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mardi 7 décembre 2021

La précarité étudiante, reflet d’un modèle d’aides à bout de souffle

Par    Publié le 7 décembre 2021

Les images des longues files d’étudiants ou de jeunes actifs dans les distributions alimentaires ont rendu visible la paupérisation d’une partie de cette population, phénomène grandissant depuis plus de quinze ans.

Il est à peine 17 heures et les tables de l’aide alimentaire ont été déjà presque entièrement vidées. « Pour ceux qui arriveront après leurs cours, ça sera le désert de Gobi », se désole Chantal, bénévole des Restos du cœur, qui organisent, chaque jeudi, une distribution à destination d’un public de moins de 30 ans au Quartier jeunes, place du Louvre, à Paris. Une soixantaine de jeunes se sont déjà pressés dans la salle de cet espace ouvert en octobre par la Mairie de Paris, pour remplir leurs cabas de yaourts, boîtes de conserves, œufs frais – et de quelques maigres légumes du jour : denrées trop chères pour ces étudiants, la majorité des bénéficiaires, ils sont partis en un rien de temps.

« Quand on n’a que 350 euros pour vivre, on n’achète que le minimum : ce qui bourre le ventre, des nouilles ou du riz », constate la bénévole. L’essentiel des repas de Hamery de Melo, 23 ans, qui attend dans le fond de la salle pour s’inscrire. Etudiant en école de commerce, il vient d’être remercié par l’agence de photo qui l’employait en alternance, et a perdu sa seule source de revenus – 823 euros mensuels. « Un matin, sans raison, ils m’ont dit : “tu peux t’en aller”, raconte-t-il. Je ne sais pas comment faire pour les factures. » En septembre, Hamery avait déjà réduit ses repas pour payer la caution de son studio – un 17m² à 550 euros. Sa mère, accompagnante d’élèves en situation de handicap, seule avec la charge de ses trois frères et sœurs, ne peut pas beaucoup l’aider, alors, le peu qu’il lui reste, il le garde désormais pour le loyer.

A l’une des nombreuses distributions alimentaires organisées par les Restos du cœur à destination des jeunes, à Paris, le 25 novembre 2021. Il est 16h53, les stocks de légumes et de fruits frais sont entièrement vides.

« Avec le Covid qui reprend, mes employeurs voyaient revenir le télétravail et l’obligation de me fournir un ordinateur, etc. », pense l’étudiant. Déjà en 2020, en pleine crise pandémique, il avait dû faire « une année blanche » faute d’avoir pu trouver une alternance. Aujourd’hui, il doit chercher à nouveau un employeur : il ne peut pas payer les 10 000 euros de frais de scolarité de son école, dont s’acquitte l’entreprise dans le cas d’une alternance. Les histoires comme celle d’Hamery, symbole d’une jeunesse déjà fragile et percutée par le prolongement de la crise sanitaire, affluent dans ce point de distribution. Premiers à pâtir du moindre revirement, les jeunes constituent désormais la moitié des personnes aidées par les Restos du cœur.

« Submergés de demandes »

Malgré la reprise économique de la rentrée, les distributions alimentaires ne désemplissent pas. Face visible du phénomène, ces images d’interminables files d’étudiants qui attendent un panier-repas ont particulièrement frappé à l’étranger et dans l’opinion publique. « Elles ont révélé des poches de pauvreté qui s’étendent depuis des années au sein de la jeunesse : chez une partie des jeunes abandonnés par divers dispositifs de protection sociale et chez toute une frange des étudiants », souligne le sociologue Camille Peugny, auteur de Pour une politique de la jeunesse (Seuil-République, 128 pages, 11,80 euros), à paraître en janvier.

Samuel, 41 ans, gardien d’immeuble et bénévole (à droite) propose des produits d’hygiène à Anastasia, 23 ans, étudiante en lettres à la Sorbonne. A Paris, le 25 novembre 2021.

« On est submergés de demandes », alerte Camille Fiocconi, responsable du lieu, où la liste d’une centaine de bénéficiaires s’allonge chaque jeudi de nouveaux inscrits. Comme Hayet Amir, étudiante algérienne en master de 21 ans, venue avec une copine, dont le frigo était vide et qui ne cache pas sa gratitude devant ses deux sacs remplis de nourriture et de serviettes hygiéniques. Son job de préparatrice de plats à emporter lui permet à peine de couvrir le prix de sa chambre chez l’habitant et le reste de ses charges. Sur le pas de la porte, Cyrianne Achiyao, assistante de vie de 21 ans, en litige avec son patron qui ne la paye plus depuis trois mois, confie, elle, avoir « perdu plusieurs kilos ». Elle ne mange plus à sa faim.

Sur l’année 2020-2021, un quart des étudiants ont déclaré des difficultés financières importantes : une embellie par rapport au premier confinement, mais une dégradation de quatre points par rapport à 2019-2020, montre l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) dans sa dernière enquête, publiée en novembre. « Les revenus issus du travail, dont dépendent une grande partie des étudiants, restent fragiles », explique la présidente de l’OVE, Monique Ronzeau. La part d’étudiants exerçant un emploi est ainsi passée de 46 % avant le Covid-19 à 37 % aujourd’hui.

