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samedi 4 décembre 2021

Présidentielle : l’hôpital dans la salle d’attente

par Lilian Alemagna et Anaïs Moran  publié le 3 décembre 2021

Les soignants sont de retour dans la rue ce samedi pour réclamer un plan d’urgence, dans un contexte politique où les candidats tardent à s’emparer de la question des établissements publics de santé.

Assiste-t-on à une séquence inédite de la crise hospitalière ? Surmené depuis dix-huit mois par la lessiveuse Covid-19, menacé par une cinquième vague, piégé dans des dysfonctionnements enracinés de longue date, jamais l’hôpital public n’a semblé aussi proche de la rupture. Son personnel, toutes spécialités confondues, est au bord de l’implosion. Après les grandes mobilisations de 2019 et le mouvement post-première vague à l’été 2020, ces derniers retournent dans la rue ce samedi un peu partout en France, portés par 80 syndicats, collectifs, associations et partis politiques, pour appeler au secours et réclamer un «plan d’urgence» face à la «désintégration» de leur institution. Comme un élan de la dernière chance, une ultime lutte dans l’espoir d’être enfin entendus et d’imposer la santé comme thème central de l’agenda politique à l’heure de la campagne présidentielle. «Notre système s’effondre sous nos yeux et tout le monde regarde ailleurs, juge Yasmina Kettal, infirmière en addictologie dans un établissement de Seine-Saint-Denis et syndiquée à SUD. Quel chiffre, quel taux de fermetures de lits, quelle situation paraîtra assez ignoble pour qu’enfin, collectivement, on se pose la question de ce qu’on est en train de faire à notre hôpital ? Ce n’est pas une indignation de plus. On vit un moment clé qu’il faut renverser avant le point de non-retour. En croisant les doigts pour qu’il ne soit pas déjà franchi.»

Choc d’attractivité, amélioration des conditions de travail, recrutement massif, vaste plan de formation, réouverture des lits, arrêt du management basé sur la rentabilité : les revendications d’aujourd’hui n’ont pas bougé vis-à-vis de celles d’hier. Seul le contexte change, plus sombre encore, avec une fuite déroutante du personnel, un absentéisme record et des structures qui se délitent. «L’hôpital est fatigué, épuisé. Et je suis effarée de voir […] que dans le discours des candidats à la présidence de la République il n’y a, actuellement, aucun mot pour la santé, interpellait déjà l’infectiologue Karine Lacombe, le 9 novembre sur France Inter. On parle de sécurité, d’immigration, alors que ce qui nous a touchés intimement, profondément, chaque minute des dix-huit mois qui se sont passés, c’est un problème de santé. Il faut vraiment recentrer le débat. C’est incompréhensible.»

«L’accès au soin», préoccupation première des Français

Dans les enquêtes d’opinion, la santé arrive pourtant en tête des préoccupations des Français. C’est, par exemple, le sujet principal de mobilisation selon les deux premiers baromètres présidentiels de BVA pour RTL et Orange. Plus de deux personnes interrogées sur trois assurent que ce thème comptera «beaucoup» dans leur choix d’aller voter. Dans un récent sondage d’Odoxa pour Europe 1, la santé est aussi jugée, derrière le pouvoir d’achat, comme un des «grands domaines […] qui compteront le plus dans [le] vote à l’élection présidentielle». Avec une nuance majeure : «Le sujet de l’hôpital public n’est pas, en soi, une préoccupation première, mais l’accès aux soins oui, notamment le sujet des déserts médicaux»,observe Jean-Daniel Lévy, directeur délégué de Harris Interactive France. «C’est pour ça qu’il faut continuer de faire entendre notre voix. Pour que tout le monde prenne conscience que notre système hospitalier n’est pas un acquis à vie. Qu’on doit collectivement se battre pour exiger de le sauver. Il nous faut un sursaut, c’est vital»,exprime Yasmina Kettal.

Face à la souffrance des soignants, l’entourage du Président, interrogé par Libé et conscient de l’insuffisance du Ségur de la santé, promet de faire «beaucoup plus» que les 27 milliards d’euros déjà engagés par cet accord signé à l’été 2020 (8 milliards de revalorisation salariale et 19 milliards d’investissements). «On a un vrai sujet d’attractivité de ces métiers», concède-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat, sans plus de précisions sur le programme en cours de réflexion. «Je suis assez circonspect sur leur volonté politique d’apporter une réponse à la hauteur de l’enjeu», lâche Pascal Berna, ex-chef du service de chirurgie thoracique au CHU d’Amiens, qui s’est mis en disponibilité en septembre après la «déception de trop» symbolisée par le Ségur de la santé. «Cette consultation et les mesures qui en ont résulté sont une vaste blague et une forme de mépris pour nous. Toute l’année 2021, j’ai bien vu que cela n’avait rien changé, développe-t-il. Je faisais toujours 20 % de mon travail de médecin, et 80 % d’administratif pour que le service garde la tête hors de l’eau. Mon quotidien c’était réclamer du matériel de base, justifier chaque dépense, régler les conflits de places et de priorité au bloc opératoire, batailler pour conserver le même nombre de personnel.» Pascal Berna travaille actuellement dans une clinique privée, «redécouvre sa mission», en opérant davantage ainsi qu’en renouant le lien avec ses patients et leurs familles : «Notre hôpital public est devenu une machine économique infernale. Sans renversement majeur du modèle de son fonctionnement, il mourra.»

«C’est de l’enfumage»

Pour répondre à ce délabrement en cours, qu’envisagent les candidats à la présidentielle ? La socialiste Anne Hidalgo promet notamment de «revaloriser les salaires dans “les métiers du soin”»,de revenir sur la fermeture des 5 700 lits d’hôpitaux et de «faire sauter complètement le numerus clausus» à l’entrée des universités. Même si le gouvernement a annoncé sa suppression, les places restent limitées, car fixées par les universités en fonction de leur capacité d’accueil. Lors d’un déplacement dans la Drôme, la maire de Paris a également proposé de supprimer les agences régionales de santé, «devenues des agences comptables» qui «ne sont là que pour contenir des dépenses». Chez Jean-Luc Mélenchon, on propose aussi une augmentation des salaires et un «plan pluriannuel de recrutement». Propositions du même ordre pour l’écologiste Yannick Jadot, qui insiste sur la nécessité de mettre un terme à la tarification à l’activité et aux fermetures de lits.

A droite, l’avenir du système de santé a occupé peu de place dans les débats de la primaire des Républicains. Seul le dernier, sur France 2, a accordé un temps correct (une dizaine de minutes) au sujet. Finaliste du second tour de l’investiture, Valérie Pécresse propose le recrutement de «25 000 soignants en cinq ans» pour l’hôpital public, un «droit au logement prioritaire» à destination de ces derniers, et souhaite lancer d’énièmes «états généraux de la santé». Son adversaire, Eric Ciotti, dit vouloir «plus de soignants»,moins de «fonctionnaires administratifs», et des «directeurs d’hôpitaux qui soient des médecins». De grands mots, comme ceux de la candidate d’extrême droite, Marine Le Pen, qui a certifié qu’elle «rebâtirait l’hôpital public», lors d’un déplacement à Mulhouse début novembre.

«Tout le monde clame détenir la solution magique mais personne ne dit comment tout cela va être payé. C’est de l’enfumage et les soignants ne sont pas dupes, cingle Stéphane Dauger, chef du service de réanimation pédiatrique de l’hôpital parisien Robert-Debré. On n’arrête pas de nous dire “de quoi vous vous plaignez, on vient de vous libérer 8 milliards rien que pour la valorisation des salaires avec le Ségur”. D’accord, mais est-ce que c’est suffisant pour offrir un salaire décent à nos paramédicaux ? Non, évidemment, puisque l’attractivité ne revient pas. Donc s’il faut doubler la mise, doublons la mise. Et si la sphère politique ne veut pas faire cet effort, qu’elle l’assume de manière transparente au lieu de faire des promesses intenables.» Dans son service comme ailleurs, le moral est en berne. Et les conflits avec les directions de plus en plus électrisants. Convié par l’AP-HP, comme chaque rentrée, à une journée de présentation de sa spécialité pour attirer les soignants, Stéphane Dauger a cette fois-ci décliné. «Vous voudriez que je vienne une nouvelle fois avec mon équipe médicale promouvoir le travail en réanimation pédiatrique avec ce type de reconnaissance des personnels qui s’y investissent ? écrivait-il dans un mail consulté parLibé, quelques semaines avant l’évènement. Ça ne va pas être possible de venir mentir en direct à des collègues motivées en leur cachant ce que va être effectivement leur activité sur le terrain. Ce sera donc sans nous, sauf si un changement institutionnel réel et profond s’opère rapidement.» Toute son équipe manifestera ce samedi.


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