Par Laurie Moniez Publié le 01 décembre 2021
Cette nouvelle formation proposée par l’institut d’études politiques lillois aborde les questions sociétales, les enjeux environnementaux et les relations internationales à travers le prisme de l’alimentation.
Benoît Lengaigne, maître de conférences en sciences économiques, aime raconter la réaction des étudiants de Sciences Po Lille lorsqu’il leur a présenté le nouveau master « boire, manger, vivre » (« BMV ») : un « éclat de rire général »… suivi d’un tonnerre d’applaudissements. Depuis, dans les couloirs de l’établissement, les 15 étudiants sélectionnés, sur les 70 candidatures pour cette première promotion, sont jalousés par leurs autres camarades de master. « On s’est lancés dans cette majeure sans savoir ce qui allait y avoir dedans, mais c’est passionnant, confie Clémence Ricart, étudiante ambassadrice du master BMV. Je mange, je dors, je bois BMV. C’est un master qui nous réunit par une passion : le monde de la gastronomie et de la food. »
Avec un enthousiasme communicatif, ses camarades ajoutent : « Avec l’urgence climatique, l’alimentation va être au cœur des enjeux mondiaux. » Les projets de mémoires des étudiants lillois sont d’ailleurs ancrés dans la société de demain : l’aquaculture comme réponse éventuelle à la surpêche, le pouvoir des labels bio, la viande végétale, etc. Au-delà de l’intitulé peu académique de ce master, c’est bien l’ADN de Sciences Po que l’on retrouve dans cette formation. Histoire de l’agriculture et de l’alimentation, sécurité alimentaire dans l’Union européenne, politiques agricoles, stratégie des industries agroalimentaires…
« BMV, ce n’est ni le guide Michelin ni le BDE [bureau des étudiants]en goguette, prévient Benoît Lengaigne, qui fut directeur de Sciences Po Lille de 2015 à 2019. J’ai voulu aborder l’alimentation comme un fait social général. » En plaçant l’alimentation au cœur de sa maquette pédagogique, cet économiste, qui a grandi dans l’entreprise familiale de négoce de vins à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), voulait aborder les thèmes liés aux nouvelles manières de produire, de consommer, de préserver et d’échanger les nourritures. Tout cela dans une perspective internationale. « Pour des élèves de 20 ans, c’est l’un des meilleurs moyens d’allumer leur flamme pour qu’ils aient envie de changer ou de sauver le monde à travers leur futur métier », avance celui qui prépare ses étudiants aux métiers du tourisme liés aux productions agricoles et viticoles, des arts gastronomes, des innovations sur les produits et la distribution de l’alimentation (foodtech), mais aussi aux fonctions de management et d’expertise dans les domaines alimentaires ou vitivinicoles.
« Gastro-diplomatie » et umami
Dans son cours sur les « nourritures terrestres », Benoît Lengaigne aborde la « gastro-diplomatie », l’aide alimentaire en France, la foodtech, ou encore le sexisme en cuisine. Mais le master BMV innove aussi sur la forme, notamment à travers le cours d’actualité. Une fois par semaine, trois débats sont organisés à l’image des plateaux de l’émission télé « C’est dans l’air », sur France 5. Sur leurs chaises à roulettes à pupitre intégré, les étudiants se rangent en cercle autour de quatre camarades. L’un joue le rôle du journaliste animateur de débat, les trois autres endossent le rôle de personnalités comme, ce jour-là, les dirigeants des plates-formes de livraisons de repas Uber Eats, Deliveroo et Just Eat. On y parle conditions de travail, entrée en bourse, modèles de société. La précarisation du marché de l’emploi dans le secteur de la livraison est un sujet éminemment politique et les étudiants, contraints de défendre les positions de leurs personnages, sont chargés d’argumenter en ce sens. Tous se sont préparés grâce à des articles, podcasts ou documents envoyés en amont par Benoît Lengaigne. Et tout est chronométré pour permettre au public – les autres étudiants – de poser des questions et enrichir la thématique abordée à la fin du débat. C’est dynamique, interactif et, surtout, cela permet aux jeunes de s’emparer avec passion d’enjeux très actuels.
Parallèlement, les étudiants invitent leurs camarades des autres masters à des conférences atypiques, comme celle de Fabrizio Bucella, professeur à l’Université libre de Bruxelles, docteur en sciences et sommelier, sur « l’umami et les secrets de cette cinquième saveur ». Ou encore celle de Dajo Aertssen, vice-champion du monde de dégustation de café et lillois d’adoption, venu décortiquer cette question : « Qu’est-ce qu’un bon café ? »« Ici, on propose de faire les choses sérieusement, sans se prendre au sérieux », plaisante Pierre Mathiot, directeur de l’établissement lillois.
En ce mois de novembre, les étudiants du master BMV approchent déjà des entreprises en vue de réaliser, l’année prochaine, leur année de master 2 en alternance. « Au tout début, on s’est demandé si nos futurs employeurs allaient rire en voyant l’intitulé “boire, manger, vivre” sur notre CV. Mais là, au vu des premiers retours des professionnels, on est convaincus que ça va fonctionner », explique un élève de la première promotion d’étudiants de BMV. En cette année 2021, déclarée par Emmanuel Macron « année de la gastronomie française », plusieurs grands noms de l’agroalimentaire se sont déjà positionnés pour accueillir ces étudiants.
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