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lundi 22 novembre 2021

« Dans les diocèses de France, les demandes faites au service de l’exorcisme sont très nombreuses »

Propos recueillis par Matthieu Giroux  Publié le 21 novembre 2021

Si le mot fascine, la réalité de l’exorcisme reste mal connue du grand public. L’anthropologue Olivia Legrip-Randriambelo, qui vient de publier une anthologie de textes sur le sujet, fait le point sur cette pratique toujours utilisée aujourd’hui.

Don Gabriele Amorth, exorciste du diocèse de Rome et président d’honneur de l’Association des exorcistes, à Rome, en octobre 2005.

Qui sont les exorcistes ? Qui sont les possédés, les démons et les diables à exorciser ? Comment se déroule une séance d’exorcisme ? Chercheuse à l’université de Lyon II et corédactrice en chef de la revue de sciences sociales Emulations, Olivia Legrip-Randriambelo vient de publier, aux éditions du Cerf, Le Combat contre le diable, un recueil de textes sur l’exorcisme qui couvre une période de cinq siècles (du XVIe au XXIe siècle). L’ouvrage éclaire la réalité historique d’une pratique souvent mal comprise et réduite à quelques clichés spectaculaires.

Votre livre compile des textes traitant de l’exorcisme du XVIe siècle à aujourd’hui. Est-ce à dire que la pratique n’existait pas avant le XVIe siècle, qu’elle a commencé à être ritualisée à cette époque, ou que la documentation historique antérieure fait défaut ?

Des exorcismes sont relatés dès l’Antiquité. L’exorcisme apparaît très tôt dans la tradition chrétienne (dès les premiers siècles de notre ère) et des textes bibliques disent que Jésus lui-même a fait des exorcismes. Ce rituel est particulièrement répandu entre les XIIe et XVIIe siècles. Pour le XVsiècle, l’exorcisme est évoqué en parallèle des chasses aux sorcières. Le XVIe siècle est celui des grandes publications autour des notions de « démonologie », « démonomanie », etc.

Ces ouvrages prennent la forme de manuels, de rituels ou de récits de possession, d’exorcisme et de procès en sorcellerie. Les plus connus sont publiés pendant la période de l’Inquisition : Le Marteau des Sorcières paru en 1487, de Jacob Sprenger et Heinrich Institoris, La Démonomanie des sorciers en 1602, de Jean Bodin, Le Discours exécrable des sorciers, également en 1602 de Henry Boguet, ou encore le Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons paru en 1612 de Pierre de Lancre.

« Jésus lui-même a fait des exorcismes »

En ce qui concerne mon livre, le choix a été fait de débuter le recueil de textes au XVIe siècle pour plusieurs raisons. D’une part, les sources imprimées sont plus nombreuses à partir de cette époque. D’autre part, surtout, le XVIe siècle est marqué par la Réforme protestante qui impose un tournant dans les pratiques rituelles chrétiennes, dont l’exorcisme. De plus, peu après, les rituels exorcistes ont été soumis aux règles établies par le grand rituel romain édicté par le pape Paul V en 1614.

L’exorcisme et les cas de possession ne se limitent pas à la chrétienté. Comment se manifestent-ils dans les autres civilisations ? 

Si le terme « exorcisme » est utilisé dans le vocabulaire chrétien, il se définit comme une action rituelle qui vise à identifier une entité néfaste (un esprit, un démon, un génie, le diable, etc.) puis à l’expulser en dehors d’un individu, d’un objet ou d’un lieu dont elle a pris possession.

Ces phénomènes d’expulsion rituelle sont observables dans de nombreux contextes religieux (l’islam, le judaïsme, l’hindouisme, le bouddhisme, etc.), mais aussi dans les discours qui donnent des interprétations sorcellaires aux souffrances humaines (pour prendre des études anthropologiques classiques : au Soudan chez les Azandé – voir les études d’Edward Evans-Pritchard ; en France en Mayenne – celles de Jeanne Favret-Saada) et à différentes périodes historiques (la Haute Antiquité, l’ancienne Mésopotamie ou la période byzantine).

Par ailleurs, couvrir une période allant du XVIe à aujourd’hui a demandé de faire des choix drastiques. Il aurait été encore plus difficile de se confronter à des choix cohérents et pertinents en empruntant des exemples à divers contextes religieux et à des époques différentes.