Mais au-delà des difficultés dues à la crise, ces situations reflètent « le mouvement continu de massification dans l’enseignement, qui amène sur les bancs de la fac une population issue de milieux plus populaires, ne pouvant pas mobiliser de l’aide familiale », analyse Camille Peugny. Les données manquent sur les étudiants, puisque seuls ceux qui vivent encore chez leurs parents sont pris en compte dans les statistiques de l’Insee. « La dernière étude sur les jeunes qui vivent seuls, qui date de 2014, indiquait toutefois que la moitié devait se débrouiller avec moins de 939 euros par mois, aides comprises, et moins de 365 euros pour les 10 % les plus pauvres », pointe Anne Brunner, directrice d’étude à l’Observatoire des inégalités.

Arnold, 26 ans, étudiant et bénévole (à gauche) sert Hamery, 23 ans, étudiant, à Paris, le 25 novembre 2021.

« Tranche d’âge la plus précaire »

L’OVE identifie deux profils particulièrement touchés par la précarité : les étudiants étrangers, loin de leur famille, et les étudiants les plus âgés (26 ans et plus), censés être plus indépendants. Les difficultés rencontrées par nombre de ces jeunes sont symptomatiques d’un modèle français qui repose en grande partie sur la solidarité familiale, facteur de vulnérabilité quand cette aide ne peut être fournie. « Aux yeux de l’Etat, les jeunes sont avant tout les enfants de leurs parents, sur le modèle des pays du Sud, explique Camille Peugny. Mais il y a ce paradoxe en France où l’injonction à l’autonomie devient aussi de plus en plus forte. Sans les aides sociales pour la soutenir. »

Pour les jeunes de 18 à 29 ans qui ne sont pas ou plus en études, la situation est aussi très critique. « C’est la tranche d’âge la plus précaire et pour laquelle la pauvreté a le plus progressé sur quinze ans. Plus de 12 % vivent sous le seuil de pauvreté, placé à 50 % du niveau de vie médian, c’est-à-dire avec moins de 900 euros par mois », indique Anne Brunner. Si bien qu’aujourd’hui, plus on est jeune, plus on a de risque d’être pauvre.

La jeunesse a subi de plein fouet les phénomènes d’augmentation du chômage et de précarisation du travail. « Un jeune travailleur de moins de 25 ans a un risque sur deux d’être en emploi précaire, et ce surtout s’il a un bas niveau de diplôme, le principal facteur d’inégalité au sein de la jeunesse », détaille Anne Brunner. Or, ces jeunes actifs de moins de 25 ans n’accèdent ni au revenu de solidarité active (RSA), ni bien souvent à une indemnité chômage « mal calibrée pour les débuts de carrière ».

Pour tous ces experts, la France ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion sur ses politiques vis-à-vis de la jeunesse. D’abord sur la question des bourses d’Etat, gérées par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous). « C’est un système protecteur pour ceux qui en bénéficient, constate Monique Ronzeau. Mais, avec la diversification de la population étudiante, les mailles du filet ne récupèrent pas un certain nombre de jeunes dans le besoin. » A l’association Co’p1, créée en 2020, qui fournit des repas à 850 étudiants par semaine à Paris, « seulement un quart des personnes qui sollicitent une aide est boursier », rapporte son cofondateur, Benjamin Flohic, « abasourdi » de l’ampleur de la demande en cette rentrée 2021.

« Des rustines »

Les montants des bourses, par ailleurs, restent faibles. Un étudiant dont les deux parents déclarent un revenu brut global de 40 000 euros par an (soit à peine plus que le smic) n’est éligible qu’à une bourse de niveau « 0 bis »… c’est-à-dire 120 euros mensuels, sur dix mois. Des mesures ont été prises durant la crise par le ministère de l’enseignement supérieur, comme la mise en place du repas universitaire à 1 euro (abandonné à la rentrée pour les non-boursiers) et d’aides financières exceptionnelles.

En septembre, la ministre, Frédérique Vidal, a également rappelé que les bourses avaient été revalorisées de 1 % en 2021, les frais d’inscription et les loyers des logements du Crous ont été gelés. Mais pour Monique Ronzeau, le système d’octroi des aides est trop peu lisible et une partie des étudiants ne s’est donc pas saisie des solutions d’urgence. « Il y a un émiettement des acteurs, qui ne permet pas d’élaborer une politique cohérente : il faut tout reposer à plat », estime-t-elle.

« Ces aides exceptionnelles ne sont que des rustines, et un symbole des trous dans la raquette de la protection sociale. A chaque crise, on est contraints d’improviser des mesures d’urgence sur un coin de table », regrette Camille Peugny, qui plaide pour une aide universelle à l’attention des jeunes, sur le modèle du Danemark. Annoncé en novembre, un « contrat d’engagement jeune », une aide pour les moins de 26 ans sans emploi ni formation pouvant aller jusqu’à 500 euros par mois, devrait entrer en vigueur en mars 2022.

Mais le dispositif est fortement contingenté, avec un nombre de bénéficiaires maximum fixé à 500 000, pour une aide sur un an seulement. L’enjeu de société est de taille, car les politiques mal ajustées à la jeunesse affectent sa confiance en la chose publique et la manière dont elle se projette dans l’avenir. Depuis le début de la crise sanitaire, indique l’OVE, la proportion d’étudiants estimant que leur vie sera meilleure que celle qu’ont menée leurs parents a chuté de 46 % à 27 %.


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