par Eric Favereau publié le 7 décembre 2021
Peut-être encore plus aujourd’hui qu’hier, il vaut mieux ne pas être gros, et surtout ne pas trop avoir besoin de la médecine. «Il traîne toujours cette idée que l’obésité est une maladie de la volonté», lâche Sylvie Benkemoun, psychologue et organisatrice du congrès fin novembre de l’association Gros (Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids), au cours duquel une table ronde sur le thème «Faut-il maigrir pour être soigné ?» était organisée. Et la psychologue d’ajouter avec force : «Le Covid n’a pas arrangé cet air du temps, bien au contraire. Cela nous a stigmatisés un peu plus. On était, nous les gros, en première ligne, et comme il se dit que c’est un peu de notre faute, que l’on n’a qu’à maigrir… Bref, on ne fait pas ce qu’il faut. Encore notre faute. On le ressent fort : l’ambiance est lourde, et la recherche des boucs émissaires reste tenace.»
Le constat est un rien désespérant. Tatiana, 45 ans, atteinte d’un diabète de type 1, a ainsi raconté son parcours de combattant pour pouvoir bénéficier d’une aide à la procréation. Ce fut un cauchemar solitaire. «J’ai eu le sentiment d’être jugée, tout le temps, comme si je n’avais pas été capable de remédier à mon problème de poids», témoigne-t-elle. «Quand je suis arrivée à la première consultation, on m’a demandé de perdre 34 kilos sur huit mois pour avoir la PMA. Il fallait que je me presse. L’âge limite était 42 ans. Ma motivation était grande, je me suis inscrite dans une salle de sport spécialisée, avec un régime précis. Ce fut difficile, avec une période de hauts et de bas. Et j’ai réussi à perdre 22 kilos à la date fixée pour la consultation. Auparavant, j’avais passé une batterie d’examens gynécologiques, tout allait bien, mais j’avais un peu d’hypertension, et de fait, personne ne coordonnait mes soins…» lâche-t-elle. «J’étais prête, et le jour dit, quand mon dossier est passé, cela a été un refus. Le gynécologue ne me l’a même pas dit, ce fut mon diabétologue.» Elle ajoute : «Je me suis sentie comme un dossier, je subissais une forme subtile d’humiliation parce que l’accent a été toujours mis sur mon poids, on ne m’a parlé que des aspects négatifs, jamais on ne m’a encouragé.» Et de conclure ainsi : «Ce fut vraiment une expérience douloureuse, j’aurais aimé qu’un médecin simplement m’écoute, coordonne mon projet, que ce projet soit une construction commune, et non un moment de jugement.»
«Une confiance à regagner»
On est encore loin de cette prise en charge copartagée dont rêve Tatiana. Lors de cette table ronde, le professeur Jacky Nizard, gynécologue-obstétricien à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, a certes détaillé les progrès, mais aussi les inégalités qui subsistent autour des grossesses des femmes obèses. «Cela ne s’improvise pas», nous explique-t-il. «Avec l’obésité, il y a des risques, il faut aller vers une professionnalisation de la prise en charge, non seulement de l’accouchement mais aussi de la grossesse. Comme nous sommes une maternité de référence, on reçoit parfois des femmes trop tard dans leur grossesse.» «Il faut des équipements particuliers», détaille-t-il, «comme des tables d’accouchements ou des blocs opératoires. De même pour la péridurale, ce n’est pas pareil. Il faut une compétence particulière, et chaque geste est parfois plus compliqué. On ne fait bien que ce que l’on connaît», tranche-t-il. Voilà pour la technique. Pour le reste, cet obstétricien reconnaît que le climat n’est pas tolérant. «On reçoit beaucoup de femmes en larmes, tant elles ont été humiliées avant dans leur grossesse. On les traitait parfois d’inconscientes. C’est toute une confiance à regagner», lâche-t-il. Et de déplorer l’absence de recommandations officielles sur la prise en charge des grossesses de femmes en surpoids.
Le cardiologue Patrick Aeberhard, longtemps en charge de la rééducation cardiologique au centre cardiologique du Nord à Saint Denis, l’a également constaté dans sa pratique : «Il y a une discrimination dans le choix des thérapeutiques entre les femmes obèses et les femmes en général.» Il cite ainsi un exemple impressionnant : «On propose de la réadaptation cardiaque à à peine une femme en surpoids sur dix, et cela à partir de mauvaises raisons. Par exemple, qu’elles ne se seraient pas capables de suivre le parcours. Tout cela est faux, tout cela repose sur des préjugés», déplore le professionnel.
Au final, cette discrimination n’est pas sans conséquence clinique. «Ce qui est grave, conclut ainsi Sylvie Benkemoun, c’est que de nombreuses personnes renoncent ainsi à se soigner. Le poids est vu comme le problème à résoudre et par conséquent, perdre du poids est présenté comme la solution.» Or, relève la psychologue, «la perte de poids n’est pas une obligation pour nombre de soins (diabétologie, chirurgie bariatrique, etc.). Elle peut même être dangereuse si elle est effectuée sans suivi, sans coordination entre praticiens et sans prise en compte de l’état de santé du patient.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire