par Eric Favereau publié le 27 septembre 2021
Chronique «Aux petits soins»
Quand on demande à Delphine Glachant, psychiatre dans l’hôpital des Murets (Val-de-Marne) et présidente de l’Union syndicale de la psychiatrie (USP), si en dépit des difficultés elle a le sentiment de faire correctement son travail, elle nous répond sans hésiter : «J’ai 53 ans, je suis épuisée, je cours après le temps. Quand je suis rentrée de vacances, oui, pendant vingt-quatre heures j’ai eu le sentiment de bien travailler, et puis après j’étais de nouveau noyée.»
De guerre lasse – alors que se déroulent ces lundi et mardi les Assises de santé mentale –, Delphine Glachant a fait circuler, ces jours-ci, un texte simple, précis, comme une radiographie de ce qu’elle vit. «Un condensé, nous dit-elle, de la vie dans le service de psychiatrie dans lequel je travaille.» C’est, de fait, un petit enfer au quotidien, où l’on court après le temps, où l’on manque de presque tout, même de pyjamas. On dirait un inventaire à la Prévert de petits malheurs. Pêle-mêle : «Les arrêts de travail des personnels non médicaux non-cadres se multiplient tellement que les normes de personnels soignants ne sont plus respectées. Pour une unité de 30 lits, il y a normalement trois infirmiers et une aide-soignante le matin, trois infirmiers l’après-midi et deux la nuit. Actuellement, la cadre se démène pour que ça tienne, changeant les repos, pour trouver des volontaires en heures sup… Tout le monde est épuisé. Un certain nombre de personnes ont annoncé leur départ, l’une pour ouvrir un gîte, l’autre pour s’installer en libéral. Il est fréquent qu’il y ait deux infirmiers et une aide-soignante l’après-midi et un binôme infirmier/aide-soignante la nuit. Sans compter que ce sont souvent des personnels d’autres services qui ne connaissent pas les patients. Parfois des intérimaires.»
«Comme des pions»
Des accidents, dans ce contexte, surviennent : «L’autre jour, il y a eu des erreurs dans la préparation des médicaments, un neuroleptique remplacé par un autre… Il y a aussi des erreurs dans les transmissions informatiques (un patient pour un autre). Dans la journée, les équipes se plaignent de porter le poids de ce qui n’est pas fait la nuit et surtout de l’absence d’implication des personnels de nuit auprès des patients : forcément ils ne les connaissent pas, sont placés là comme des pions ou viennent juste arrondir leur fin de mois, ce qui est légitime vu leur salaire.»
Bien souvent les patients vont être maltraités. «Avec tout ça, le nombre de patients en isolement partiel ou total augmente. Il y a beaucoup de tension. Les gens s’engueulent : les patients entre eux, les professionnels entre eux, notamment les psychiatres et les secrétaires pour savoir qui va se coltiner le surcroît de travail administratif lié au contrôle judiciaire des mesures d’isolement et de contention. On parle parfois mal aux patients et vice versa.» D’autres détails font frémir : «Depuis plusieurs semaines, les pyjamas fournis par l’hôpital sont quasiment en rupture. Il y a eu un changement de prestataire au niveau de la lingerie en avril. Depuis cela déconne. Certains patients se retrouvent à court de pyjama ou de vêtements. Parce que certains doivent se changer plusieurs fois par jour… Il n’y a plus de chaussons ni de claquettes fournies par l’hôpital. Donc certains patients marchent pieds nus dans les couloirs. Dernièrement, on a donné aux patients des pyjamas jetables voire des draps jetables, parce qu’il n’y a pas toujours de draps non plus. Voilà comment on accueille»,lâche-t-elle.
Dernièrement, on a donné aux patients des pyjamas jetables voire des draps jetables, parce qu’il n’y a pas toujours de draps non plus. Voilà comment on accueille.
— Delphine Glachant, psychiatre dans l’hôpital des Murets (Val-de-Marne)
Puis elle poursuit : «La cafétéria de l’hôpital, lieu important de socialisation et soupape nécessaire pour les patients, tenue par deux infirmières et deux ASH [Agents des services hospitaliers, ndlr], est fermée depuis mi-août et “jusqu’à nouvel ordre”. L’autre jour, un assistant social s’est déchiré un biceps en aidant deux infirmières à relever un patient au sol dans l’unité. Un patient de 120 kg qui se laisse tomber. On nous dit que son arrêt de travail ne sera pas considéré comme un accident de travail parce que s’occuper physiquement d’un patient ne fait pas partie de ses missions… Hier, nous avons appris le décès d’un patient du service voisin la veille. Il a chuté, a été adressé aux urgences de l’hôpital situé à dix kilomètres pour exploration et suture d’une plaie à la tête. Il n’y a qu’un psychiatre de garde pour l’établissement. La ligne de garde du généraliste a été supprimée lors du dernier Plan de retour à l’équilibre [budgétaire]. Aucun bilan n’a été fait. Juste les sutures. Il est revenu, il a désaturé et a fait un arrêt cardiaque. Hier après-midi, dans ce service, seule une des infirmières d’après-midi sur trois est venue travailler. Deux du matin ont dû prolonger leurs horaires sur ordre de la direction des soins infirmiers…»
Les Assises, «je regarde de loin»
Ailleurs ? C’est souvent pareil. «A l’hôpital de Ville-Evrard [Seine-Saint-Denis], il y a 80 postes d’infirmiers vacants. A Esquirol [Val-de-Marne], 30 postes sont vacants. Deux unités d’intra, au sein de l’hôpital, tournent avec 80% d’intérimaires dans l’effectif infirmier. Ce matin, la cadre de mon unité s’est effondrée en pleurs devant moi, elle qui est si solide habituellement. Elle prend toute l’agressivité de tout le monde en pleine figure, elle ne trouve pas moyen d’exprimer sa colère ou tout simplement son désarroi. Elle a besoin de vacances dit-elle, mais elle ne peut pas en prendre car elle s’occupe seule chez elle de son père âgé qui a la maladie d’Alzheimer. Le travail était pour elle un refuge jusqu’à présent. Cela n’est plus le cas.»
Voilà. C’est froid et clinique. «Vous comprenez que je regarde de loin ce qui va se passer avec ces Assises. On nous parle de remboursement de séances de psychologue, d’allonger l’internat… Mais les gens ne vont pas bien. C’est usant et décourageant. Tout n’est pas un problème de moyens, mais quand même ! Quand est-ce que l’on prendra au sérieux nos malades ? Quand est-ce que l’on nous écoutera ?»
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