Par Jean-Baptiste Jacquin Publié le 7 décembre 2021
« Le Monde » a passé une journée avec les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation de Lyon. Entre contrôle et responsabilisation, la prévention de la récidive nécessite des arbitrages délicats.
« On va vous faire confiance ! » Laurence Zobel, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) à Lyon, sait qu’elle prend un risque face à ce jeune de 20 ans qui avoue continuer de fumer du cannabis quatre à cinq fois par jour. L’alarme du bracelet électronique a signalé un retour à son domicile à 23 h 19 la veille, bien au-delà de la limite de 19 heures fixée par le juge. Le jeune homme, cheveux mi-longs, le regard plus souvent fixé sur ses pieds que vers « sa » CPIP, dit avoir dû effectuer des heures supplémentaires sur un chantier pour l’entreprise de pose de panneaux solaires qui l’emploie.
Au juge de l’application des peines qui réclame une explication, par le biais du logiciel de suivi des incidents de bracelet, Mme Zobel écrit en réponse : « L’employeur de M. n’est pas au courant de la DDSE [détention à domicile sous surveillance électronique], je ne l’appelle pas. Mais je vérifierai sur la prochaine feuille de paie la réalité des heures supplémentaires. »
Faire respecter une décision de justice tout en favorisant la réinsertion d’un condamné pour limiter le risque de récidive nécessite de délicats arbitrages. Le jeune homme sait que s’il n’apporte pas la preuve de ces heures sup, le juge peut révoquer la mesure d’aménagement de peine sous bracelet et le renvoyer à la case prison.
Pour l’heure, Mme Zobel insiste sur les autres mesures inscrites dans le jugement, l’obligation de voir un addictologue et de faire des prises de sang régulières. « Vous allez me mettre en prison si je continue de fumer ? », interroge-t-il, content de lui. La conseillère lui demande de remplir d’ici au prochain rendez-vous dans un mois une « balance décisionnelle » à quatre entrées, avantages et inconvénients à arrêter et à continuer, afin d’avoir une base de discussion peut-être plus constructive.
« Le passage à l’acte est au cœur de notre intervention »
La mission des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) a évolué depuis dix ans vers la prévention de la récidive, au-delà du seul aspect réinsertion de ces personnes exécutant une condamnation pénale hors de la prison. Le référentiel des pratiques opérationnelles, généralisé depuis cinq ans, a introduit des outils d’analyse criminologique.
« Quand j’ai commencé il y a trente ans, on nous disait de ne jamais aborder avec le condamné son infraction. Aujourd’hui, le passage à l’acte est au cœur de notre intervention », explique Alain Montigny, le directeur du SPIP du Rhône. « Nous sommes convaincus que le suivi d’une personne en milieu ouvert sur le long cours l’aide davantage à changer qu’un séjour en prison », ajoute-t-il. Un travail largement ignoré.
Dans le département du Rhône, 4 400 personnes sont suivies par le SPIP en milieu ouvert dans le cadre d’une peine alternative à la prison (sursis probatoire, bracelet électronique, travail d’intérêt général, etc.) ou en aménagement de peine. C’est trois fois plus que le « milieu fermé » et ses 1 550 détenus.
Les modes de prise en charge ont évolué aussi. Les conseillers Fabien Gallini et Marie Pelletier viennent de sélectionner, à l’issue d’un processus de trois mois avec le psychologue du SPIP, dix hommes condamnés dans des affaires de pédocriminalité en ligne. A côté de l’entretien individuel (une fois par mois en moyenne) pendant toute la durée de la mesure, notamment pour contrôler les mesures probatoires (obligation de soin, de formation ou de travail, d’indemniser les parties civiles et rembourser les amendes, etc.), des séances collectives peuvent être organisées pour différents types d’infraction.
Ces hommes qui consultent des sites d’images ou de vidéos pédophiles sont entrés en contact avec des mineurs au moyen des réseaux sociaux. « On ne peut pas supprimer l’attirance qu’ils peuvent avoir pour des enfants », souligne M. Gallini. Le but de ces dix séances de deux heures, au rythme d’une toutes les deux semaines, est « de leur apprendre à vivre avec et de les aider à identifier les facteurs de passage à l’acte pour construire des stratégies d’évitement ». Contrairement à l’entretien en tête à tête avec un conseiller, ces séances collectives « permettent d’exprimer davantage de choses face à des personnes capables de les entendre sans les juger ».