Après la Réforme protestante, le concile de Trente (1545-1563) joue un rôle important dans la Renaissance catholique et, selon vous, « [ses] décisions ont armé les prêtres pour affronter la vague de démonolâtrie en cours ». De quelle manière ?

Le concile de Trente a participé au renouvellement des définitions et des références en lien avec l’exorcisme. Ce renouvellement s’appuie sur la validation de certains livres bibliques mettant en scène le diable et les combats à mener contre lui et ses démons (dans le Livre de Tobie, notamment). Ce cadrage biblique a permis de replacer l’exorcisme au sein des textes sacrés et ainsi de le codifier pour affronter les possessions de manière efficace, du point de vue de l’Eglise.

Des cas célèbres de possession sont relatés à travers des récits mettant en scène des sorcières ou sorciers inquiétants et des prêtres exorcistes puissants. Cette spectacularisation de la possession et de l’exorcisme vise à rassembler les croyants, après la période de la Réforme protestante. Néanmoins, le concile de Trente n’identifie pas officiellement de lien entre la « vague de démonolâtrie » et la Réforme.

Les affaires d’exorcisme concernent majoritairement des femmes (Elisabeth de Ranfaing, Nicole Obry, les possédées de Morzine, etc.). Pourquoi les femmes sont-elles, selon l’Eglise, plus susceptibles d’être victimes de possession démoniaque ?

Les questions de genre sont centrales dans les accusations de possession et/ou de sorcellerie. Considérées comme plus fragiles, les femmes sont réputées plus sujettes à être séduites par le diable. La déviance sociale des possédés est aussi, par extension, une déviance des pratiques sexuelles, et une forme de faiblesse face à la tentation du diable et des démons. Ainsi, les femmes ont longtemps été plus visées par les suspicions de possession puis, plus tard, par les diagnostics d’hystérie (dont les symptômes présentés dans les textes sont, pour certains, comparables).

« Cette spectacularisation de la possession et de l’exorcisme vise à rassembler les croyants, après la Réforme protestante »

Par ailleurs, les grandes épidémies de possession telles que celle de Loudun (dans les années 1630) ou de Morzine (dans les années 1850) se sont développées dans des espaces clos ou restreints. Un couvent de religieuses ursulines pour Loudun et un village de montagne dépeuplé d’hommes, ces derniers travaillant en Suisse, pour Morzine. La proximité, la pression sociale et les imaginaires collectifs ont favorisé ces épidémies de possession dites « féminines » et leur interprétation démoniaque.

Dans « De la démonomanie des sorciers », l’économiste et philosophe Jean Bodin, au XVIe siècle, traite de l’exorcisme. Faut-il postuler une porosité de principe entre la sorcellerie et la possession ou, au contraire, est-il important de les distinguer ?

Les représentations des sorcières, dans l’imaginaire populaire et les descriptions qui en sont faites au XVIe ou au XVIIe siècle, les définissent comme des personnes maîtrisant les techniques qui permettent d’envoyer des attaques sorcellaires. Les sorcières seraient aussi des femmes qui ont fait des « pactes » avec le diable ou les démons. Par conséquent, du point de vue du clergé et des juges, elles doivent être exorcisées. La principale distinction est que les sorcières veulent et maîtrisent leur possession ou leur alliance avec les démons, alors que les possédés qui présentent des maux et des symptômes cherchent une délivrance de leur souffrance par l’exorcisme.

Vous indiquez que le pape Jean Paul II a lui-même pratiqué l’exorcisme. Que savons-nous précisément à ce sujet ?

Les exorcismes imputés à Jean Paul II ont été rapportés par Gabriele Amorth, un prêtre exorciste italien très médiatique. Ces exorcismes ont eu lieu au Vatican entre les années 1980 et le début des années 2000. Le pape aurait exorcisé trois femmes (une convulsionnaire, une prise de furie sur la place Saint-Pierre et une dernière en proie à des hurlements pendant une audience papale). Après les révélations de Gabriele Amorth, ces exorcismes furtifs ont fait l’objet de nombreux articles de presse (Libération en 2002, L’Obs en 2005, par exemple).

Au XXe siècle, la pratique de l’exorcisme va être de plus en plus encadrée, en particulier en faisant intervenir l’expertise de psychiatres. Qu’est-ce qui permet de faire la distinction entre la possession et la maladie mentale ?

