par Un collectif Inter hôpitaux publié le 3 décembre 2021
TRIBUNE
C’était un appel, lancé il y a deux ans, – que Libération avait relayé–, annonçant la démission prochaine de plus de 1 000 chefs de service en raison de la situation de crise que vivait le monde hospitalier. Une annonce historique. Jamais les médecins des hôpitaux n’avaient engagé un tel bras de fer pour protester contre les difficultés qui les assaillaient jour après jour. Deux ans plus tard, ils remontent au créneau, pour pointer un hôpital public qui s’effondre, faute de moyens suffisants mais aussi avec un personnel soignant et médical qui commencent à déserter ces lieux de soins. Et pourtant, le Ségur est passé par là. Et le Covid plane toujours, telle une menace supplémentaire. A l’appel du même Collectif Inter hospitaux, ils sont plusieurs centaines de chefs de service à repartir en lutte. Ils appellent ci-dessous à une mobilisation générale pour ce samedi 4 décembre. Et à un plan de toutes urgences. E.F.
L’appel au secours de 2020
En janvier 2020, avant le Covid, il y a bientôt deux ans, nous étions plus de 1 000 chef·fe·s de services et d’unités fonctionnelles à démissionner de nos responsabilités administratives dans les hôpitaux publics, et ce dans toute la France. Ce mouvement collectif inédit répondait au constat que «la dégradation des conditions de travail des professionnels est telle qu’elle remet en cause la qualité des soins et menace la sécurité des patients» comme nous l’avions expliqué dans notre courrier à Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé.
C’était un appel au secours vers les décideurs politiques qui, s’il a marqué les esprits, a vite été submergé par la vague du Covid-19. Alors que nous avons travaillé sans protection et dans l’incertitude sur les risques encourus par nos équipes et nos proches, face à ce virus, nous avons aussi entrevu le fonctionnement désirable de tout hôpital public : une organisation dévolue aux soins, organisée par les soignants de terrain, soutenue par les administratifs, sans critère de rentabilité. Au plus fort de cette première vague, les soignants étaient applaudis tous les soirs à 20 heures et le président de la République déclarait «la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché». Et beaucoup d’entre nous ont cru, naïvement, qu’il y aurait vraiment «un monde d’après», avec un hôpital public libéré de la logique de l’hôpital entreprise et de la tarification à l’activité, synonymes de perte de sens dans notre travail au quotidien.
L’obligation de trier, hiérarchiser et déprogrammer
Actuellement, le constat sur le terrain est terrible et douloureux. L’hôpital n’offre plus un accès à des soins de qualité pour tous à tout moment : des lits sont fermés, des interventions chirurgicales sont reportées, des services d’urgences sont fermés régulièrement pour une nuit, un week-end ou plus par manque de personnel médical ou paramédical. Ceci nous oblige à trier les urgences, à hiérarchiser, à déprogrammer les patients : ce n’est plus acceptable. Bien sûr, il y a eu le Ségur qui a permis principalement des revalorisations salariales qui, bien que non négligeables, ne nous permettent pas de rattraper le niveau de salaires de nos voisins allemands, espagnols, suisses, belges… Mais la gouvernance et le mode de financement de l’hôpital public n’ont pas été modifiés, nous sommes revenus à l’anormal. Le directeur est toujours le seul maître à bord de cet hôpital-entreprise qui doit se financer par l’activité quelles que soient sa pertinence et sa qualité. La réalité s’impose : nous n’arrivons pas à recruter, et les professionnels fuient l’hôpital public, voire le soin : 30 % des postes de médecins sont vacants et un très grand nombre de lits sont fermés sur tout le territoire du fait du manque de personnel. Quand nous avons démissionné de nos chefferies, quand nous nous sommes donnés corps et âme dans la première vague du Covid, nous étions encore fiers de travailler, d’appartenir à l’hôpital public. Mais aujourd’hui, comment expliquer à nos patients les manques quotidiens de lits, de personnels, les délais insupportables de consultation, les reports de chirurgie… et au final la déshumanisation de notre hôpital ?
Malheureusement notre constat de janvier 2020, que «la dégradation des conditions de travail des professionnels est telle qu’elle remet en cause la qualité des soins et menace la sécurité des patients», est plus que jamais d’actualité. Cependant, nous restons persuadés que la population de ce pays est attachée à l’hôpital public, socle de notre pacte républicain. Nous allons continuer dans les prochaines semaines à alerter sur ce qui se passe dans nos services hospitaliers et à faire des propositions de mesures urgentes pour l’hôpital public.
En premier lieu, il faut écouter les soignants et les soignés, remettre de l’humain, changer de paradigme pour redonner du sens à notre métier ! Cet appel n’a pas pour objet la défense de revendications corporatistes ou catégorielles. Nous demandons un plan d’urgence pour l’hôpital public et un débat politique et démocratique sur l’avenir de notre système public de santé. Nous avons besoin du soutien de tous et appelons à une mobilisation citoyenne pour l’hôpital public. Venez à nos côtés, défendre ce plan d’urgence pour l’hôpital public à Paris et dans nombreuses régions le samedi 4 décembre 2021 (1).
(1) Mobilisation à l’initiative des comités de défense des Hôpitaux Nord Mayenne et Bichat-Beaujon et rejointe par de nombreux collectifs et syndicats.
Parmi les signataires : Ratmuncho Arotcarena, hépato-gastro-entérologue à Pau, Olivier Brissaud, pédiatre à Bordeaux, Laurence Gembara, psychiatre à Clermont-Ferrand, Michel Girard, chirurgien ORL au Mans, Agnès Hartemann,diabétologue à Paris, Jean-Luc Jouve, chirurgien pédiatrique à Marseille, Joëlle Laugier, addictologue à Saint-Denis, Philippe Liverneaux, chirurgien de la main à Strasbourg, Sandrine Picot,bactériologiste à La Réunion, Cécile Vigneau, néphrologue à Rennes… Voir la liste complète des signataires.
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