Certains participants à ce groupe portent un bracelet en aménagement d’une fin de peine de prison, d’autres sont sous le coup d’un sursis probatoire de deux ans, certains ont un suivi sociojudiciaire qui peut aller jusqu’à dix ans. Tous ont par ailleurs une obligation de soin avec un psychiatre. « Mais tous les thérapeutes ne sont pas formés à la déviance pédophile, et leur métier n’est pas la prévention de la récidive », observe M. Gallini.
Des objectifs précis
Pendant ce temps, dans le box numéro 11 réservé aux entretiens individuels, Anne Del Puppo reçoit un jeune âgé de 23 ans qui vient de passer deux années en hôpital psychiatrique après sa sortie de prison. Il avait été condamné pour avoir participé, avec son père, au tabassage de sa mère sur fond de consommation de cannabis et d’héroïne. Il lui reste à exécuter un sursis avec mise à l’épreuve jusqu’en juin 2022. La conseillère lui impose un rendez-vous toutes les deux semaines.
La voix fluette de l’homme sous curatelle renforcée contraste avec son allure peu engageante. Il porte un treillis militaire recouvert d’un blouson noir, des gants et un masque chirurgical tout aussi noirs. Il est content de montrer les photos du logement qu’une association d’hébergement d’urgence lui a trouvé. Depuis sa sortie de l’hôpital en septembre, il était à l’hôtel. Il n’a pas le droit de rentrer chez lui. Le jeune homme se plaint de n’avoir que 50 euros par semaine par sa curatrice. Ça tombe bien, Mme Del Puppo l’informe qu’elle l’a contactée, le prochain rendez-vous sera à trois, afin que le rôle de chacun soit clair. « Il a tendance à prendre sa curatrice pour la banque, or dans six mois je disparais de son paysage, il faut établir une relation de confiance avec elle »,explique la conseillère en aparté.
Les objectifs qu’elle fixe pour les deux semaines à venir à ce jeune sous traitement sont modestes mais précis : honorer le rendez-vous avec le psychiatre et se rendre à un entretien à l’association Messidor, qui propose quelques heures de travail par jour pour des personnes souffrant de troubles psychiques.
Parfois, le suivi est beaucoup plus lâche. Ce vendredi de novembre, la première personne convoquée pour la pose d’un bracelet électronique apprend qu’aucune convocation ne lui sera adressée au cours de sa peine de six mois. Basile Dupuy, le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation de permanence, lui explique avoir examiné son dossier dans le cadre du programme « COP » (pour courtes peines) élaboré à Lyon. Pour les mesures inférieures à six mois, le temps de la prise en charge est jugé trop court pour être pertinent. Sauf pour les personnes dont le profil criminologique, en particulier en cas de récidive, est jugé plus à risque.
Dispositif de réduction de peines
Dans son cas, on peut même se demander le sens que peut avoir cette peine. Les faits qui justifient cette DDSE de six mois, une affaire de défaut de permis et de refus d’obtempérer, remontent à 2011… L’homme était en prison en 2016 pour une autre affaire lorsqu’il a été jugé, en son absence, pour ces faits. La justice ne savait pas où il était… Et lui n’était pas informé de cette convocation au tribunal.
« Qui dit que les sanctions pénales ne sont pas exécutées ? »,interroge, un peu gêné, M. Dupuy. Des surveillants pénitentiaires vont aller chez cet homme un peu plus tard dans la matinée pour installer un boîtier connecté avec les données périmétriques de son domicile, afin de s’assurer qu’il respecte les horaires de sorties, limités au créneau 8 heures-18 heures.
« Maintenant, je suis marié, je veux en finir avec ce truc de 2011 », dit l’homme, qui a un emploi de cariste. « Vous n’avez pas eu de condamnation depuis 2016, on va vous laisser exécuter cette peine en vous permettant de continuer de travailler et de vivre votre vie de famille », le rassure le conseiller. Il lui explique qu’avec le dispositif de réduction de peines, le même que s’il était en prison, sa peine pourra être écourtée de deux mois et demi.
« Mais attention, vous devez respecter les deux obligations du jugement : le travail et le paiement des amendes. » Il enverra donc chaque mois ses bulletins de paie et ses avis de virement de 50 euros au Trésor public. Et pour adapter les horaires du bracelet à son emploi, M. Dupuy élargit le créneau à 6 heures-19 heures, sauf les week-ends. « Franchement, c’est nickel, je vous remercie »,dit le « condamné » en sortant.
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