par Clélia Cohen le 26 novembre 2021
Trois triplées adultes déboulent chez leur mère de 70 ans qui vient de se rendre compte qu’elle est… enceinte. A partir de ce point de départ un peu foufou, Valérie Donzelli déroule un conte familialo-féminin, à la fois profond et drôle. Quand elle réfléchissait à la série avec sa coscénariste Clémence Madeleine-Perdrillat (Ovnis(s), la saison 2 d’En thérapie), la cinéaste cherchait un moyen de réunir trois filles quadras chez leur mère autre que la maladie, trop triste. Repensant au film de Jacques Demy l’Evénement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune (1973), où Marcello Mastroianni se retrouve enceint, lui est venue cette idée d’une grossesse à 70 ans, redoublant ainsi d’une méditation sur la maternité un désir de fiction qui tournait autour de réflexions sur la filiation, la fratrie au féminin (il n’existe pas de mot pour la désigner) et les multiples constructions identitaires possibles avec une même génitrice.
Présenté comme ça, cela semble plutôt sérieux mais c’est sans compter avec la patte Donzelli et son goût pour la fantaisie à tous les étages, et pour un univers qui brouille les pistes et les conventions : en vrac, une fille qui s’appelle George, un sage-femme homme qui aime en allemand, des chansons qui s’invitent au détour d’une scène, un homonyme d’André Breton, des coups de foudre au ralenti, des personnages qui disparaissent de l’image sur un claquement de doigts… Valérie Donzelli s’assume en Mary Poppins du langage visuel, sa série est truffée de trouvailles colorées et ludiques et d’une liberté à toute épreuve. On reconnaît là le style et certains motifs de son cinéma (de la Reine des pommesà Notre Dame en passant par son plus gros succès, La guerre est déclarée), mais le format série leur permet de s’épanouir et de prouver qu’ils fonctionnent aussi sur la durée, leur donnant une ampleur et un impact inédits. C’est presque paradoxal car le gros de l’intrigue est fondé sur un enfermement : le regroupement des personnages dans l’appartement de Nona, délicieux bric-à-brac où l’on devine les décennies de vie accumulées.
Alchimie brunette des trois filles
Conçue en huis clos, à l’évidence d’abord pour des raisons budgétaires, Nona et Ses Filles épouse ainsi joyeusement son côté sitcom avec décor quasi-unique, qui sied à merveille à la dynamique de la fiction familiale, comme des centaines de séries américaines l’ont prouvé depuis des décennies, même si on est assez loin des gros canapés fleuris et rires en boîte de Madame est servie ou du Prince de Bel-Air. Huis clos dans le huis clos, les scènes où les triplées retrouvent leur chambre d’enfance et sont installées les unes au-dessus des autres dans leur vieux lit superposé, enfermées dans un cadre riquiqui, sont parmi les plus belles de la série : chuchotages, rituels que l’on retrouve ou se refuse les unes aux autres, lumières que l’on allume et éteint tour à tour sur l’enfance pas si lointaine. Ces scènes d’empilement sont aussi l’occasion de saisir au plus près une mécanique avec trois actrices : Virginie Ledoyen en mère de famille nombreuse dont la voix grave révèle d’autres rêves inassouvis, Clotilde Hesme en «femme libérée» et emprisonnée à la fois, et Donzelli elle-même en scientifique burlesque qui n’a jamais voulu quitter le cocon maternel.
Et puis il y a Miou-Miou bien sûr, qui couve l’alchimie brunette de ses trois «filles», et domine ce petit monde foutraque de sa présence si particulière, apportant une sorte de gravité jusque dans les scènes de comédie les plus débridées. Car même si la série est drôle, ce qui lui arrive n’est pas «marrant», et l’interprète de la Dérobade et des Valseuses incarne à merveille ce mélange-là. Catherine Deneuve avait été, un temps, pressentie pour le rôle de Nona, et c’est presque impossible de l’imaginer aujourd’hui dans ce personnage tant Miou-Miou s’y superpose à la perfection : on ne visualise pas la star de Belle de jour et Indochine en directrice d’un planning familial du quartier de la Goutte-d’Or ; Miou-Miou, ex-égérie seventies de la liberté sexuelle, sans problème. Comme Deneuve, elle a été une des actrices les plus appréciées du cinéma français, avec ses taches de rousseur de fille gaie à la Marlène Jobert, tout en gardant précieusement comme un secret. Les Français l’ont toujours adorée, acceptant sans marchander son côté sauvage. Nommée onze fois au césar de la meilleure actrice et deux fois lauréate, elle ne s’est jamais déplacée pour la cérémonie, alors qu’on la croisait volontiers dans la rue à toutes les manifs possibles. Facilement nue mais pudique, secrète mais quotidienne, sauvage et accessible à la fois, son cocktail à elle. A l’impressionnant épisode 7, elle porte sur ses épaules fragiles, en chemise de nuit blanche sous la nuit étoilée, un très beau discours sur l’égalité des sexes, lucide et sans chichis. Apparition nous fixant de ses yeux de charbon noir qui ont toujours brillé d’un autre éclat que son sourire doux d’icône populaire.
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