Distinguer la possession par un démon ou une pathologie psychiatrique relève surtout d’interprétations et de positionnements différents. Les historiens et les anthropologues n’entendent pas déterminer les causes réelles des maux ou des souffrances, mais les analysent comme des phénomènes sociaux. Le développement de la psychiatrie au tournant du XXe siècle a privilégié les interprétations psychiatriques ou psychologiques des symptômes. Des disciples de Charcot s’attachent, par exemple, à faire une « traduction » du vocabulaire de la possession en terminologie médicale.

« Une très faible quantité de demandes aboutiront à l’organisation d’un grand rituel exorciste »

Actuellement, les services d’exorcisme des diocèses travaillent de concert avec les structures médico-psychologiques, et les prêtres exorcistes renvoient très fréquemment ceux qui les consultent vers des prises en charge psychologiques. Si la réalité de cette pratique dans les diocèses de France est peu connue, les demandes faites au service de l’exorcisme sont très nombreuses. Cependant, une très faible quantité d’entre elles aboutiront à l’organisation d’un grand rituel exorciste. La plupart donnent lieu à une rencontre avec un prêtre qui orientera vers une prise en charge psychologique ou psychiatrique.

Les prêtres exorcistes disposent d’une liste de phénomènes (parler en langue inconnue, réactions violentes à l’eau bénite ou au crucifix, etc.) qui permettent, s’ils sont réunis, d’identifier selon eux une présence démoniaque, ou au contraire de s’orienter vers des troubles mentaux.

Le film de William Friedkin, « L’Exorciste » (1973), a popularisé le récit de possession. Peut-on considérer comme crédible le rituel qu’il met en scène au regard de la documentation historique ?

William Friedkin, bien qu’étant un des maîtres du cinéma d’horreur, est néanmoins un réalisateur qualifié de « réaliste ». Le rituel d’exorcisme tel qu’il est présenté dans le film est assez proche de la réalité des prêtres exorcistes. Les paroles prononcées, la tenue portée (l’étole et la chasuble), les objets manipulés sont réalistes.

En revanche, la violence du combat contre le démon, la gestuelle de la jeune possédée et le décès d’un des prêtres pendant le rituel sont de l’ordre de la fiction. Si les confrontations entre les exorcistes et les exorcisés peuvent être violentes, ni les textes historiques, ni les ethnographies contemporaines ne relèvent des décès ou des interactions telles qu’elles apparaissent dans le film. L’Exorciste a alimenté les représentations populaires des démons plus que celles des prêtres exorcistes.

Aujourd’hui, malgré une certaine fascination pour l’exorcisme, le sens commun a du mal à croire au phénomène (à la fois à la réalité de la possession et à l’efficacité du rituel). L’opérativité de l’exorcisme est-elle liée à la vitalité des croyances religieuses ?

L’exorcisme est un rite religieux, un sacrement. S’agissant d’une pratique, il s’agit plus d’action que de croyance. En revanche, les pratiquants ou les observateurs peuvent s’interroger sur leur croyance en l’efficacité de cette pratique ; sur l’existence ou non de la possession. Le recours à l’exorcisme n’est pas systématiquement motivé par une croyance sans faille, il est plutôt le dernier volet mis en œuvre après un parcours de soin chaotique ou une série d’échecs des pratiques médicales, psychologiques, du new age, etc. Des individus en souffrance (physique, psychique ou social) vont être à la recherche de la guérison, mais aussi du sens du mal (la fameuse question : pourquoi moi ?).

« Le recours à l’exorcisme est plutôt le dernier volet mis en œuvre après un parcours de soin chaotique »

L’offre thérapeutique et religieuse peut amener une personne à consulter successivement ou simultanément un guérisseur (magnétiseur, coupeur de feu, etc.), un médecin, un psychologue ou un spécialiste du religieux. Si ces différents acteurs ne sont pas favorables au cumul, les personnes en souffrance perçoivent cependant une logique dans l’accumulation de ces pratiques pour leur propre recherche de guérison. De plus, un discours sorcellaire ou de présence démoniaque pourra être entendu par un spécialiste du religieux, ce qui peut être plus difficile dans un autre contexte thérapeutique.

« Le Combat contre le diable, l’exorcisme dans les textes du XVIe siècle à aujourd’hui », d’Olivia Legrip-Randriambelo (Le Cerf, 243 p.)


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