis 2016.
Concernant l’immigration, là aussi les résultats sont contrastés. Une majorité trouve qu’il y a trop d’étrangers en France (66 %, + 2 points en un an), mais que réduire le nombre d’immigrés n’aurait pas de conséquence sur le chômage (59 %, + 2 points) et que les immigrés font des efforts pour s’intégrer en France (45 %, + 2 points par rapport à 2021).
Critique accrue des aides sociales
L’inquiétude face à la situation économique et sociale du pays a également comme conséquence une critique accrue vis-à-vis de certaines aides sociales : 63 % des répondants affirment ainsi que « l’on évolue vers trop d’assistanat ». C’est notamment le cas du parti présidentiel (77 %), des Républicains (87 %) et de l’extrême droite (76 % pour le RN, 86 % pour Reconquête !). Mais une forte proportion de sympathisants de gauche et des écologistes (30 % chez les « insoumis » et les communistes, 39 % chez les Verts et 48 % chez les socialistes) pense la même chose.
De même, le sentiment que les chômeurs « pourraient trouver du travail s’ils le voulaient » progresse (67 %, un plus haut depuis 2013), y compris à gauche (39 % pour les « insoumis » et les communistes, 49 % chez les écologistes et 56 % chez les socialistes). Et, en termes de catégories socioprofessionnelles, 70 % des ouvriers et 66 % des employés partagent cet avis. Des chiffres qui donnent raison à Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, et à François Ruffin, député (LFI) de la Somme, qui entendent mettre en avant une « gauche du travail » pour reconquérir les classes populaires.
Pas question, pour autant, de demander des politiques plus libérales : la protection des salariés est ainsi préférée (49 %) à plus de flexibilité du marché du travail (39 %). Et une majorité (55 %) souhaite également un Etat interventionniste pour relancer la croissance. Là encore, des résultats nuancés qui traduisent une demande d’équilibre entre droits et devoirs.
Sondage Ipsos - Sopra Steria pour « Le Monde », la Fondation Jean Jaurès, l’Institut Montaigne et le Cevipof, effectué par Internet du 16 au 20 septembre selon la méthode des quotas, auprès de 12 044 personnes âgées de 18 ans et plus.
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